8 Février 2024
La scène est vide. Seul, un immense écran flotte comme par magie en fond de scène. Le dessin d’une petite fille à l’encre de chine, spécialité de Françoise Pétrovitch, se dessine petit à petit sur cet écran. Et puis elle est remplacée par d’autres dessins qui s’animent sous nos yeux et vont sortir du cadre systématiquement pour devenir incarnation. On est dans un univers fantastique où les dessins s’animent, où des êtres hybrides se mettent à bouger, où les rêves prennent formes. C’est comme si cette petite fille dessinait des animaux extravagants dont le prolongement sortirait de l’écran. Et ainsi on voit apparaître des bouts de membres humains qui complètent les corps de ces chimères dessinées. Ce sont des étranges créatures mi dessin, mi humain qui bougent et dansent sur l’écran mais aussi à côté.
Un entre-deux particulier propice aux rêves et à la poésie
Ce spectacle fait appel à ce coté imaginaire et magique de l’enfance. On est dans une poésie brute et lumineuse avec cependant un appel systématique à sortir du rang ; un peu paradoxal puisque tout se passe autant dans et en dehors de l’écran, dans et en dehors du cadre prédéfini. Le principe de prolonger le dessin avec le corps vivant d’un danseur donne de la vie au dessin, lui donne une dimension fantasmagorique et à l’inverse donne également un statut plus graphique aux corps des danseurs. On est dans un univers étrange, un entre-deux particulier propice aux rêves et à la poésie. Sylvain Groud explique d’ailleurs « qu’en donnant la responsabilité à une seule partie du corps (doigt, main, bras…) d’exprimer ce que le corps entier danse, on s’empare d’une magnifique contrainte et que son travail consiste à rendre le danseur conscient que toute l’intensité de son interprétation doit venir se loger dans la partie apparente du corps. »
Pour Françoise Pétrovitch, dans ce spectacle, l’écriture de la danse dépend directement de ce qui a d’abord été dessiné. Ainsi elle raconte que dans le processus créatif, ils ont ressenti le besoin de passer par une sorte de scénario écrit à trois. Ils se sont mis d’accord sur le déroulé du spectacle avant de passer à la production des vidéos. La précision étant de rigueur et l’improvisation impossible, il fallait que tout soit conçu, dessiné, mis en son et en image avant de pouvoir seulement commencer à danser. La chorégraphie est donc pensée étroitement et simultanément avec le dessin.
Un dispositif scénique aussi discret qu’intelligent
Le dispositif scénique est particulièrement sobre et « magique » côté spectatrices et spectateurs mais très complexe coté danseurs et danseuses. C’est une mécanique très précise qui frise la prouesse technique tant du côté de l’installation que des interprètes qui doivent se positionner très précisément sans vraiment voir l’écran. De plus, toute leur énergie corporelle doit passer dans ce peu d’élément du corps qui apparaît. Ainsi tout passe par une main ou un pied ou deux jambes. Prouesse technique aussi du côté de la lumière qui doit éclairer sans faire d’ombres parasites. Bref comme tout ce qui paraît si simple dans le spectacle vivant c’est parfois très complexe.
Ce spectacle est la deuxième collaboration entre Françoise Pétrovitch, artiste plasticienne et Sylvain Groud chorégraphe. Et leur première collaboration était le spectacle « Adolescent » que j’avais vu en 2022 où Françoise Pétrovitch avait fait les décors et les costumes et Sylvain Groult la chorégraphie. Pour le spectacle « Des chimères dans la tête » s’ ajoute un troisième complice Hervé Plumet, réalisateur et photographe.
Françoise Pétrovitch artiste plasticienne, est une des figures de la scène artistique française depuis les années 1990. Parmi les nombreuses techniques qu’elle pratique – céramique, verre, lavis, peinture, estampe ou vidéo – le dessin tient une place particulière avec ses encres immenses qui sont toujours à la frontière entre figuratif et symbolique, volontiers transgressives, se jouant des frontières conventionnelles en échappant finalement comme ses chimères à une interprétation simpliste. En 2018, elle est la première artiste contemporaine à bénéficier d’une exposition monographique au Louvre-Lens. Depuis quelques années, Françoise Pétrovitch réalise de monumentaux « Wall drawings » et de très grands ensembles, comme pour la Galerie des enfants au Centre Pompidou, le West Bund Museum à Shanghai et bien sûr pour le Ballet du Nord, CCN Roubaix Hauts-de-France pour la pièce Adolescent en 2019.
