18 Juin 2022
À travers la quête d’un jeune chanteur yéyé pour retrouver sa mère, un voyage entre réalité et fantasme, vérité et mensonge plein de tours, de détours et de rebondissements.
À l’avant-scène, un ancien détective privé, Victor Zellinger, nous prend à témoin d’une curieuse histoire survenue au cours d’une de ses enquêtes en 1967. Il est chargé par un chanteur yéyé, Danny Valentin, de rechercher sa mère, disparue dans des conditions mystérieuses vers la fin des années 1950. Ce jour-là, elle prend un train pour une destination mystérieuse, demande à son fils de dix ans, lors d’un arrêt, de descendre du train et l’abandonne sur le quai de la gare. Une dizaine d’années plus tard, celui-ci lance le détective sur les traces de cet « évanouissement ».
Une intrigue à temporalités multiples
Entre le présent – 1989, le moment où Zellinger raconte son histoire –, 1967 – celui où Zellinger se lance à la recherche de la mère de Danny Valentin – et 1956-1957 – le moment où disparaît Simone Valentin, la pièce crée un chassé-croisé où présent et passés jouent à colin-maillard. Entre le studio d’enregistrement des années 1960 où Danny Valentin, artiste à succès, est en panne d’inspiration car la disparition de sa mère l’obsède, et la chambre d’hôtel à Budapest où il échoue, lancé par un détective dont on ne sait quelle part de vérité et quelle part de fiction il délivre, on naviguera d’un compartiment de train à un quai de gare, fumigènes à l’appui, dans Budapest envahie par les chars russes, réduite à ses architectures réalistes-socialistes, à travers des projections de films, ou dans l’hôtel tristement luxueux-socialiste-pour-étrangers dans lequel sont hébergés ces détectives improvisés. Les codes-couleur de ces années-là sont omniprésents, tout autant que la géométrie tapageuse des motifs décoratifs.
Une galerie de personnages en musique et chansons
Sont rassemblés là, outre le détective et son client, l’impresario du jeune homme et l’une de ses choristes et interprètes, ainsi qu’un personnage, censé mettre les chercheurs sur la piste de Simone Valentin, qui s’avèrera menteur fini et ivrogne invétéré. Le fantôme de la mère, inspiratrice disparue, hante les différents lieux de cette quête-voyage. Son leitmotiv musical, qu’elle interprète parfois elle-même au piano, ou que reprend son fils, accompagne la pièce. C’est en musique et en chansons, entre yéyé et pop que s’expriment les états d’âme. Ceux du jeune homme se font l’écho du mal-être et du désespoir d’une jeunesse qui peine à trouver sa place dans une société qui ne reflète pas ses aspirations. Les poncifs font florès. La jeune femme y est l’amoureuse sans espoir, l’impresario l’homosexuel grande folle qui se fait pincer la main dans la culotte.
Une société sous surveillance
Un personnage traverse la pièce, un mystérieux inconnu dont la première présence se manifeste dans l’inquiétante insistance avec laquelle il intervient dans le train qui emporte Simone et son enfant. On le retrouvera, dix ans plus tard, dans Budapest, dans la peau d’un policier politique pour qui tous les moyens, chantage et intimidation inclus, sont bons pour parvenir à ses fins : retrouver, lui aussi Simone Valentin, mais pour de tout autres raisons… Machiavélique, manipulateur, tranquillement maître-chanteur, il complète un tableau où chacun ou presque n’est pas ce qu’il semble être. Comme un deuxième texte, superposé à l’intrigue policière, ce qui se dessine, c’est l’histoire de l’insurrection hongroise de 1956, réprimée par les Russes, une manière d’évoquer la mainmise « soviétique » et les abus du « communisme », et de nous rappeler qu’aujourd’hui, ce qui se passe en Ukraine n’est pas si différent, même si les arguments « officiels » russes justifiant l’invasion ont varié…
Cependant, il arrive qu’à trop vouloir le forcer, le trait devienne too much. Une impression de pesanteur se dégage de ce portrait-charge plutôt appuyé et, même si l’on comprend que la comédie impose une certaine outrance, le traitement très simplificateur et caricatural fait, en particulier, de l’homosexualité de l’impresario dont l’attitude n’évite pas le poncif, est dommageable. Il n’en demeure pas moins que ces histoires emboîtées sujettes aux péripéties, rebondissements et retournements qui en modifient sans cesse l’approche offrent un pari d’écriture assez séduisant où, finalement, la seule vérité réside dans le théâtre…
Nosztalgia Express de Marc Lainé (texte édité chez Actes Sud Papiers)
S Texte, mise en scène & scénographie Marc Lainé S Avec Alain Eloy (L’inconnu du train qui roule les « r » et qui se révèlera être Zoltán Kondor), Émilie Franco (Daphné Monrose), Thomas Gonzalez (Hervé Marconi), Léopoldine Hummel (Simone Valentin), François Praud (Daniel « Danny » Valentin à 10, 21 et 43 ans), François Sauveur (János Pátkai et quelques autres Hongrois plus ou moins louches), Olivier Werner (Victor Zellinger à 45 et 65 ans) S Avec la participation de Farid Laroussi et Didier Raymond S Musique Emile Sornin (Forever Pavot) S Collaboration artistique Tünde Deak S Collaboration à la scénographie Stephan Zimmerli S Assistanat à la mise en scène Jean Massé S Assistanat à la scénographie Anouk Maugein S Costumes Benjamin Moreau S Lumière Kevin Briard S Son Morgan Conan-Guez S Maquillage et perruques Maléna Plagiau S Régie générale Kevin Briard et Vincent Ribes S Régie plateau Farid Laroussi et Didier Raymond S Habillage Barbara Mornet S Répétitrice russe Polina Panassenko S Equipe tournage Danny Valentin enfant Simon Viougeas, Cheffe opératrice Julia Mingo, Habillage Dominique Fournier, Construction décor et réalisation costumes Ateliers du Théâtre de Liège Construction décor du film Act’ S Production La Boutique Obscure, La Comédie de Valence – Centre dramatique national Drôme-Ardèche S Coproduction : Théâtre de Liège – Centre scénique de la Fédération Wallonie- Bruxelles; Théâtre de la Ville – Paris, Centre Dramatique National de Normandie-Rouen; Comédie de Béthune – Centre dramatique National Hauts-de-France; Théâtre National de Bretagne; Les Célestins– Théâtre de Lyon; La Passerelle – scène nationale des Alpes du Sud; La Filature Scène nationale Mulhouse; Comédie – Centre dramatique national de Reims S Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National S Avec le soutien du Carreau du Temple– Accueil studio S Avec le soutien de la DRAC Normandie, ministère de la Culture, de la Région Normandie et du Conseil départemental de l’Orne S Remerciements Les Indépendances – Clémence Huckel, Colin Pitrat et Florence Bourgeon S Création à huis clos le 19 janvier 2021 au Centre Dramatique National de Normandie-Rouen
Au Théâtre de la Ville-Abbesses – 31, rue des Abbesses, 75018 Paris
Du 14 au 23 juin 2022 à 20h
Rés. 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com