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Arts-chipels.fr

Les Petites Bêtes… Et les grands chagrins

Phot. © Anne-Cécile Pistenon

Phot. © Anne-Cécile Pistenon

Il était une fois une petite fille, sa grand-mère, sa mère... et le loup. Delphine Théodore met en scène trois générations de femmes sous l’emprise de la peur. Un conte initiatique pour rompre les chaînes de la culpabilité qui lient les mères aux  filles. Une première pièce étonnante.

Delphine Théodore a joué sous la direction de Zabou Breitman, Vincent Garanger, Guy-Pierre Couleau et Caroline Gonce et a obtenu une dizaine de prix d’interprétation pour divers courts métrages. Sa première pièce emprunte et renverse les codes des contes de Perrault ou de Grimm. On y retrouve, en particulier, les personnages du Petit Chaperon rouge.

La grand-mère, autoritaire et toute puissante, tyrannise la maman de la petite fille au point de l’infantiliser et d’en faire son esclave. Elle terrorise la fillette en évoquant les petites bêtes qui grignotent les morts dans leur tombe, et les grosses bêtes du dehors, qui propagent des maladies et dévorent les enfants tous crus... La gamine invente des stratagèmes mutilants pour ne pas grandir : si elle restait petite, sa mère ne vieillirait pas et ne serait pas, à son tour, la proie des petites bêtes...

Phot. © Anne-Cécile Pistenon

Phot. © Anne-Cécile Pistenon

Un conte de fées d’aujourd’hui

On entend, tout au long du récit, la voix enveloppante de Mathieu Amalric. Ses paroles, bienveillantes, égrènent les événements, sans commentaire, et mettent ainsi à distance les mécanismes d’emprise qui enchaînent tragiquement ces femmes les unes aux autres, dans le cercle vicieux de l’amour filial. Le texte, peu bavard, et les dialogues concis laissent toute sa place à l’imagerie et la scénographie convoque un univers un peu irréel.

La première partie du conte se déroule dans la pénombre d’un monde clos qui rétrécit progressivement. Côté jardin, trône le lit de la grand-mère qui accueillera aussi les cauchemars de la petite fille. Une machine à coudre et un mannequin de bois stigmatisent l’aliénation de la mère, forcée par l’aïeule de confectionner pour la fillette un manteau que, bien sûr, elle ratera, comme tout ce qu’elle entreprend pour satisfaire la vieille dame. Derrière la maison, on devine la forêt, pleine de dangers et de mystères. Dans ces bois ombreux, le loup apparaît, démesuré : une marionnette aux yeux perçants, manipulée par l’autrice metteuse en scène. Mais la grosse bête s’avère moins redoutable que les petites, celles qui rongent les trois femmes.

Comme souvent les vêtements dans les contes de fée, le manteau de la petite fille cristallise les problématiques. Mal taillé par la mère, réparé par la grand mère, il devient pour l’enfant une carapace protectrice qu’elle souillera de peinture rouge pour masquer « la maladie de la culotte qui saigne », survenue pendant la nuit. Il rétrécit au fil de la pièce pour signifier qu’elle grandit malgré elle.

Phot. © Anne-Cécile Pistenon

Phot. © Anne-Cécile Pistenon

Les larmes des mères et la leçon du loup

Par le trou de la serrure, la mère a assisté, dans son enfance, à une scène de violence qui a laissé des « bleus » à la grand-mère. Une peur sans nom s’est alors insinuée en elle, en même temps que la grand-mère refoulait ses plaintes. Pour ne pas ajouter à sa peine, elle s’est faite toute petite et obéissante, attitude reproduite par la gamine des Petites Bêtes. Chez ces femmes, le virus de l’autodestruction se répand, instillé par une aïeule toxique. « La forêt déborde des larmes des mères qui ne pleurent pas », dit le loup à la petite fille. L’animal lui apprendra à dire « Non » à toutes ces croyances inventées par les mères pour faire peur aux enfants. Le cercle infernal est rompu.

Cette belle leçon de vie est menée avec finesse par Delphine Théodore. Le jeu des actrices révèle les névroses des personnages. Orchestrés selon une mécanique précise, leurs déplacements et leurs gestes sont volontairement excessifs et révèlent leurs obsessions. Amandine Dewasme se renferme plus en plus dans l’angoisse, entre Claire Aveline, une vieille inquiétante, rigide et castratrice, et Louise Legendre, pauvre petite chose fébrile entre les griffes de la reine mère, source des traumatismes familiaux. Heureusement, « les petites bêtes sont mortes », pour le plus grand plaisir du public. Puisse le spectacle poursuivre sa carrière et la pièce être publiée.

Phot. © Anne-Cécile Pistenon

Phot. © Anne-Cécile Pistenon

Les Petites Bêtes
S Texte et mise en scène Delphine Théodore S Avec Louise Legendre, Amandine Dewasmes, Claire Aveline, et les voix enregistrées de Mathieu Amalric et Yannick Choirat S Marionnettiste et régie plateau : Géraldine Zanlonghi S Marionnettiste Delphine Théodore S Dramaturgie Valérie Théodore S Collaboration artistique Sandra Choquet S Scénographie James Brandily S Création lumières Pascal Noël S Création son Lucas  Lelièvre S Costumes Siegrid Petit-Imbert S Création marionnettes Sébastien Puech S Chorégraphie Rémi Boissy S Régie Philippe Lagrue S Régie son : Fabrice Naud S Production La Compagnie du Berceau S Coproduction Théâtre Dijon Bourgogne, Centre Dramatique National, Le Grand R, scène nationale de la Roche-sur-Yon S Avec le soutien de la DRAC Île de France et de l’ADAMI S Création au Théâtre Dijon Bourgogne, du 12 au 16 novembre 2024 S Durée 1h40

Du 8 au 24 janvier 2025
Théâtre 13– Bibliothèque, 30 rue du Chevaleret Paris 13e T. 01 45 88 62 22

Les 29 et 30 janvier 2025 Grand R, scène nationale de La Roche-sur-Yon

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