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Arts-chipels.fr

Fajar ou l’odyssée de l’homme qui rêvait d’être poète. Entre le Sénégal et l’Europe, l’exploration fantasmée des aubes métissées de nos exils.

Fajar ou l’odyssée de l’homme qui rêvait d’être poète. Entre le Sénégal et l’Europe, l’exploration fantasmée des aubes métissées de nos exils.

Ce beau spectacle d’Adama Diop nous entraîne, entre théâtre, cinéma, musique, chant et conte, et entre passé et présent, dans un monde onirique qui abolit les frontières entre les disciplines artistiques, les pays et les langues.

Une citation d’Aimé Césaire qui chemine sur la frange entre rêve et réveil ouvre la représentation de Fajar. « Fajar », c’est l’« aube » en wolof, la langue originelle d’Adama Diop. L’auteur nous parle des matins du monde d’un comédien et metteur en scène né au Sénégal, qui se forme en France à l’art dramatique et fait de ce pays sa nouvelle terre. À travers ce parcours qui pourrait commencer par « il était une fois » et qu’il transfigure en le faisant porter par un personnage de fiction qui est dedans-dehors par rapport à lui, il projette les images emmagasinées en même temps que fantasmées qu’il conserve dans sa mémoire pour raconter l’histoire d’un jeune homme nommé Malar, qui s’aventure au-delà de son pays natal dans l’Europe lointaine.

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Se vivre dans la différence

C’est dans l’accumulation des images qui déferlent et s’entrechoquent que naît l’histoire de celui qui quittera son pays pour la France. Tandis que nous suivons une mobylette transportant deux jeunes hommes dont l’un manipule un couteau, nous nous trouvons projetés dans le passé. « Pourquoi ai-je tout quitté du jour au lendemain ? », s’interroge l’auteur qui évoque la mort de sa mère, une mère-terre, un point d’appui, un lien qui se brise. Derrière surgit alors le décalage, qui  fait de sa différence une forme d'exclusion parce que les autres ne le perçoivent pas comme porteur de leurs valeurs, membre à part entière de leur communauté. Porteur d’autres références, d’autres attentes, il est un étrange étranger dans son propre pays, ni tout à fait disjoint de lui, ni complètement de l’autre côté.

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Les leçons de l’exil

Ce qui le porte, c’est la volonté de raconter la vie en partant de cet art qui enchante le monde : la poésie, celle qui fait des mendiants devenus « migrants » des rois au pays des rêves. Marianne, métaphore de la France, y joue le rôle d’un objet de désir, d’une jeune femme fascinante en même temps qu’insaisissable tandis que s’accumulent les nuages qui viennent obscurcir ces terres de cocagne tant imaginées : la dureté des camps pour ceux qui ont tout quitté et se trouvent parqués, privés de leur statut d’hommes, déshumanisés par un système inhumain, une Europe devenue synonyme de mort et de danger, où la discrimination au faciès et la longue litanie des « erreurs » policières et des assassinats est aussi une affaire de couleur de peau.

Le récit d’un homme piégé entre des mondes

Adama Diop trace le portrait d’un homme écartelé entre le monde et son désir de transcendance, entre un corps soucieux de ses attaches et un esprit qui s’évade, entre le soi-même et le quelqu’un d’autre, et qui pose ces questions éternelles : Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? La question du métissage traverse de bout en bout  l’oratorio filmique, théâtral et musical qui porte la pièce. Elle est dans le dialogue entre le wolof et le français, qui cohabitent dans le spectacle, dans le syncrétisme musical, porté par des musiciens et musiciennes inspirés, qui associe Rameau et Schubert au slam, dans la remontée d’entre les morts des divinités africaines qui se superpose aux grands buildings des cités modernes.

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Un auteur dealer de mots, d’images et de notes

Le métissage, il est dans la façon dont les mots s’échappent et se combinent en assonances et glissements sémantiques, échappant à l’ordonnancement « rationnel » des phrases, dans l’alliance des instruments européens entre eux – le violon, l'alto, le violoncelle et la guitare électrique – mais aussi avec des instruments africains – les flûtes mandingues ou le ngoni, un luth d’Afrique de l’Ouest utilisé par différentes ethnies. Il s’exprime aussi par le dialogue des formes. L’art de conteur du griot se combine avec le théâtre, des passerelles relient en permanence ce qui se vit sur scène et ce que projettent les écrans et le chant relaie le texte dit. Cette nouvelle terre, faite d’hybridations, de croisements et de dialogues vient ici, dans la beauté de son paysage, nous rappeler que c’est de cette matière mêlée et de toutes ces cultures que sont faits les hommes, et qu’en elle réside tout la richesse du monde…

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Fajar ou l’odyssée de l’homme qui rêvait d’être poète (Actes Sud, janvier 2024). Spectacle en wolof et français surtitré.

S Écriture, mise en scène et réalisation du film Adama Diop S Création musicale et interprétation Anne-Lise Binard (alto, violon, guitare électrique), Dramane Dembélé (ngoni, flutes  mandingues), Adama Diop (jeu), Léonore Védie (violoncelle, guitare) S À l’écran Emily Adams, Adama Diop, Cheikh Doumbia, Marie-Sophie Ferdane, Frédéric Leidgens, Boubacar Sakho, Fatou Jupiter Touré, Issaka Sawadogo, Joséphine Zambo S Scénographie Lisetta Buccellato S Son Martin S Hennart Lumière Marie-Christine Soma S Vidéo Pierre Martin Oriol S Costumes Mame Fagueye Ba S Conception des masques Etienne Champion S Chef opérateur du film Rémi Mazet S Musique électronique composée, interprétée et réalisée Chloé Thévenin S Collaboration artistique Sara Llorca S Création le 23 janvier à la MC:2 Grenoble – Scène Nationale S Production MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, MC2: Grenoble S Coproduction Théâtre Dijon-Bourgogne, CDN ; Théâtre-Sénart, Scène nationale ; Les Théâtres Aix-Marseille ; La Comédie de Saint-Etienne, Centre dramatique national ; L’Azimut — Antony/Chatenay-Malabry, Pole national Cirque en Ile-de-France ; Théâtre du Nord, Centre dramatique national Lille Tourcoing Hauts-de-France ; Centre dramatique national Normandie-Rouen ; Maison de la Culture d’Amiens S Production exécutive du film KEEWU production S Avec le soutien de l’Institut français — dispositif Des Mots a la scène S Remerciements à l’Odéon - Théâtre de l’Europe, Benjamin Bahloul, Randa Baas, Samy Etienne, Sara Llorca, Marcel Mankita, Jonathan Manzambi, Aida Nosrat, Youssef Si Ali S Durée 2h40

TOURNÉE

Bobigny | MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis | Du 28 fév. au 9 mars 2024

Évry | Agora-Desnos, Scène nationale de l’Essonne | Les 12 et 13 mars

Tourcoing | Théâtre du Nord, Centre dramatique national - salle de l’Ideal | Les 20 et 22 mars

Malakoff | Théâtre 71 - Scène nationale de Malakoff | Les 27 et 28 mars

Antony | L’Azimut | Le 4 avril

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