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Arts-chipels.fr

Le Festival de Châteauvallon 2023. La danse dans tous ses états.

© Gala Vanson

© Gala Vanson

Le Festival de Châteauvallon souffle sa 59e bougie avec une invitation à découvrir la danse sous toutes ses formes : associée au théâtre, à l’art équestre, à la musique, à l’acrobatie. Sans oublier le lieu, un environnement exceptionnel, au cœur de la pinède.

Né de la volonté d’un peintre et sculpteur, Henri Komatis, et d’un journaliste, Gérard Paquet, de créer, dans une bastide oubliée du XVIe siècle, à Châteauvallon, sur les hauteurs de Toulon, un lieu dédié à la création, aux arts et à la pensée, le Festival est créé en 1964. La construction d’un Amphithéâtre de plein air débute l’année suivante, avec l’aide de centaines de bénévoles. Le site compte aujourd’hui trois scènes : un amphithéâtre de 1 200 places et un théâtre couvert de 400 places – qui fonctionnent l’été – ainsi qu’une petite salle de spectacle de 90 places qui privilégie la proximité avec le public. Le lieu s’est vu décerner, en 2019, le label « Architecture contemporaine remarquable ». Sur les hauteurs de Toulon, à flanc de montagne, il offre sur la mer une vue magnifique. Le Festival, dédié au jazz à partir de 1970, puis à la danse contemporaine à partir de 1980, est aujourd’hui ouvert sur d’autres disciplines. Mais Châteauvallon-Liberté est aussi, depuis 2015, une Scène nationale qui mène une politique active d’action culturelle dans la région, offre des studios de répétition et continue d’accueillir, comme depuis sa création, des résidences d’artistes.

Prélude, Compagnie Accrorap © Eliya Ca

Prélude, Compagnie Accrorap © Eliya Ca

Châteauvallon 2023 : la danse au cœur

Fidèle à sa tradition, le Festival consacre une large place de sa programmation à la danse contemporaine. La « cuvée » 2023 a accueilli le Nederlands Dans Theater, compagnie mondialement connue basée à La Haye, pour un programme en deux pièces créées par deux chorégraphes : The Big Crying, de Marco Goecke, inspiré par la mort de son père et le deuil, et Bedtime Story, du chorégraphe israélien Nadav Zelner qui fait un retour sur son enfance et son héritage culturel et musical tunisien. Elle a réservé une part au hip-hop avec l’une des compagnies françaises les plus marquantes, Accrorap, et son chorégraphe, Kader Attou, ancien directeur du premier Centre chorégraphique national, à La Rochelle, actuellement installé à la Friche la Belle de Mai à Marseille. Avec Prélude, le chorégraphe mêle musique électroacoustique, hip hop et danse contemporaine dans un spectacle où la virtuosité des danseurs est mise à contribution sur un rythme qui va s’accélérant.

Lignes de vie © Nathalie Sternalski

Lignes de vie © Nathalie Sternalski

La danse dans tous ses états

Dans sa démarche de faire déborder la danse de ses frontières traditionnelles, le Festival 2023 a accueilli Lignes de vie, une création du grimpeur Antoine Le Ménestrel, un ouvreur de voies d’escalade converti au spectacle et à la chorégraphie. Avec cinq performeurs adeptes du parkour, une discipline qui joue avec les obstacles urbains, il crée sur la Terrasse un spectacle révélateur de la partition architecturale du lieu. La danse joue un rôle tout aussi proéminent dans la création danse-théâtre inspirée du livre d’Horace McCoy, On achève bien les chevaux – une première mondiale –, et dans la proposition de Théâtre équestre de Bartabas inspirée par le Requiem de Mozart. Depuis 2003, cet écuyer d’exception, artiste et chorégraphe, forme, à l’Académie équestre nationale du domaine de Versailles, un corps de ballet unique au monde dont la formation associe des disciplines aussi diverses que l’escrime artistique, la danse, le chant ou le kyudo, le tir à l’art japonais traditionnel. Le Requiem fut créé en 2017 lors de la semaine Mozart. Mais on pourrait aussi tout aussi bien voir dans les autres spectacles proposés par le Festival une « danse avec les mots ». C’est le cas pour Héros Limite de Gherassim Luca, dit par Alain Fromager sur un rythme marqué au tambour par Daniel Laloux. Le « bégaiement poétique » de Luca, construit sur l’oralité, crée un mouvement de la langue où oxymores, homophonies et jeux de mots-lés construisent un parcours à découvrir au gré d’une lecture musicale. Lui fait écho le Musée des contradictions d’Antoine Wauters, prix Goncourt 2022 de la nouvelle, qui invite le spectateur à une perception intime de la forêt dans une déambulation des spectateurs sous le couvert des arbres.

