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Arts-chipels.fr

L’Âge de détruire. Entre mère et fille, récits d’une violence muette.

© Catherine Mary-Houdin

© Catherine Mary-Houdin

Entre expression du texte et expression du corps, Pauline Peyrade et Justine Berthillot traversent le temps pour se livrer à un chassé-croisé de la confrontation et de l'affrontement d'une mère et de sa fille.

Des cartons jonchent l’espace scénique. Le sol a été recouvert de plastique fixé par des bandes autocollantes. Dans cet espace nu où traînent deux chaises de cuisine en formica, deux femmes sont présentes. Un livre est posé là. Un exemplaire du roman de Pauline Peyrade, Goncourt 2023 du premier roman, l’Âge de détruire, dont le spectacle est adapté. L’une se saisit du livre – elle en est l’autrice – et entame la lecture d’une voix neutre, dépourvue d’affect. La description de l'appartement dans lequel les deux personnages s'installent se fait en phrases courtes, dépourvues de verbe. Un état des lieux comme en ferait un agent immobilier. Sans âme, sans personnalisation. Un être-là dans lequel on ouvre les cartons pour sortir des objets qui seront ceux du quotidien de la mère et de sa petite fille.

Duelles et duels

Si l’une lit et s’exprime par la parole, l’autre utilise son corps pour dire. En torsions, en cambrures vers l'arrière, toujours à la limite du déséquilibre et en soulèvements permanents qui se soldent chaque fois par une chute aussitôt corrigée avant une nouvelle chute, elle révèle un mal-être qui s’exprime à travers ses déplacements incessants et ses effondrements. Le malaise s’instille. Pourquoi la mère installe-t-elle deux lits superposés dans la chambre de sa fille alors qu’elle n’a qu’un seul enfant ? Pourquoi observe-t-elle sa fille en permanence ? La fillette ne peut échapper au regard de sa mère, à ses angoisses, à son emprise. Bientôt, dans le paysage composé de surveillance et de choix à sens unique qui lient la mère et la fille, des hiatus apparaissent. Ce sont d’abord quelques petits trous percés par la fille dans le mur érigé par la mère avant de devenir enfoncement, brèche pratiquée avec violence. La dualité est devenue duel.

© Catherine Mary-Houdin

© Catherine Mary-Houdin

Le temps de l’émancipation

Une ellipse dans le temps nous projette des années plus tard. La petite fille a grandi. Le sol recouvert de plastique a laissé place à un tapis de danse. La petite fille devenue femme revient sur les lieux de son enfance. Elle n’échappera à l’emprise de sa mère, symbolisée par la transmission de trois bagues ornées de pierres venues de sa grand-mère, qu’en reprenant à son compte l’exergue de Virginia Woolf qui ouvre le livre : après l’âge de comprendre vient celui de détruire. Après avoir expulsé la multitude de souvenirs qui habitent les cassettes vidéo qui jonchent le sol, la jeune femme abandonnera la reptation au sol pour s’élever au-dessus de lui et prendre possession de l’espace …

Violence exprimée, violence intériorisée

Littérature et corps se livrent à travers le spectacle à un dialogue qui rejoint, du point de vue de la jeune fille, l’opposition mère-fille qui fonde le spectacle. Là où le texte joue le narratif et la neutralité en phrases courtes, descriptives, sans commentaire, faisant naître la violence de sa non-expression, dans la tension de son absence de verbalisation, la chorégraphie acrobatique que développe la danseuse adopte un parcours inverse. Elle dit la difficulté à s’installer dans l’espace, le déséquilibre, les tiraillements, voire les écartèlements. Dans l'exploration de l'écart entre physique et verbal réside la démarche qui associe Justine Berthillot et Pauline Peyrade pour ce spectacle : créer un objet dans lequel s’interpénètrent deux propos individualisés mais en même temps complémentaires, à la frontière entre lecture et écriture, présence et performance. Deux propositions, deux modes d’expression qui conservent leur autonomie. On regrettera cependant la difficulté à en percevoir toutes les nuances si l’on n’a pas une connaissance préalable du texte. À trop s’éclater entre tensions contraires créées par la dualité du double « texte » de la littérature et du corps, le propos verse dans l'abstraction. Il perd en force, d’un côté comme de l’autre. C’est dommage à la fois pour le texte et pour la performance circassienne, tous deux de qualité. 

L’Âge de détruire. D’après le roman éponyme de Pauline Peyrade (Éd. de Minuit 2023), prix Goncourt du premier roman 2023.

S Adaptation et mise en scène Justine Berthillot et Pauline Peyrade S De et avec Justine Berthillot et Pauline Peyrade S Scénographie James Brandily S Matières sonores Clement Vercelletto S Création et régie son Guillaume Léglise S Collaborateurs artistiques Rémy Barché, Mosi Espinoza, Esse Vanderbruggen S Création lumière et régie générale Aby Mathieu S Production et diffusion Le bureau des écritures contemporaines (le BEC) Romain Courault et Claire Nollez S Remerciements Marie Pluchart, Julie Mouton, Frédéric Cauchetier / Triptyque Production Photos Mosi Espinoza S Production Morgane S Coproductions Les Quinconces & L’Espal, Scène nationale du Mans Comédie de Colmar - CDN Grand Est Alsace Théâtre Ouvert - Centre National des Dramaturgies Contemporaines CCNG - Centre chorégraphique national de Grenoble, dans le cadre de l’accueil studio CN D à Lyon S Soutiens Château de Monthelon, atelier international de fabrique artistique La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon – Centre national des écritures du spectacle Centre National du Livre La Région Île-de-France pour l’ÉPAT S Création du 15 au 17 janvier 2024 aux Quinconces & L’Espal, Scène nationale du Mans S Durée 1h

TOURNÉE

Du 11 au 23 mars 2024, Théâtre Ouvert - Centre National des Dramaturgies Contemporaines, Paris

Les 15 et 16 mai 2024, Comédie de Colmar - CDN Grand Est Alsace

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