20 Février 2025
Le 6 février 2025 restera comme le jour où la presse musicale française a été décapitée. Fin 2024, les éditions Albin Michel ont racheté le groupe éditorial Humensis, qui avait acquis quelques années plus tôt trois titres spécialisés dans la musique classique : le mensuel Classica et les bimestriels Pianiste et L’Avant-Scène Opéra. Albin Michel aura mis cinq semaines avant de mettre fin à ces trois publications. Dirigé par Philippe Venturini, Classica est un magazine d’information rendant compte de l’actualité musicale sous forme de dossiers, interviews et portraits, sans oublier une riche rubrique de critiques de disques à la mesure du foisonnant paysage de la musique enregistrée. Avec Elsa Fottorino pour rédactrice en chef, Pianiste est une publication spécialisée qui s’adresse non seulement aux mélomanes mais aux praticiens du clavier, avec une vocation pédagogique qui fait un lien crucial entre le monde professionnel et la pratique amateur. Aujourd’hui animé par Jules Cavalié, L’Avant-Scène Opéra est, depuis 1976, un trésor national unique au monde, une collection d’ouvrages de référence que l’on garde dans sa bibliothèque ainsi qu’un outil indispensable pour les amoureux d’art lyrique comme pour les professionnels, chanteurs, chefs d’orchestre, metteurs en scène, directeurs de théâtre.
Quelques semaines plus tôt, en décembre 2024, c’est d’Opéra Magazine, mensuel d’information et de critique spécialisé dans l’actualité lyrique, qu’étaient venus des signaux peu rassurants, avec le licenciement du directeur de la rédaction historique, Richard Martet, et le départ du rédacteur en chef, Mehdi Mahdavi, en vertu de la clause de cession. Le magazine avait été racheté par le groupe Vendôme Publication, avec à la clé des projets de changement de ligne éditoriale.
Le Syndicat professionnel de la critique de théâtre, musique et danse, ne peut qu’être consterné par le très mauvais signal envoyé par ces décisions brutales. D’abord parce que c’est un appauvrissement considérable du paysage de la presse musicale classique. En effet, si rien n’est fait, ne restera plus que Diapason, mensuel d’information musicale parfaitement complémentaire de Classica, les deux ayant toujours eu leur public. Certes, l’époque où existaient en même temps Le Monde de la musique (disparu en 2009), Diapason, Classica et Répertoire (fusionné en 2004 avec Classica), est révolue depuis longtemps, et la situation difficile de la presse écrite est connue. Mais le pluralisme des sources d’information est salutaire et stimulant.
Ensuite parce que c’est un coup porté à l’exercice de la critique musicale comme discipline professionnelle, journalistique et informée : tout ce pour quoi se bat notre syndicat professionnel. Et c’est un débouché en moins pour plusieurs générations de critiques musicaux, dont une relève compétente et passionnée qui, après avoir fait ses armes sur des sites et blogs ne rémunérant pas les auteurs, avaient la perspective d’écrire dans des publications ayant pignon sur rue.
Enfin parce que c’est tout un écosystème déjà extrêmement fragile, qui risque d’être déstabilisé. Salles, festivals et organisateurs ont besoin de publications sérieuses pour faire connaître leur travail. Les artistes ont besoin d’un retour critique constructif et informé. Les tutelles qui financent (certes de moins en moins...) les théâtres lyriques et les orchestres demandent des revues de presse pour vérifier leur visibilité. Les attaché(e)s de presse ont besoin de supports pour mettre en lumière les artistes et manifestations dont ils ou elles font la promotion. Or, à quelques notables exceptions près, la couverture de la musique classique par les médias généralistes n’est allée qu’en diminuant ces dernières années.
La décision d’Albin Michel étant irrévocable, et conduisant au passage au licenciement économique des collègues salariés de ces revues, vers qui vont toutes nos pensées, doit-on se résigner et baisser les bras ? Certainement pas. Cette tribune ne sera utile que si elle ne s’en tient pas à l’expression d’une indignation. Notre espoir est qu’il se trouve des repreneurs ou des mécènes suffisamment convaincus de l’importance existentielle, dans le monde qui est le nôtre, de la culture en général, et de la musique en particulier, pour inventer un modèle économique permettant à ces publications essentielles de ne pas disparaître d’un clic sur un tableau Excel.
Syndicat professionnel de la Critique Théâtre, Musique et Danse
https://associationcritiquetmd.com