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Arts-chipels.fr

Silence vacarme. Le bruissement de tous les jardins dans le jardin des sons.

© André Muller

© André Muller

Invitation à écouter comme une sensibilité au monde, l’opus en zigzag de Pauline Ringeade est comme une promenade dans laquelle les sons font naître des souvenirs, des images et des réflexions.

Au centre du plateau nu, quelques instruments de musique – cuivres et percussions – voisinent avec un ensemble hétéroclite de haut-parleurs de tailles et de formes différentes. Ils sont les outils de cette promenade dans un jardin aussi intérieur et mémoriel que « réel ». Seul l’éclairage offrira la tonalité du temps qui s’écoule, du gris bleuté du petit jour à la nuit étoilée en passant par l’éblouissement du plein soleil et l’incendie de la fin du jour tandis que le paysage sonore s’anime. Dans la rumeur confuse de conversations dont on ne perçoit pas le contenu, des bribes émergent. Il est question d’arbres et d’arbustes fruitiers, de figuiers, de framboisiers et de cassis. Nous voici au cœur du sujet : une plongée dans la palpitation sonore de la nature à laquelle répond, comme en écho – il en sera beaucoup question – la vie intérieure qui anime le personnage qui se trouve sur scène : une femme enceinte, la narratrice-compositrice de l’histoire.

Son, écoute et résonance

Le point de départ, c’est le « calme » du premier confinement, qui a éteint les bruits de la « civilisation ». Un monde à l’arrêt dans lequel le vacarme des villes a disparu. Les voitures ne circulent plus, dans les rues désertes ne résonnent plus les mille et un bruits de la vie urbaine. Le silence est devenu assourdissant et des hôtes faunesques inattendus hantent les rues. Le chant des oiseaux prend alors une importance démesurée, comme si la nature, d’une certaine manière, prenait sa revanche sur les déprédations commises par les hommes. Pourtant, nous explique la comédienne, les oiseaux ne chantaient pas plus fort leur liberté retrouvée. Au contraire, ils ne forçaient plus la voix pour se faire entendre, donnant moins d’intensité à leurs chants, rendus plus sonores par le silence. CQFD, avance la pièce, s’appuyant sur les études publiées par les scientifiques. C’est dans une mise en relation entre l’émission des ondes sonores et la réaction de l’environnement à ces ondes qu’on entend le son, dans la manière dont il se heurte ou pénètre les objets dont il est entouré, dans sa résonance par rapport au monde et du monde par rapport à lui qu’il existe. Relation est l’une de ses deux mamelles. 

Les voix troublantes du vivant et de l’artificiel

De haut-parleur en haut-parleur, comme de fil en aiguille, les sons tournent dans l’espace de la salle dans un dialogue entre sons « naturels », captés par l’enregistrement, et sons inventés pour reconstituer la nature ou introduire un dialogue imaginaire dont le son serait l’enjeu. S’emparant de l’embouchure d’une flûte, la comédienne la transforme en appeau, ces petits instruments qui permettent de parler aux oiseaux en imitant leur chant. Elle le fait résonner en le plaçant dans le pavillon d’un cor pour révéler la modification du son. Elle imite la cymbolisation des cigales, ce « chant » très puissant produit par les mâles qui font vibrer leur abdomen durant la période des amours pour faire leur cour. Bientôt elle jouera avec le placement des voix dans l’espace en répartissant les haut-parleurs sur l’ensemble du plateau, reconstituant même, sur le mode humoristique, la chaîne de l’évolution qui mène de l’australopithèque à Sapiens en alignant les haut-parleurs dont elle incarne le dernier stade.

© André Muller

© André Muller

Sons-souvenirs

Se souvenir des sons, c’est remonter dans le passé et c’est ce que fait Pauline Ringeade, conviant son enfance à occuper le devant de la scène et avec elle les Pyrénées, côté Perpignan. Ce sont des voix de femmes qui peuplent le jardin dont elles sont le prolongement. Parce qu’elles contribuent sans cesse à le faire résonner, attentives à la pousse des plantes, à l’imaginaire qui surgit quand on évoque leurs noms, aux relations que le moment du jour, le lieu ou le temps entretiennent avec leur être-là. C’est la voix de sa grand-mère qui incarne pour elle cette parole de la nature avec son accent qui chante et ricoche sur les plantes et les fruits, vantant un jardinage respectueux de l’environnement où les plantes elles-mêmes élaborent des stratégies sans le secours de l’homme pour résister à leurs prédateurs-insectes. C’est la chaleur qu’elle diffuse, où variations de volumes, timbres, tonalités et hauteurs, viennent enrichir la perception du sens transmise par le langage.

