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Arts-chipels.fr

Tonton Manu. Portrait en fragments d’un jazzman emblématique de l’identité africaine et de la world music.

Tonton Manu. Portrait en fragments d’un jazzman emblématique de l’identité africaine et de la world music.

Le saxophoniste Manu Dibango est décédé le 24 mars 2020 des suites de la covid 19. Patrick Puzenat et Thierry Dechilly ont suivi, de 2013 à 2019, cet infatigable voyageur dans ses périples à travers le monde. Ils donnent à voir et à entendre, en même temps que le parcours de l’homme, le groove puissant pétri d’Afrique, mais aussi des cultures du monde de ce musicien hors pair.

Soul Makossa, composé en 1972, a fait le tour du monde. La face B du vinyle comportant l’hymne composé par le saxophoniste pour soutenir l’équipe du Congo lors de la 8e édition de la Coupe des Nations de football a beau avoir souffert de la fureur des supporters de football qui brisèrent le disque après l’élimination de leur pays, Manu Di Bango s’obstine et le place dans l’album qu’il enregistre pour Decca. S’inspirant d’un rythme makossa, mêlant musique issue d’une danse traditionnelle, musiques antillaise, latine, empruntant au jazz, au highlife et à la rumba, il donne au morceau un arrangement soul. Bingo ! 50 000 exemplaires sont vendus en France et des Afro-Américains l’importent aux États-Unis. Les disc-jockeys s’en emparent, avec un succès qui ne se dément pas. L’année suivante, Manu Dibango tourne aux USA. Le titre est « samplé » sur Wanna Be Starting Something de Michael Jackson, la version vidéo de Feelin’ So Good de Jennifer Lopez. Si, dans le film, Manu Dibango refuse de parler des procès et de l’arrangement financier qui les conclut, il n’en demeure pas moins que cet « emprunt » aura contribué à la notoriété américaine de l’artiste.

Tonton Manu © DR

Tonton Manu © DR

Au fil de six années…

Au cours des six années que nécessitera le film, dont cinq de tournage, Patrick Puzenat et Thierry Dechilly suivent Manu Dibango dans un périple qui l’entraîne au Brésil, où il explore les possibilités de l’orchestre symphonique, en concert avec son Big Band, au Symposium des Musiques Africaines, sur les marches de l’Olympia, en Chevalier de la Légion d’honneur, en ambassadeur de l’Unesco, parrain du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou ou en « grand témoin » de la Francophonie aux jeux Olympiques. Mais au-delà des lustres et des ors de la célébrité, c’est sa vie passée et son parcours qu’évoquent « Tonton Manu » et ceux qui l’ont côtoyé, dont l’ancien tennisman et chanteur Yannick Noah ou le rappeur Black M. Et si l’on sent chez lui une certaine satisfaction d’être reconnu, c’est d’abord en tant qu’artiste qu’il se revendique, et en tant que défenseur de la culture africaine, une culture qui est tout ce qui demeure quand l’histoire a poursuivi son cours et que la mémoire des grands hommes a été effacée par le temps. Ce qui reste, dit-il, c’est Beethoven et non les hommes politiques de l’époque, « la culture, c’est la vraie fortune ». Son refus d’un engagement politique « dur » vient de là, et de cette volonté de toujours inscrire les relations dans le sens de la convivialité et du dialogue et non de l’agression et de la violence. Cela ne l’empêchera pas de prendre position en participant aux disques qu’enregistre à Bruxelles le fondateur de l’African Jazz, le Congolais Joseph Kabassele Tshamala, dit « Grand Kallé » qui crée, au moment de la table ronde réunissant les leaders congolais et les autorités belges sur la question de l’indépendance du Congo, Indépendance cha-cha, le chant de ralliement de toutes les indépendances de l’Afrique et le premier tube panafricain, ou en étant partie prenante du concert « Libérez Mandela » à la Fête de l’Huma. Manu Dibango est le porte-parole et la voix de l’Afrique.

Tonton Manu © DR
Tonton Manu © DR

Tonton Manu © DR

« Nous sommes tous des êtres hybrides »

Qu’est-ce qui fait courir ce musicien à la jovialité naturelle de Paris à Douala, de Kinshasa à Rio et de New York à Saint-Calais, le petit village de la Sarthe où il a passé son enfance ? Né Camerounais, dans une famille protestante où l’on chante à l’église, propulsé à seize ans en France pour y faire des études – il y rencontre le jazz au grand dam de sa famille – il ne cessera de biaiser par rapport à la place traditionnelle qu’on réserve aux Africains. Sur le plan amoureux, il épouse la Belge et blonde Coco, encourant les difficultés des couples mixtes lorsqu’il séjourne à Kinshasa. Musicien, il joue avec Nino Ferrer et Dick Rivers. Il est le premier Africain invité à se produire à l’Apollo Theater, à New York. Il s’intéresse à la musique africaine traditionnelle, aux chansons venues de tout le continent, anime pendant vingt ans une émission sur Africa News. Il parle de ceux qu’il a aimés, et de cette Afrique qu’il porte au cœur, qu’il fait vivre et transmet dans sa musique. Mais cette Afrique-là, pour lui, n’est pas séparable de ce qu’il rencontre en tant que citoyen du monde. Chaque séjour dans un nouveau pays lui offre l’occasion d’une imprégnation nouvelle qui forme, avec son héritage africain, une synthèse qui n’appartient qu’à lui.

Tonton Manu © DR

Tonton Manu © DR

Encore et toujours de la musique

Au-delà du projet documentaire du film, c’est en zigzag au hasard du road trip que s’écrit l’histoire de Manu Dibango. Ces fragments, le spectateur les remet bout à bout et dans l’ordre pour reconstituer la chronologie de l’artiste, il reconstruit façon puzzle le parcours unique de cet octogénaire flamboyant. Mais ce qui frappe le plus, parce qu’elle traverse le film de part en part, c’est la qualité de cette musique qui emprunte à toutes les influences pour délivrer un discours propre, original, unique, incomparable. Le temps de voir passer un motif et de l’identifier, et tout aussitôt le voilà qui dérape, prend la tangente, fait l’école buissonnière. Swing, blues, musique cubaine, tout est bon pour cet artiste aux plus de cent albums qui rend hommage au Duke, à Charlie Parker et à Count Basie. Son saxophone souffle, chante, dévie, criaille parfois, s’envole et revient. Ampleur ou discontinuité, modulation et volume. On se glisse dans le son d’or qui émane de son instrument. Son saxo joue de tous les registres et dans tous les tons avec une plénitude sans égale. Une musique qu’on aimerait pouvoir écouter encore et encore, une fois l’écran redevenu noir. La griffe de Tonton Manu.

Tonton Manu © DR

Tonton Manu © DR

Tonton Manu. Un road movie dans les pas d’un géant. - 90 minutes - 2020

Un film documentaire produit et réalisé par Patrick Puzenat et Thierry Dechilly

S Directeurs de la photographie : Thierry Dechilly, Patrick Puzenat et Quentin Lepoutre S Directrice de Production Myriam Marin-Celibert S Documentaliste Juliette Fievet S Ingénieurs du son : Marc Apruzzese, Nordine Boukhidine, Thierry Dechilly, Patrick Puzenat S Coordinateurs de postproduction : Boris Pessine, Thierry Beaumel S Cheffe monteuse Stéphanie Deniel S Mixeur Toni Di Rocco S Étalonneur Tristan Donard

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