Hervé Plumet, réalisateur et photographe travaille au début de sa carrière dans plusieurs agences en tant que directeur artistique. À partir de 2009, il devient photographe et réalisateur indépendant et travaille essentiellement dans le domaine de la communication culturelle. Ainsi il collabore avec le Musée du jouet, la Manufacture de Sèvres et le Musée de la Chasse à Paris. En collaboration avec Françoise Pétrovitch, il réalise 5 vidéos dont une qui a été présentée dans le cadre de Marseille 2013. La première a été exposée au Musée de la chasse. La dernière, ECHO, est installée au musée MACVAL. En parallèle, il réalise plusieurs films engagés dans des causes militantes pour la LICRA, pour le CCFD contre les paradis fiscaux et aussi pour la Fondation Recherche Cardio Vasculaire, et pour la fondation Abbé Pierre dont il signe à la fois le film et les affiches. Son dernier film est contre les violences faites aux femmes pour la FNSF.
Sylvain Groud, directeur artistique et chorégraphe, diplômé du CNSMD de Paris, commence sa carrière aux côtés de Gigi Caciuleanu puis d’Angelin Preljocaj. Lauréat du Concours International de Paris avec sa première chorégraphie, il poursuit son travail de création autour de deux grands axes : les pièces in situ et la relation entre la musique et la danse. Avec sa compagnie MAD, il crée plus de 30 pièces entre 1994 et 2018. Il est nommé à la direction du Ballet du Nord, CCN Roubaix Hauts-de-France en 2018 et crée le spectacle participatif Let’s Move ! et le duo Dans mes bras. En 2019, il crée Métamorphose puis Adolescent, sa première collaboration avec Françoise Pétrovitch.
En 2020, en réaction à la crise sanitaire, il crée la pièce 4m² au Grand Bleu à Lille. Elle sera ensuite présentée dans des théâtres labellisés Scène Nationale et des festivals de danse mais aussi dans des lieux non dédiés : collèges, EHPAD, commerces…
Depuis 2020, il collabore avec le vidéaste Léonard Barbier-Hourdin pour la création de films chorégraphiques qui impliquent les habitants de la région : Symbiose, réveil sur le terril (avec 80 amateurs), Huis Clos (carte blanche proposée par le musée du Louvre-Lens), Bouge ton Bassin (pour les 10 ans de l’inscription du Bassin minier à la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO) … Cette démarche « pédagogique » tournée vers des publics plus éloignés de la danse contemporaine est à souligner.
Ainsi ces dessins d’enfants qui jonglent entre fantasmagories, cauchemars et poésie sèment le trouble, s’amusent en créant des illusions d’optique et jouent avec nos sens. C’est une envie de rêver, de se faire peur, de dépasser les interdits. On y retrouve comme un goût de notre enfance, comme une envie de lâcher prise, de se dépasser. Un seul petit bémol cependant, autant la chorégraphie avec Adolescent était juste et magnifique autant dans ce spectacle, j’ai trouvé que la danse était un peu en décalée d’avec les dessins et le dispositif artistique pour ne pas dire un peu en dessous. Mais que ce sentiment ne vous empêche pas d’y aller c’est un bon moment à passer en famille.
Distribution
Conception Sylvain Groud, Françoise Pétrovitch, Hervé Plumet
Chorégraphie Sylvain Groud
Dessins et costumes Françoise Pétrovitch
Musique, création vidéo Hervé Plumet
Lumières Michaël Dez
Réalisation costumes et accessoires Chrystel Zingiro et Élise Dulac assistées de Rachel Oulad El Mjahid et Capucine Desoomer
Direction technique Robert Pereira
Régie plateau Maxime Bérenguer
Régie son Rémi Malcou
Avec Quentin Baguet ou Julien-Henri Vu Van Dung, Charline Raveloson, Salomé Van Quekelberghe
Assistante chorégraphique Lauriane Madelaine
Tournée :
JE 08.02 > SA 10.02 Argenteuil, Le Figuier Blanc
MA 09.04 Pont-Audemer, L’Éclat
MA 23.04 > SA 27.04 Sartrouville, Théâtre Sartrouville CDN