On achève bien les chevaux © Parisot

On achève bien les chevaux © Parisot

On achève bien les chevaux…

Le roman d’Horace McCoy tire son thème de la société américaine au temps de la Grande Dépression. De la crise financière au krach de Wall Street, dans la période de 1921 à 1929, chômage, famine et pauvreté sont le lot des classes populaires qui, pour un repas chaud, sont prêtes à tous les sacrifices. C’est à ce moment qu’apparaissent les marathons de danse, qui peuvent durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois, dont les participants sont des couples amateurs qu'on encourage à participer en leur assurant les repas pour les « aider » à tenir le coup. Épuisante, humiliante – c’est une course à mort que les participants entament, qui les assimile à des animaux poussés aux ultimes limites de leurs forces –, ces marathons, que les spectateurs sont invités à suivre pour se distraire d’un quotidien anxiogène, se répandent dans presque toutes les villes de plus de 50 000 habitants. Il faudra la tentative de suicide d’une danseuse de Seattle pour que, progressivement, ils soient interdits à l’échelle du pays, le 13 mars 1937. Publié en 1935, ce premier roman noir d’Horace McCoy constitue une violente dénonciation du « rêve » américain. Il croise plusieurs intrigues : le déroulement du marathon lui-même et les aventures singulières de ses participants : couples amateurs convertis en « professionnels » de la danse, dont on découvre les histoires individuelles, mais aussi organisateurs, publicitaires complices, et public.

On achève bien les chevaux © Parisot

On achève bien les chevaux © Parisot

L’osmose du théâtre et de la danse

On achève bien les chevaux offre le texte parfait pour s’interroger sur la notion de danse-théâtre développée par Pina Bausch à Wuppertal. Parce qu’il mêle, au pied de la lettre, danse et théâtre. Le roman, très dialogué, associe en effet les deux disciplines dans un même déroulé dramatique, les personnages formant en même temps la masse des danseurs participant au marathon. McCoy y ajoute une dimension artistique en introduisant deux protagonistes figurants de cinéma, Robert et Gloria, comme pour souligner le thème de la grandeur et de la misère de la vie d’artiste. Rassemblés par la nécessité de se présenter en couple, ils cherchent, jusqu’au bout de leurs forces et de leur vie, à utiliser la danse dans l’espoir de se faire remarquer. Mais là où le roman commençait par le drame final pour remonter la piste, le spectacle présente les événements dans leur chronologie. Revient, comme un leitmotiv marqué par le retour des bruits de la ville – ici un métro ou le passage d’un train – la longue litanie des heures et des jours qui s’écoulent – il ne faudra pas moins de 63 jours et 1 500 heures de danse avant que le marathon ne soit interdit.

