17 Février 2025
Des enfants et des jeunes Nanterriens entrent en scène. Avec deux spectacles sur mesure, des écoliers de CM2 jouent un montage de pièces contemporaines et les plus grands, un texte écrit à partir de leurs propos.
Le projet Page 92
43 enfants de 9 à10 ans, des écoles Lafontaine et Pâquerettes, dans le quartier du Petit Nanterre, ont investi le plateau en s’emparant de textes d’auteurs contemporains. Des morceaux choisis lors d’ateliers de théâtre par le dramaturge Philippe Dorin, rôdé au dialogue avec le jeune public, et la comédienne Anne-Sophie Robin qui, depuis des années, entraîne des élèves à la lecture à haute voix dans le cadre d’un dispositif « Écoute-moi lire », proposé aux écoles primaires. Page 92 a constitué un voyage dans les livres, une rencontre avec des écritures en tous genres : les mots de Marion Bonneau, Mehdi Charef, Daniel Pennac, Jacques Rebotier, Karin Serres se sont croisés avec ceux de Victor Hugo. Humour et fantaisie étaient au rendez-vous.
Nemetodorum. Y a-t-il une vie après la mort de Nahel ?
Un épisode dramatique a marqué la vie nanterrienne :la mort d’un adolescent de dix-sept ans, Nahel Merzouk, tué par balle à bout portant par un policier qui a ensuite invoqué le refus d’obtempérer et la légitime défense, rapidement contestés par les vidéos et les témoignages recueillis. Des émeutes avaient suivi, en France comme en Belgique et en Suisse, laissant un souvenir durable dans les mémoires. Cet événement est le point de départ de la création réalisée avec des adolescents et des jeunes adultes de Nanterre, avec, en arrière-fond, ces questions : à quoi les jeunes de Nanterre rêvent-ils ? comment vivent-ils dans une ville meurtrie par la mort tragique d’un des leurs et les révoltes qui en sont nées ?
Nicolas Sene, cinéaste et coordinateur de l’Espace jeunesse Picasso, a grandi lui aussi dans cette banlieue et tenait à faire entendre, sur scène, ce que la jeunesse avait à dire de ce drame et de leur vie en général : « On avait envie de savoir comment se reconstruit le quartier après ces événements ». Il a réuni une quinzaine d’ados et de jeunes adultes autour du dramaturge et romancier Noham Selcer, artiste associé au Théâtre des Amandiers. Au terme de quarante heures d’écoute et d’échanges, l’écrivain, à partir de leurs mots, a construit une pièce où chacun joue son propre rôle.
Nemetodorum n’est pas stricto sensu du théâtre documentaire, ce sont les paroles d’un groupe en action, d’où se détachent des individualités. « C’est un travail de coupe et parfois de reformulation, que j’ai toutes partagées avec eux », précise l’auteur. Adolescents et jeunes adultes s’en sont emparé sous la direction de Jade Herbulot et Julie Bertin, toutes deux issues du Birgit Ensemble. La compagnie, dont on a pu apprécier les Suppliques, crée aussi des spectacles destinés au jeune public – dernièrement le Scarabée et l’Océan, de Leïla Anis.
Ici, les metteuses en scène ont imaginé un traitement choral. Les quatorze interprètes représentent le corps social d’une ville chamboulée par la mort d’un des siens : ils se déploient sur fond de gratte-ciel et de paysages urbains, filmés par Nicolas Sene. « Nemetodorum », nom gallo-romain de Nanterre, signifie bourg sacré. C’est leur territoire, envers lequel ils ont un fort sentiment d’appartenance et qu’ils évoquent avec fierté : « La meilleure ville de France, dit l’un d’eux. Ma place est ici ». Ils veulent s’inscrire en faux contre la mauvaise réputation de leur territoire.
