20 Février 2024
Avez-vous jamais fait partie des foules en furie qui hurlent et vocifèrent lors des concerts de variétés ? Stéphanie Aflalo vous offre de vous pencher sur votre comportement et sur ce qui le provoque – une forme d’ivresse cultivée par la star pour vous mettre en transe.
Stéphanie Aflalo aime à poser son regard sur les non-dits implicites mais néanmoins présents qui gouvernent nos relations et règlent nos comportements. Après s’être lancée dans un détournement de la disputatio philosophique et avoir appliqué au discours sur l’art son amour de la déconstruction, elle s’aventure dans une performance dedans-dehors dans le domaine de la musique, où elle met en scène à la fois son lien personnel à la musique et une lecture révélatrice des processus à l’œuvre dans la variété pop-rock et techno. C’est donc sur une scène nue où trône, en plein centre, un micro sur pied, éclairée par des jeux de lumière qui tournent et alternent, qu’elle va se produire.
De la frustration de l’attente comme un des beaux -arts
C’est entre deux attentes que prend place le spectacle. Dans le rôle de la star qu’on espère sur scène, elle diffère son entrée en scène, tarde à apparaître. Elle n’en « chauffe » pas moins la salle avec des formules mille fois entendues : « Bonsoir, Paris ! Est-ce que vous allez bien ? Est-ce que vous êtes là ? » qui suscitent, en fond sonore, des réactions de foule de plus en plus délirantes. Mais voici qu’elle pervertit le jeu en jouant du double sens de la présence du public dans un théâtre. « Vous auriez pu aller au théâtre », dit-elle. Et de poursuivre en alignant les pièces qu’on aurait pu voir puis en passant au cinéma. Elle poursuivra le jeu de l’absence et de ses raisons de plus en plus loin avant de, finalement apparaître sur scène. Et pour faire bonne mesure, bouclant la boucle, elle mettra à la fin du spectacle un temps infini à quitter la scène, jouant d’un air malicieux sur une sortie de scène qui n’en finit pas de finir alors que tout est consommé.
La déconstruction des codes du star system
C’est en petite abeille industrieuse – ou en fine guêpe – qu’elle apparaît enfin sur scène, comme un pied-de-nez aux costumes rutilants ou au contraire noir uniforme de tradition pour ce genre de spectacle. Rien ne manque à sa prestation de star : ni la connivence maintenue avec le public à coups de participations dérisoires autant qu’illusoires, ni les mimiques de la star portée par son chant, qui oscille entre graves et aigus, chuchotés pour soi et jetés à pleine voix, attitude christique ou repli sur soi-même. Elle se défonce, se donne à fond, s’offre au public – en holocauste ? – mais surtout, elle décale en même temps le message attendu du genre, ancrant sa prestation dans le quotidien le plus « ordinaire ». On passe des rimes pauvres issues de « mulet » aux médicaments pour soigner la migraine, d'un acrostiche burlesque de « Stéphanie » aux enfants torturant des chiens ou au nombre de dents de l’assistance.
Le temps de l’innocence est révolu
On se balade dans le manque d’empathie des bureaucrates, dans les méandres de l’anosognosie – pour dire l’incapacité où nous sommes de reconnaître la maladie dont nous sommes atteints, excusez du peu – et dans la cave des connaissances de Stéphanie Aflalo. On se glisse dans les thèmes du no future, on se répand dans les Vanités, on retourne à la poussière. En fond, sur l’écran, la vidéo dessine d’étranges paysages de points dont l’apparition semble réglée sur l’aléatoire ou la texture de la musique, une croix grecque de la star sacrifiée sur l’autel de son public. Les oiseaux les plus exotiques en voie de disparition, de leur côté, y font la nique aux slogans publicitaires comme pour désigner de la plume les méfaits de la société de consommation.
Retour vers l’enfance
Après avoir renvoyé dos à dos stéréotypes de star et connivence d’un public avide de participer comme il consomme, elle se plonge dans les tréfonds de l’âme humaine pour remonter, empruntant à une psychanalyse de bazar, aux origines premières, dans le ventre maternel. Avec le même humour malicieux et caustique, elle transporte le rapport de la star et de son public vers les relations parents -enfants, s’amusant des accidents génétiques dont nous sommes issus, nous rendant aux caprices qui sont autant de demandes de notre cerveau reptilien et achevant son parcours musical par la berceuse ad hoc qui endort les enfants. Ainsi se boucle le retour sur nous-mêmes auquel invite le spectacle en interrogeant les rapports d’une star et de son public. Le slam techno se défait et se désagrège. Il est temps de partir…
LIVE Concert performance
S Projet conçu par Stéphanie Aflalo S Écriture, jeu et composition musicale Stéphanie Aflalo S Création et régie vidéo Pablo Albandea S Collaboration musicale & régie son Léo Kauffmann S Création lumière Philippe Ulysse S Régie générale Romain Crivellari S Production johnny stecchino S Production déléguée Latitudes Prod.-Lille S Coproduction La Pop, La Villette S Avec le soutien de DRAC Hauts-de-France – la SPEDIDAM S Durée 1h20
Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt-Coupole – 2, place du Châtelet, Paris 4e
https://www.theatredelaville-paris.com/fr/spectacles/saison-2023-2024/theatre/live
Les 17 - 19/02 à 19h / dim. 15h & 21h - 23/02 20h
15 mars Festival Dañsfabrik, Brest