On achève bien les chevaux © Agathe Poupeney

On achève bien les chevaux © Agathe Poupeney

Une hybridation assumée

Cette osmose qui lie la danse et le théâtre, Bruno Bouché, le directeur et chorégraphe du Ballet de l’Opéra national du Rhin, et Daniel San Pedro et Clément Hervieu-Léger, qui dirigent la Compagnie des Petits Champs, ont voulu la mener complètement en faisant travailler ensemble comédiens et danseurs au point qu’on ne puisse plus les distinguer les uns des autres. Lancés dans une aventure collective, les trente-deux danseurs du Ballet du Rhin et les huit comédiens des Petits Champs s’inscrivent dans une démarche interdisciplinaire où la parole et l’expressivité du corps sont indissociables et parties d’un même processus. Chacun a dû s’approprier un personnage, dans sa gestuelle comme dans son comportement, ressentir, pour les faire partager au public, l’usure et l’épuisement des corps et des esprits, traduire les moments d’excitation factice, alimentés par Rocky, le meneur de jeu, et les périodes d’abattement, les révoltes que suscite cette exploitation inhumaine, corollaires, dans le même temps, d'une intériorisation de l'acceptation du système et de ses règles.

On achève bien les chevaux © Agathe Poupeney

On achève bien les chevaux © Agathe Poupeney

Une composition tripartite

Quatre musiciens au plateau complètent cette traversée des genres du spectacle vivant. Empruntant au rock et au blues comme au swing, nourris par les airs issus du Magicien d’Oz, un film sorti en 1939, reprenant une chanson de Louis Armstrong datée de 1967 (What a Wonderful World), parfois relayés par les airs diffusés par la radio, ils accompagnent l’action, entraînent le public dans la ronde endiablée des derbies, une course en cercle des danseurs additionnée au déroulement des marathons pour ajouter à la « performance » sportive, pimenter la compétition et maintenir l’intérêt du public en éveil. Épatants dans leur manière de citer ces morceaux de musique que chacun conserve au fond de sa mémoire tout en les détournant, ils suivent et ponctuent l’action pas à pas et rendent manifeste la dichotomie entre l’entraînement des airs et la fatigue des corps. Ils déconnectent aussi en partie la trame dramatique d’une chronologie trop précise, renforçant le questionnement qui se dessine au fil du spectacle sur la condition de l’artiste et la place que lui réserve la société comme sur le statut du spectacle vivant.

On achève bien les chevaux © Parisot

On achève bien les chevaux © Parisot

Un rythme brisé tout en hachures

La limite du spectacle se trouve dans sa forme même, toute en ruptures de rythme liées au fonctionnement de la compétition, avec ses mises en place, ses accélérations liées aux derbies, ses accalmies musicales et ses pauses, mais aussi dans les brisures introduites par les séquences où le verbe est porté au-devant de la scène. Les scènes « parlées » définissent les attentes des personnages et les interrogations que le marathon suscite chez eux, dressent le tableau de la Grande Dépression et des difficultés qui en résultent. Elles introduisent aussi, à travers les messages de consommation tous azimuts diffusés à l’encan, la vacuité de sens de cette agitation. Entre improvisations dansées individuelles qui prennent parfois une allure anarchique et ordonnancement chorégraphique, entre séquences dansées longues et dialogues réduits à quelques répliques, entre alternance de moments forts et de moments « faibles » qui cassent la progression dramatique, le texte se trouve englouti dans la profusion de la danse et on perd en partie le fil du récit qui conduit au drame final. Mais l’équilibre est difficile et le dosage tient de l’infinitésimal. L’averse qui a interrompu le spectacle lors de la première à un moment crucial dans l’évolution de l’intrigue compte peut-être aussi dans cette perte de repères. Quoi qu’il en soit, la performance spectaculaire que représente l’expérience même du spectacle mérite qu’on s’y arrête.