La pièce aurait pu s’intituler 22 juin 2023, tant la mort de Nahel a marqué les jeunes esprits. Certains le connaissaient personnellement et les « émeutes », ils y ont participé ou les ont, au minimum, observées de leur balcon. Avant que le spectacle ne commence, une fresque, projetée sur l’écran en fond de scène, représente, version manga, une ville en vrac, aux tours ébranlées, où souffle le feu avec, dans un coin, des casques de policiers. « Automutilation », titre l’une des séquences où, l’un après l’autre, chacun raconte ce qu’il a vu et ressenti... « Jamais vu ma ville en colère comme ça ! » « La police, huile sur le feu. » « Une génération qui souffre [...] on est tous des barbares. »
Puis, dans un deuxième temps, la troupe s’apaise : sur l’écran défile la ville filmée du ciel, tandis qu’un comédien la décrit avec amour, du point de vue d’un oiseau perché sur la tour Nuages. Les acteurs racontent leur quotidien, leurs aspirations, leurs projets d’avenir... Un gymnaste acharné détaille, avec force pompes, son entraînement à la salle de sport. Une jeune fille parle des petits plats de sa mère, une autre de sa meilleure amie... On se retrouve à la petite épicerie, on se promène dans un parc, on partage un repas... Une manière de montrer qu’il y a une vie après Nahel, dans cette ville, comme en témoignent ces portraits croisés, brossés avec vivacité et loin des clichés véhiculés par les médias.
Ces deux spectacles rendent visibles les liens que le Théâtre Nanterre-Amandiers tisse de longue date avec les habitants de la ville. On en a récemment eu un échantillon avec le projet Ouvrir les cahiers de doléances. Cinq écrivains, mandatés par le théâtre, avaient exploré les archives de la Ville pour rendre compte, sous forme de pièces de théâtre, des revendications des citoyens de la commune à l’adresse du Président de la République, au sortir de la crise des Gilets jaunes. Avec la Tête dans les nuages, ce sont les plus jeunes qui prennent la parole et, accompagnés par des artistes, ils montent sur les planches pour nous montrer avec acuité, humour et talent, un autre paysage de leur banlieue : images réconfortantes d’une ville qu’ils ont adoptée. Espérons qu’ils continueront à s’y sentir chez eux et à venir nombreux au théâtre comme lors de ce week-end chaleureux.
La Tête dans les nuages les 8 et 9 mars 2025 au Théâtre Nanterre-Amandiers. Créations participatives
Page 92 S Volet Enfance S Conception et mise en scène Anne Sophie Robin accompagnée par l’écriture de Philippe Dorin S Collaborateur artistique Thibault Ruhlmann S Regard chorégraphique Gilles Nicolas S Musique Eric Recordier S Textes de • Medhi Cheref, Rue des Pâquerettes, Edition Hors d’atteinte (2019). • Jacques Rebotier, Réponse à la question précédente, (2002) et Lithaniques, l’arbalète Gallimard (2000) • Daniel Pennac, Comme un roman, Gallimard (1992) • Philippe Dorin, Abeilles, habillez-moi de vous, L’Ecole des Loisirs (2010) et Ils se marièrent et eurent beaucoup, L’Ecole Des Loisirs (2005) et deux textes inédits pour le théâtre Nanterre-Amandiers • Marion Bonneau, Un printemps pour Jo, L’Ecole Des Loisirs (2022) • Karin Serres, le jardin de personne, Théâtre en court 3, Editions Théâtrales jeunesse (2008) S Durée 1h
Nemetodorum S Volet Jeunesse S Conception Nicolas Sene S Texte et adaptation Noham Selcer à partir de collectages auprès des participants S Mise en scène Jade Herbulot et Julie Bertin du Birgit Ensemble S Artiste graffeur nanterrien Delso S Création son Lucas Lelièvre S Durée 1h30
Un projet artistique initié par Christophe Rauck, directeur du Théâtre Nanterre-Amandiers S Coproduction Théâtre Nanterre-Amandiers - CDN, Birgit Ensemble - Espace jeunesse Picasso de Nanterre, écoles élémentaires Lafontaine et Pâquerettes de Nanterre S Durée 1h30