5 Août 2023
Quand l’enfance n’est pas un royaume enchanté, il y a toujours quelque part un coin préservé pour l’espoir. C’est la leçon qu’apporte Courgette dans ce joli spectacle, admirablement ficelé, qui nous plonge au cœur d’enfances plus que perturbées…
« Quand j’étais petit, je voulais tuer le ciel. » C’est l’entrée en matière plutôt sombre que dresse Icare, alias Courgette. Pour lui, s’appeler Icare ce n’est pas tutoyer le ciel ni même vouloir l’approcher de trop près. Car, que peut-on faire, nous dit-il en face, quand on a un père qui boit et une mère qui vous bat ? Sa colère, il ne la tourne pas contre ses parents mais contre le ciel, qui laisse faire. Il voudrait le butter… Un jour, en fouillant dans les tiroirs de la commode, il dégotte un revolver. Presque sans y penser, il s’en empare. Ce jour-là, sa mère est d’humeur violente. Il va s’en ramasser une, c’est sûr… En se défendant, le coup part, sa mère aussi du coup, qui monte au ciel, lui dit-on, ce ciel qu’il avait le projet de tuer. Il expose la situation à un flic, pour une fois compatissant et sympathique. On le place au foyer « Les Fontaines ». Il sera confié à des professionnels – « C’est quoi un z’éducateur », demande-t-il quand on lui parle de ceux qui vont s’occuper de lui…
Un mélodrame en puissance…
Un néon indiquant « Les Fontaines » s’allume au-dessus d’une rampe d’escalier qui semble irréelle et dont la main courante trace comme un sillon lumineux dans l’espace. Elle est à la fois la limite du foyer qui enferme les enfants perdus, le chemin de ronde d’où ils peuvent contempler leur histoire, l’espace où se déploie l’imaginaire et où s’’élaborent les rêves et un escalier qui rappelle ceux de l’école. Le lieu du « foyer » en même temps qu’un espace intérieur, intime. Au foyer, l’ambiance n’est pas franchement cordiale ni rose chez les enfants. C’est plutôt visage fermé et agressivité. Sont rassemblés là des laissés-pour compte, des enfants battus, cassés, abandonnés, des petits durs, des orphelins, chacun avec une histoire plus terrible que celle de son voisin, pour qui il n’existe pas de maison dont on puisse rêver et pour qui les cœurs sont depuis longtemps décousus. Ils sont rageurs, parfois pleins d’hostilité, et Icare-Courgette se voit affubler de tous les sobriquets de cucurbitacées – potiron, butternut, ou autres, au choix. Un petit pas de plus et on pourrait se croire dans une histoire façon Sans famille, à faire pleurer dans les chaumières.
Une vision « positive » de la réalité
Tout n’est cependant pas si noir. Au contraire. C’est une des caractéristiques de la fable que de ne pas succomber au pessimisme ou à la dénonciation de l’inacceptable – contre lequel on ne peut rien. Les « zéducateurs », la directrice, et même la psychologue, qui « s’occupent mieux de nous que le bon dieu », malgré leurs petits travers, leur paternalisme, leurs questions incisives, insistantes, pour pénétrer dans l’intimité des enfants et y traquer ce que ceux-ci masquent soigneusement, sont sympathiques, attentifs, empathiques et ouverts. Ils essaient de faire quelque chose. Les comédiens qui les incarnent passent de l’ado boudeur et furibard, en guerre contre la terre entière, à l’adulte gentiment caricatural mais néanmoins de bonne volonté dans un jeu de transformations réjouissantes, réalisées à rythme échevelé. Celui qui les introduit dans son histoire, c’est Courgette, et Courgette est doté d’un optimisme à toute épreuve. Il met de la lumière dans tout ce qui l’entoure, enchante ce qui n’était que tourment, réveille la beauté enfouie sous la boue.
En musique, dans les méandres de la mémoire
Le récit, Courgette en est le chef d’orchestre, et d’orchestre il sera question car la musique et le chant accompagnent de part en part ces moments de vie que le jeune garçon extrait peu à peu, et de plus en plus à mesure que la petite musique des âmes des histoires personnelles des différents protagonistes se libère et prend son envol. L’une des forces de la fable réside dans la subjectivité du récit et dans les strates qu’elle dévoile progressivement, au fil des péripéties qui animent la vie de la petite communauté. Dans un langage volontairement naïf, imagé, emprunté à l’enfance, des histoires terribles se racontent tandis que la musique fait la deuxième voie, le commentaire. En contrepoint, Petite Fleur voisine avec Jimmy de Moriarty, la Panthère rose fait bon ménage avec un Noël aux accents rock et la Claire fontaine accompagne John Lennon ou les Cowboys fringants. Ça swingue, ça pulse, ça se démène et la voix délicieuse de Vanessa Cailhol ajoute son petit parfum de frais à un chœur plein d’entrain et de rythme.
Une histoire d’amour et d’amitié
Et puis il y a cette manière de raccrocher les étoiles dans le ciel, de cheminer entre émotion et rire sans jamais sacrifier au pathos. Parce qu’il y a Camille à qui Courgette veut faire retrouver la couleur de ses yeux, Simon l’énigmatique dont Courgette va gagner l’amitié, le policier avec qui Courgette se lie de plus en plus. Et cela fait du bien d’entrevoir le soleil quand il pleut. Si au bout du chemin, tous n’arrivent pas au même point, si tous n’ont pas les mêmes outils, pas les mêmes chances, et même si ces enfants sont parfois « des fleurs sauvages que personne n’a envie de cueillir », ça vaut le coup de se préparer, de tenter l’expédition, même si, de toute façon, elle sera longue et parsemée d’embûches. Au pays de Courgette, on ne fait pas toujours ce qu’on veut, mais on a cependant un impact sur sa propre vie…
Courgette d’après Autobiographie d’une courgette de Gilles Paris (Plon, 2002, et J’ai lu, Poche)
S Mise en scène Paméla Ravassard S Avec Vanessa Cailhol, Florian Choquart, Garlan Le Martelot, Lola Roskis Gingembre, Vincent Viotti S Assistant mise en scène et création lumière Cyril Manetta S Scénographie Anouk Maugein S Costumes Hanna Sjödin S Musiques Frédéric Minière S Coach vocal Stéphane Corbin S Tout public à partir de 10 ans S Production Compagnie Paradoxe(s) S Coproduction Théâtre d’Auxerre – scène conventionnée Avec le soutien de l’ADAMI, la DRAC et la Région Bourgogne Franche Comté, le Département du Doubs, le Théâtre Dijon Bourgogne dans le cadre du plan de soutien aux compagnies régionales mis en place à titre exceptionnel en 2021 en partenariat avec le réseau Affluence B-F-C S En partenariat avec le théâtre de Châtillon sur Seine, le théâtre de Beaune, le Théâtre de Morteau, le Théâtre de Maisons-Alfort, le Théâtre de Landivisiau, le Théâtre des Béliers, le Réseau Affluence, le Réseau Scène O Centre… S Présenté au Théâtre de l’Opprimé à Paris dans le cadre du festival Phénix S Durée 1h30
À partir du 25 août 2023, mar.-mer. 20h, ven. 19h, sam. 17h & 20h30
Théâtre Tristan Bernard – 64, rue du Rocher, 75008 Paris