On achève bien les chevaux © Agathe Poupeney

On achève bien les chevaux © Agathe Poupeney

On achève bien les chevaux, Première mondiale

S D'après They Shoot Horses, Don’t They? d'Horace McCoy, représenté dans les pays francophones par Dominique Christophe / L'Agence en accord avec Harold Matson Company S Adaptation, mise en scène et chorégraphie Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro S Assistanat à la mise en scène et dramaturgie Aurélien Hamard-Padis S Costumes Caroline de Vivaise S Scénographie Aurélie Maestre et Bogna G. Jaroslawski S Lumières Alban Sauvé S Son Nicolas Lespagnol-Rizzi S Mise en répétition Claude Agrafeil et Adrien Boissonnet S Coaching vocal Ana Karina Rossi S Avec par ordre d'entrée en scène Luca Besse (Rollo), Stéphane Facco (Rocky), Daniel San Pedro (Socks), Marin Delavaud (James), Juliette Léger (Ruby), Pierre Doncq (Mario), Muriel Zusperreguy (Jackie), Louis Berthélémy (Freddy), Deia Cabalé (Rosemary), Clémence Boué (Gloria), Josua Hoffalt (Robert), Julia Weiss (Mattie), Marwik Schmitt (Kid), Claude Agrafeil (Madame Highbi) et Audrey Becker & Hénoc Waysenson, Susie Buisson & Jean-Philippe Rivière, Noemi Coin & Erwan Jeammot, Ana Karina Enriquez Gonzalez & Pierre-Émile Lemieux-Venne, Brett Fukuda & Miquel Lozano, Di He & Rubén Julliard, Marta Dias & Jesse Lyon, Nirina Olivier & Avery Reiners, Leonora Nummi & Cedric Rupp, Alice Pernão & Cauê Frias, Dongting Xing & Ryo Shimizu, Lara Wolter & Alain Trividic (les concurrents) S Musique au plateau M'hamed El Menjra (guitare et contrebasse), Noé Codjia (trompette), David Paycha (batterie) et Maxime Georges (piano) S Production déléguée La Compagnie des Petits Champs et CCN•Ballet de l’Opéra national du Rhin S Coproduction Maison de la danse, Lyon-Pôle européen de création, la Scène nationale du Sud Aquitain et la Maison de la culture d’Amiens, Pôle européen de création et de production S Dès 13 ans S Durée 1h40

TOURNÉE

6 juillet 2023 ² Châteauvallon, Création au festival d’été
9 & 10 septembre 2023
² Bayonne, Espace Lauga, Festival le Temps d’Aimer
16 & 17 septembre 2023
² Paris, Gymnase Japy. Dans le cadre des Journées européennes du Patrimoine et des Olympiades culturelles
15 - 21 novembre 2023
² Lyon, Maison de la Danse
15 & 16 février 2024
² Caen, Théâtre
7 - 10 mars 2024
² Opéra national du Rhin, Mulhouse, La Filature
2 - 7 avril 2024
² Strasbourg, Opéra
11 & 12 avril 2024
² Amiens, Maison de la Culture

Requiem © Julien Benhamou

Requiem © Julien Benhamou

Requiem

S Mise en scène et chorégraphie Bartabas S Avec l’Académie équestre nationale du domaine de Versailles et l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra de Toulon S Wolfgang Amadeus Mozart, Requiem en ré mineur, K. 626 S Direction musicale Nicolas Krüger S Soprano Claire de Monteil S Mezzo Eugénie Joneau S Ténor Robert Lewis S Basse Nicolas Elsberg S Écuyères Laure Guillaume, Charlotte Tura, Nina Moulin Krumb, Fanny Lorré, Salomé Belbacha-Lardy, Dounia Kazzoul, Léonie Mourcou, Isis Bertheau et Chloé Gouyet S Chevaux Soutine, Chagall, Vivace, Bartok, Kodaly, Flamenco, Farinelli, Gauguin, Glinka, Puccini, Neptune, Uranus et Naus S Assistanat a la mise en scène Emmanuelle Santini S Création lumières Bertrand Couderc S Assistanat lumières Sébastien Böhm S Responsable des écuries Philippe Boué-Bruquet

Festival de Châteauvallon-Liberté – 795, chemin de Châteauvallon, 83 Ollioules

Les 19, 21, 22, 23, 25 & 26 juillet 2023 à 22h

www.chateauvallon-liberte.fr Tél. 09 800 840 40

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