20 Novembre 2024
Ce délectable spectacle, plein d’humour et de couleurs, mené tambour battant par un groupe de comédiens épatants, mêle, pour l’immense bonheur des petits comme des grands, théâtre, comédie musicale, marionnettes, dessin animé et effets magiques sur une petite mélodie qui traverse toute l’existence : qu’est-ce que ça veut dire, vivre et grandir, version enfant ?
Deux maisonnettes style cabanes en bois dessinées façon BD émergent de l’obscurité, de chaque côté de la scène, tandis qu’un carré de néon encadrant du vide apparaît au centre. L’espace ainsi défini est celui des apparitions-disparitions où les personnages prennent forme, le lieu de passage, comme le miroir d’Alice, la barrière invisible, parfois infranchissable, entre le réel et l’imaginaire le signe d’une temporalité néontique-néantique qui joue avec la chronologie et se joue d’elle. Car Jimmy, le héros de cette histoire, qui vient ici nous présenter sa famille, les « Normal » au grand complet, est tout sauf « normal ». Tout comme les autres membres de cette famille improbable qui sent furieusement ses années 1950-1960 dans un décor qui rappelle une Amérique imaginaire, avec ses escaliers de métal et ses enseignes au néon.
Une galaxie de personnages hauts en couleur
Il n’y a pas que leurs costumes, tout droit sortis d’un univers de comics avec leurs teintes vives et contrastées, oranges vifs, jaunes pétants, bleus électriques et autres tenues à carreaux et écossais, qui les distinguent. Car la famille Normal, qui compte, comme il se doit – même si bon, il y a d’autres schémas – un père et une mère, un fils et une fille, et un bébé en prime, n’est pas tout à fait comme les autres. D’abord le bébé est une marionnette, ensuite leur maison abrite un chien en peluche et un poisson rouge qui parlent ! et pour couronner le tout, même si les Normal semblent des individus comme nous, ils sont en réalité des toons, ces créatures sans épaisseur qui peuplent les dessins animés et ne vieillissent jamais. Un petit coup de néon grésillant et paf ! retour à la case départ ou presque, on prend les mêmes, on déménage et on recommence ! Et les jeunes toons, ils commencent à en avoir marre de déménager sans cesse et de perdre chaque fois leurs copains !
Brouillage de cartes, brouillage de cartoons
À partir du moment où les toons sont de chair et d’os, les frontières entre réel et imaginaire sont abolies et tout est possible. Jimmy, comme tout enfant, va à l’école. Il croise sur sa route Craig, le petit dur, le caïd qui use de son pouvoir sur les trop gentils, trop petits, trop doux, sur les nouveaux venus d’ailleurs. Lui n’est pas un toon, pourtant il ressemble comme deux gouttes d’eau aux enfants de cette famille bizarre. Chez les Normal, le père est au foyer et la mère travaille – normal ? – et c’est elle l’« inventrice » évidemment distraite qui met toujours au point des choses plutôt étranges. La potion du jour, qu’elle a mis par mégarde dans le biberon, distraction oblige, rend le bébé invisible. Mais sur Jimmy, qui en a pris aussi, elle a un autre effet. Voici qu’il ressent la douleur et se transforme : il grandit ! L’effet de la potion est-il permanent ? Et Craig dans tout ça, il fait quoi quand il découvre qu’il a affaire à des toons ?
La philosophie, à la frange entre réel et imaginaire
Les maisons se retournent comme des crêpes pour nous faire passer de l’extérieur à l’intérieur. Les murs sont tantôt imaginaires et tantôt réels. Les espaces à deux et trois dimensions se conjuguent. Les personnages prennent place sur des canapés de carton qui se déplient en accordéon, se promènent dans une ville qui semble tout droit sortie d’un film d’animation et marchent dans les airs, ce qui suscite des « oh ! » et des « ah ! » médusés dans la salle comme si tout ceci était presque « normal ». La grande force de la pièce, c’est de conjuguer les situations cocasses nées de cette histoire invraisemblable et loufoque avec des thèmes qui sont au cœur de l’enfance : les relations des enfants au sein de la famille, le harcèlement à l’école, les transformations qu’apporte le fait de grandir. Les enfants s’y reconnaissent et les quelque cinq cents têtes – blondes ou pas – présentes dans la salle ne s’y sont pas trompées : elles le manifestent avec un bel enthousiasme. La gageure d’un « grand spectacle » pour enfants est tenue et, dans une salle en délire, l’air de ne pas y toucher, le message philosophique est au bout du chemin.
Du 13 décembre 2024 au 5 janvier 2025. Les 13, 17, 23, 30/11 & 04/01 à 19h ; les 14 & 28/11 à 17h ; les 18, 19/11 (scolaires), 26, 27/11 & 03/01 à 14h30 ; le 15/11 à 15h30, les 22, 29/11 & 05/01 à 15h30 (brunch)
Théâtre Paris-Villette – 211, avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris www.theatre-paris-villette.fr