13 Mai 2024
Hatice Özer nous convie à une quête de ses origines turques, tendre et sensible, qui se confond avec son témoignage d’amour filial pour un père qui a tout abandonné pour leur faire une vie meilleure.
Lorsqu’elle pénètre sur la scène, Hatice Özer dessine avec de la terre le périmètre de l’espace dans lequel elle va évoluer. Car c’est bien de sa terre d’origine, la Turquie, dont elle va nous parler, et de ses traditions qui se confondent avec la figure du Père. Entre cérémonie du thé qui définit l’espace et qu’on partage avec les spectateurs, musique et évocation parlée, nous voici plongés dans un monde où seuls les hommes sont au café et où ils demeurent interminablement, enchaînant les histoires aux histoires. L’Anatolie centrale remonte à la surface, avec ses moutons, ses vaches et ses tracteurs, et les chansons célèbrent les fous d’amour à la manière de l’histoire de Majnoun et Leïla, un conte qui traverse tout le Moyen-Orient jusqu’en Asie centrale, des Arabes aux Azéris, des Turcs aux Tadjiks ou des Iraniens aux Pakistanais.
La musique au cœur
Sur scène trône un saz, ce luth qu’on rencontre aussi bien en Iran, en Irak, en Turquie qu’en Grèce, en Crimée, dans le Caucase ou dans les Balkans, un instrument au manche démesurément long et au ventre renflé qu’on utilise en pinçant les cordes en même temps qu’on utilise ses possibilités de caisse de résonance en le frappant du doigt. Parce que le conte, le chant et la musique sont partie intégrante de la culture turque. L’instrument est suspendu car, rapporte Hatice Özer, destiné à attraper les âmes, il ne doit pas toucher le sol. Le saz appartient à son père, qui en joue lors des célébrations les plus diverses de la communauté turque en Périgord, où ils se sont réfugiés. Entre l’instrument, son père et son histoire se tisse un fin réseau de relations que la jeune femme dévoile à travers le spectacle.
Des paroles d’exil et de reconstruction
L’histoire qu’Hatice Özer nous rapporte pourrait celle de milliers d’exilés. Pour faire une vie meilleure à sa famille, son père quitte la Turquie pour la France. Son exil donne à sa fille la possibilité d’une liberté qu’il ne comprend pas toujours mais qu’il accepte et qui la mène, elle, à Paris pour être comédienne. Lui, mutique et souriant, elle, volubile et sans cesse en mouvement, vont, chacun à leur manière, nous raconter une partie de leur histoire. À lui, la tradition transmise par la musique qui s’exprime lorsqu’il s’empare de l’instrument pour en jouer ; à elle, le récit, en turc et en français, qui mêle contenu des chants et histoire personnelle. De leur vie d’immigrés ou des difficultés qu’on imagine de leur installation en France nous ne saurons rien, ou presque – seulement, à la fin, qu’il répugnait à dire qu’il était ouvrier… Mais dans la relation du père et de sa fille survivra le monde perdu et la manière dont se construit leur rattachement commun à une même tradition culturelle.
Une histoire de transmission
Car la rencontre du père, c’est la remontée du courant vers les origines, un voyage entre deux eaux, celles du Périgord et celles d’Anatolie, l’histoire d’une reconquête. Dans la cérémonie du thé, dans le surgissement à la surface de ce qui fonde les histoires transmises – 60 % de vérité, 30 % de mensonge, 10 % de mystère –, dans la ritualisation du parcours musical établi du khâmmarât, ce lieu où l’on boit et chante devenu « cabaret », qui veut que se succèdent dans la musique la mélancolie, la tristesse puis la joie, inaugurée par le déplacement de la petite cuiller qui mélange le sucre dans le thé à l’horizontale, en la posant sur le bord du verre, le passé remonte, et avec lui la langue turque refait surface. Alors, dans l’évocation des djinns aux résonances homophoniques contemporaines, le visage effacé par l’eau du père reprend des contours et les mégots de cigarettes jetés dans les interminables séjours au café se métamorphosent en fleurs qui viennent joncher le sol. Ne reste plus alors qu’à les replanter, les enraciner dans le sol pour leur rendre vie. Le conteur du XIIIe siècle Nasrettin Hoca, avec ses personnages de faux naïfs et d’ingénus, trouve un prolongement dans le poète turc contemporain Nazim Hikmet. Parce qu'ils ont en partage que « Les chants des hommes sont plus beaux qu’eux-mêmes »…
Le Chant du père
S Conception, texte et mise en scène Hatice Özer S Musicien-interprète Yavuz Özer S Collaboration artistique Lucie Digout S Régie générale et création lumière Jérôme Hardouin S Régie son Matthieu Leclerc S Regard extérieur Anis Mustapha S Production déléguée CDN Normandie-Rouen S Coproduction Association la neige la nuit, Théâtre auditorium de Poitiers Scène nationale, L'Imagiscène – Centre culturel de Terrasson, OARA Nouvelle-Aquitaine, Le Préau, Centre Dramatique National de Normandie-Vire, la Soufflerie – Rezé S Résidences TAP à Poitiers, Thorigné-Fouillard « au Bout du Plongeoir » avec présentation publique , L'Imagiscène, Centre culturel de Terrasson, le Préau – Centre Dramatique National de Normandie Vire, Théâtre des 2 rives, CDN Normandie Rouen S Soutiens Itinéraires d'artiste(s) 2021 – Coopération Nantes- Rennes-Brest-Rouen, Studio Virecourt, Maison Maria Casarès S Le CDN de Normandie-Rouen est un EPCC (Établissement Public de Coopération Culturelle) subventionné par le Ministère de la Culture / DRAC de Normandie, le Conseil régional de Normandie, le Conseil général de la Seine-Maritime, la Ville de Rouen, la Ville de Petit-Quevilly et la Ville de Mont-Saint-Aignan.
Du 22 au 29 mai 202 4 ~ Théâtre national de Strasbourg (67)