Communiquer et transmettre

Dans une approche en sautes de vent, on passe d’une voix féminine à l’autre, de l’écho des luttes pour l’émancipation des femmes d’aujourd’hui aux sifflements caméléons des étourneaux qui empruntent aux autres oiseaux leur langage. On remonte aux sources de la vie en écoutant les battements du cœur ou le grondement aussi unique que mystérieux du fœtus qui entame ses premiers exercices de gymnastique dans le liquide amniotique du ventre de sa mère et l’on apprend au passage que l’échographie, dont on perçoit les images lors de l’examen médical éponyme, n’est qu’une transcription de ce que livre une sonde émettrice et réceptrice d’ultrasons qui bombarde ses fréquences à travers les tissus et enregistre la variation de vitesse de propagation des ondes dans les corps qu’elles traversent. Du son à l’image et de l’image au son, la relation est une constante, même si nous n’en avons pas conscience et la question de la transmission au cœur du propos qui rassemble différentes générations comme elle évoque les rites de passage entre milieux.

© Laëtitia Piccaretta

© Laëtitia Piccaretta

Une polyphonie éclatée et fragmentaire

Polyphonique dans son propos, oscillant entre références scientifiques et réminiscences, entre objectivité botanique ou animalière et subjectivité mémorielle, construit dans un dialogue entre un texte établi et un mélange recréé à chaque représentation de sons réels et de sons fabriqués et « musicalisés », mélangeant dans son propos hommes, plantes et bêtes, le spectacle se construit dans une vision qui tient plus du fragmentaire d’un journal intime que d’un continuum. Il prend la forme d’un pot-pourri qui n’évite pas toujours les longueurs. Dans son jeté-là de réflexions éparses, il y a la force du patchwork, mais sa faiblesse aussi. Une impression de décousu, qu’on sent volontaire mais qui, partant dans tous les sens, donne l’impression d’hésiter sur le choix du propos. De ce désordre savamment organisé, jalonné de jolis moments, truffé de bonnes et belles choses, on ressort cependant un peu perplexe…

Silence vacarme. Théâtre et musique

S Mise en scène Pauline Ringeade S Écriture Antoine Cegarra, Claire Rappin, Pauline Ringeade S Jeu / composition Claire Rappin S Dramaturgie Antoine Cegarra S Assistanat mise en scène Louise de Bastier S Création et régie lumière Fanny Perreau S Création et régie son Pierre-Mathieu Hebert S Scénographie Cerise Guyon S Costumes Aude Bretagne S Régie générale et plateau Yann Argenté S Développement compagnie Florence Bourgeon S Administration - Production Laure Woelfli et Victor Hocquet, La Poulie S Production Production l’imaginarium S Coproductions La Manufacture, Centre Dramatique National Nancy Lorraine | Les Deux Scènes, scène Nationale de Besançon | Comédie de Colmar – Centre dramatique national Grand Est Alsace | Théâtre d’Arles, scène conventionnée d’intérêt national art et création nouvelles écritures S Accueil en résidence et soutiens Résidence de création, la Vie brève – Le théâtre de l’Aquarium | Le Maillon, Théâtre de Strasbourg, scène européenne | Théâtre Océan Nord – Bruxelles S Pauline Ringeade est artiste associée à La Manufacture, Centre Dramatique National Nancy Lorraine et aux 2 Scènes, Scène nationale de Besançon S La compagnie est conventionnée par la région et le DRAC Grand Est.

TOURNÉE

16 au 19 avril 2024 - Création | La Manufacture CDN de Nancy

23 au 25 mai 2024 – Festival Théâtre en mai – CDN de Dijon

28 au 30 mai 2024 – Festival Sur terre – Les 2 scènes, Scène nationale de Besançon

23 et 24 janvier 2025 – Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace

28 au 31 janvier 2025 – TAPS – Théâtre actuel et public de Strasbourg

Tournée en cours de construction pour 2025/2026 : Mâcon, Illzach, Arles, Île de France…

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