13 Mars 2025
Quand Karelle Prugnaud met en scène Feydeau avec des clowns et des acrobates dans un décor qui rend l’âme, la comédie humaine brille à l’état pur
Scène de ménage à la Feydeau
Tout commence par des malentendus entre époux. Monsieur Follavoine est affairé dans son bureau, croulant sous un monceau de paperasses, quand Madame déboule en déshabillé et bigoudis, seau de toilette à la main... Pour elle, il s’agit de purger Hervé, dit Toto, qui « n’est pas allé ce matin », pour lui de recevoir à déjeuner Monsieur Chouilloux, fonctionnaire au ministère des Armées. Il entend, par son intermédiaire, vendre à l'armée française des pots de chambre en porcelaine incassables de sa fabrication, destinés aux soldats.
Mais Toto ne veut pas de la purge et le repas d’affaire entre Chouilloux et Follavoine, après une séance inénarrable de pots cassés, tourne en course poursuite infernale entre les grandes personnes et le garnement constipé... C’est à qui lui fera avaler le laxatif... Monsieur Chouilloux y va de ses propres problèmes intestinaux, de sa cure à Plombières. La bonne s’en mêle sans plus de succès... Pour comble de confusion, la maîtresse de maison traite le visiteur de cocu... Tout part à volo.
Un jeu à tout casser
La mise en scène orchestre l’effondrement d’un monde qui vacille sur ses fondations. À commencer par le décor de Pierre-André Weitz, basé sur la scénographie du vaudeville, avec portes, placards et trappes pour les entrées et sorties des personnages. Les claquements de portes à répétition chères à Feydeau – il a titré une de ses pièces Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée – sont au rendez-vous.
Cette mécanique du rire se double ici de la tradition des « entrées de clown » que l’on trouve jusque dans les films muets de Charlie Chaplin, Buster Keaton ou des Marx Brothers. Karelle Prugnaud, non contente de régler des apparitions et disparitions intempestives, prend un malin plaisir à faire voler en éclats meubles, murs, portes, lustres... Au point qu’il ne restera que ruines de ces lambris sombres et de cette tapisserie à rayures rouges assortis aux costumes, du meilleur mauvais goût.
En piste, les comédiens se surpassent dans ce jeu de massacre : le jongleur Nikolaus Holz, spécialiste en ingénierie du ratage, est un Chouilloux à la triste figure, face à un Patrice Thibaud, sorte d’Auguste à la bonhommie placide (Monsieur Follavoine) ; Cécile Chatignoux, la servante accorte un peu demeurée, fait ouvertement de l’œil à son patron qui n’y voit que du feu ; Anne Girouard, en Mme Follavoine, ravissante idiote, minaude en tenue légère. Et, au milieu de ces imbéciles heureux, dans le rôle de Bébé, l’acrobate cascadeur Dali Debabeche (en alternance avec Martin Hesse) sème la zizanie.
Le comique, une tragédie à l’envers
Georges Feydeau (1862-1921) écrit On purge bébé en 1910, en pleine crise conjugale : après vingt ans de vie commune, il a quitté sa femme qui a pris un amant à la suite de ses nombreuses infidélités. Il loge désormais à l’hôtel. La pièce porte la trace de ce vécu douloureux et le comique ici ne repose plus seulement, comme dans ses premières œuvres, sur les recettes classiques du vaudeville, mais aussi sur la peinture – au vitriol – des caractères. « Il est totalement dépressif, dit la metteuse en scène. Il ne parle que de caca. C’est une drôle de métaphore. Elle est annonciatrice d’un désastre complet, mais elle est aussi novatrice. Il faut bien se vider pour se refaire, se renouveler… »
Karelle Prugnaud, en simplifiant l’intrigue – on ne verra pas Madame Chouilloux et son amant – se focalise sur les effets scéniques grotesques. Cette version circassienne instaure un jeu très physique entre les personnages. Dans son acharnement purgatif, une folie collective s’empare de ce petit monde en apparence civilisé. Toto est l’élément perturbateur qui dynamite littéralement son environnement. L’acrobate cascadeur, tel un singe échappé du zoo, passe à travers les murs, déboule violement d’un placard, renverse le canapé, arrache les portes, se balance au lustre. Il suffit de peu pour déstabiliser un équilibre social précaire. Et d’un enfant tyran pour mettre le monde à feu et à sang.
« Si tu veux faire rire, prends des personnages quelconques, place les dans une situation dramatique, et tâche de les observer sous l'angle du comique. Le comique, c'est la réfraction naturelle d'un drame », écrivait Feydeau. Karelle Prugnaud le prend au mot et, en utilisant le rire comme catalyseur de nos angoisses contemporaines, opère une espèce de catharsis burlesque salutaire. On rit de ce monde qui court bêtement à sa perte.
On purge bébé de Georges Feydeau S cie l’envers du décor / cie pré-o-coupé
S Avec Mr Follavoine Patrice Thibaud, Mme Follavoine, Anne Girouard,Toto (le bébé) en alternance Dali Debabeche / Martin Hesse (acrobate cascadeur), Mr Chouilloux (Militaire) Nikolaus Holz ,Rose (servante: Cécile Chatignoux S Mise en scène Karelle Prugnaud S Assistante Julie Senegas S Codirection artistique Karelle Prugnaud et Nikolaus Holz S Conseils dramaturgiques Jean-Pierre Han S Scénographie Pierre-André Weitz S Costumes Pierre-André Weitz assisté de Nathalie Bègue S Ingénierie du ratage - Laboratoire scénographique Nikolaus Holz S Création lumière Rodolphe Martin S Création musicale Rémy Lesperon S Texte chanson Tarik Noui S Chorégraphe : Raphaël Cottin S Régie décor Eric Benoit S Régisseur général : Vincent Van Tilbeurgh S Régisseur plateau Ludovic Perché S Régisseur lumière Gérald Groult S Construction décor Atelier du Grand T, Théâtre de Loire-Atlantique S Production Cie l’Envers du décor et Cie Pré-O-Coupé - Nikolaus Holz S Coproductions Le Grand T, Théâtre de Loire Atlantique, Nantes TAP, Scène nationale de Poitiers Scène nationale du sud Aquitain, Bayonne L’Agora – Pôle National Cirque de Boulazac Les Scènes du Jura - scène nationale – Lons le Saunier Châteauvallon-Liberté, scène nationale – Toulon L'ARC Scène Nationale du Creusot L’OARA - Office Artistique de la Région Nouvelle Aquitaine Théâtre du Bois de l’Aune - Aix en Provence Maison des Arts du Léman - Thonon - Evian - Publier - Scène conventionnée S Soutien Gare à Coulisses, Scène conventionnée d’intérêt national « art en territoire » art de la rue - Eurre / Archaos, Pôle National Cirque – Marseille
TOURNÉE
Création 6-8 mars 2025 L’Azimut - Théâtre Firmin Gémier, Antony
18 et 19 mars 2025 : scène nationale du Sud-Aquitain – Bayonne
25 et 26 mars 2025 : Les Scènes du Jura, scène nationale Lons-le-Saunier
28 et 29 mars 2025 : Théâtre du Bois de l’Aune – Aix-en-Provence
17 avril 2025 : l’Arc scène nationale Le Creusot
25 avril 2025 : Maison des Arts du Léman – Thonon
Du 14 au 16 mai 2025 : Châteauvallon-Liberté Scène nationale de Toulon
Du 20 au 22 mai 2025 : TAP Scène nationale de Poitiers
(Calendrier de tournée 2025-26 en cours…)