8 Septembre 2017
Il est toujours agréable, d’autant que l’occasion se fait rare, de voir un spectacle qui constitue une proposition novatrice, séduisante. La performance d’Oliver Augst allie le plaisir de la découverte à une stimulation intellectuelle revigorante.
Une nuit de mars 1933, agitée par la tempête, un homme dans une Mercedes noire se présente à la porte d’un hôtel modeste de Saint-Germain des Prés. Le compositeur Kurt Weill, qui collabora à Berlin avec Bertold Brecht en particulier à l’Opéra de quat’sous et à Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny. Escorté par le scénographe Caspar Neher, il vient de quitter l’Allemagne où les nazis ont pris le pouvoir et gagnera les États-Unis en septembre 1935. Durant ce court séjour, quelques commandes le relient au monde du spectacle en France : des chansons, mais aussi la musique de la mise en ondes radiophonique de Fantômas de Souvestre et Allain. Son séjour, contrairement aux succès acquis les années précédentes, n’est pas de tout repos. Lucien Rebatet, dans l’Action française, se déchaîne contre le « virus judéo-allemand » tandis que le compositeur français Florent Schmitt s’écrie en plein spectacle : « Vive Hitler ! »
Une performance radiophonique en direct
Sur scène, trois personnages : deux musiciens-conteurs et l’auteur. Ils nous disent une histoire faite de bribes, d’éclats de musique, d’échanges de correspondance entre Kurt Weill et Lotte Lenya, d’extraits de presse, de témoignages si totalement imbriqués qu’ils semblent ne constituer qu’un flot continu s’étalant sous la silhouette ricanante de Fantômas dont l’ombre anarchiste et destructrice plane sur la ville comme une menace. Nous parviennent les échos du travail musical de Weill à Paris, la Complainte de la Seine ou la Grande complainte de Fantômas (sur des paroles de Robert Desnos), Es Regnet (d’après Cocteau) ou des extraits chantés de la pièce de Jacques Deval, Marie Galante (1934). Un bruitage de disque qui gratte accompagne ces évocations tandis que les voix se colorent dans la tonalité si particulière de la radio de cette époque : plus sourdes, nasillardes, frappées… On découvre en même temps une fraction peu connue de l’œuvre de Weill et de son parcours et on retrouve, comme un limon déposé au fond de notre mémoire, des airs oubliés qui remontent à la surface telles bulles de savon multicolores et bigarrées.
Un Hörspiel très germanique
La référence à la distanciation brechtienne affleure en permanence. Récitatif théâtralisé, dramaturgie chantée et en musique, voix qui se refusent à l’univers du « beau » chant pour dire, entre paroles et notes, pour signifier : on est incontestablement en présence d’un véritable travail de recherche, d’un workshop où se montre, se questionne le propos et où la création est au cœur. Même si certains procédés peuvent s’avérer répétitifs au fil du spectacle, même si certains passages musicaux – la musique de Weill est aussi l’objet de transpositions, de transformations, une source d’inspiration qui passe outre la composition d’origine – irritent parce qu’on voudrait entendre un peu de la musique du compositeur brute, non traitée, l’ensemble n’en témoigne pas moins d’une forte identité qui nous saisit et nous entraîne.
Cette production, qui associe Français et Allemands, présentée en avant-première, mérite qu’on s’y attarde et qu’on en suive l’évolution.
Kurt Weill chasse Fantômas de Oliver Augst
Avec : Oliver Augst, Alexandre Bellanger (musique, turntables), Charlotte Simon (chant, paroles, arrangements électroniques).
Texte : Stereo Total. Dramaturgie : Astrid Ihle
Une production de textXTND en coopération avec la Maison d’artistes de Mousontum (Francfort-sur-le-Main), le Goethe Institut (Paris), Radio France Culture, la Rundfunk Berlin-Brandebourg, le Land de Hesse et Impuls neue Musik
Goethe Institut – 17, avenue d’Iéna – 75016 Paris
Le 7 septembre 2017