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Arts-chipels.fr

Baùbo – De l’art de n’être pas mort. Variations oniriques et baroques sur le thème de la Passion.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Une lente dérive en noir et blanc mêle musique, théâtre, danse et performance. Mythologie et imaginaire s’y partagent un gâteau aussi drôle que surprenant et poétique.

Cela aurait pu commencer comme une histoire banale. Une jeune femme à l’avant-scène parle une langue qu’on ne comprend pas. Près d’elle, un traducteur s’emploie, avec quelques difficultés parfois, à rapporter l’histoire qu’elle raconte. Une histoire de passion dévoratrice et dévorante qui s’est soldée par un abandon et par des ravages que la narratrice expose. On cherche à deviner de quelle langue il s’agit d’autant que des sonorités slaves se mêlent à d’autres, moins identifiées. Mais c’est peine perdue. La jeune femme sur scène nous l’avoue : la langue qu’elle parle est imaginaire. Mais ce dont elle nous parle, la passion, a une réalité. Le spectacle peut commencer.

De la passion amoureuse aux passions en tout genre

De la tentation cocasse d’un suicide au harpon à la Passion mystique, d’Éros à Thanatos, de la douleur d’une mère affligée par la perte de son enfant à la question du désir chez Spinoza, on chemine dans un entre deux où morts et vivants se côtoient, où une assemblée de fantômes-fantasmes se cloue à un mur des « jubilations », où revient à la vie une divinité antique conjuratoire qui donne son titre au spectacle et fait du rire l’une des armes de la renaissance. Déméter affligée vit la passion de la perte de sa fille. En soulevant sa jupe pour lui montrer son sexe, Baùbo, tantôt nourrice de Déméter, tantôt prêtresse d’Éleusis, sort, par le rire que provoque cet acte, la déesse de sa torpeur sinistre et la rend à la vie.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

La contagion du rire

Les tableaux se succèdent, avec leur lot d’incongruités et de surprises, comme une série de visions plastiques dont le seul fil semble se tisser dans les dérives où vont puiser les prolongements de cet acte originel, premier, créateur, venu du fond des âges. Les trois Parques, armées de ciseaux, se mutilent mutuellement une oreille, comme en référence à Van Gogh. Les pommes de Newton voisinent avec une armure sans chevalier. Une femme aux seins coupés dévore sa propre poitrine. Le farcesque coexiste avec la beauté, les veuves affligées poursuivent avec une poêle à frire les œufs qu’elles portent sur la tête, Brueghel pointe le bout de son pinceau dans ces femmes qui montent à l’échelle et disparaissent dans des ouvertures pour observer subrepticement ce qui se passe sur la scène. Le spectateur erre dans un chaos organisé dont il n’a pas les clés mais où il se laisser porter et qui rejoint cette incertitude du lieu, du temps et de l’espace où nous nous trouvons.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Une création qui prend sa source dans la musique

Les improvisations qui s’organisent et s’affinent pour devenir spectacle s’enracinent dans la musique. C’est en partant de l’œuvre de Heinrich Schütz, un compositeur, généralement considéré comme le plus grand musicien allemand antérieur à Jean-Sébastien Bach, actif au XVIIe siècle, auteur de trois Passions (Saint Matthieu, Saint Luc et Saint Jean), que s’élabore la recherche qui fonde le spectacle. Sa musique, qui oscille entre polyphonie renaissante et récitatif baroque, fonds germanique et influences italiennes – il étudie la musique à Venise – qui auront par la suite aussi leur part dans la musique de Dietrich Buxtehude et chez le jeune Bach qui en sera l’élève, trace ce chemin dans le temps et l’espace. Si elle en fait percevoir la beauté, la recherche musicale va bien au-delà, débordant la simple reprise des compositions sources, mélangeant sonorités contemporaines et anciennes. Le violon baroque se combine avec le saxophone alto, la guitare, la batterie et la contrebasse tandis que la voix lyrique de Pauline Leroy, mezzo-soprano, entame un dialogue avec d’autres voix qui sont aussi celles des acteurs. Inséparable du déroulé inclassable du spectacle, entre comédie, tragédie antique, évocation surréaliste, citations, performance, la musique incarne ce voyage que le spectacle enrichira, entre les mondes païen et chrétien, entre le renoncement et le désir, entre la mort et la vie.

Ainsi, cet OSNI, cet Objet Spectaculaire Non Identifié, qui n’est ni ni mais tout à la fois ne peut être regardé à la seule aune du sens. Multidirectionnel et polymorphe, il est acte créateur dans lequel le spectateur doit trouver son propre chemin. Folâtrant hors des sentiers battus, il est école buissonnière. Au spectateur de savoir s’il souhaite ou pas en mâchonner les brins d’herbe en se laissant ravir par le chant des oiseaux.

Baùbo – De l’art de n’être pas mort - Jeanne Candel - la vie brève

S D’après des œuvres de Buxtehude, Musil, Schütz et d’autres matériaux S Mise en scène Jeanne Candel S Direction musicale Pierre-Antoine Badaroux S De et avec Pierre-Antoine Badaroux, Félicie Bazelaire, Prune Bécheau (les 6 & 8 décembre 2023) en alternance avec Perrine Bourel, Jeanne Candel, Richard Comte, Pauline Huruguen, Pauline Leroy, Hortense Monsaingeon et Thibault Perriard S Scénographie Lisa Navarro S Costumes Pauline Kieffer S Assistant costumes Constant Chiassai-Polin S Création lumière Fabrice Ollivier S Collaboration artistique Marion Bois et Jan Peters S Régie générale et plateau Sarah Jacquemot-Fiumani S Production la vie brève - Théâtre de l’Aquarium S Coproduction Théâtre National Populaire, Villeurbanne ; Tandem, scène nationale Arras-Douai ; Théâtre Dijon Bourgogne, CDN ; Comédie de Colmar - CDN Grand Est Alsace ; Festival dei Due Mondi, Spoleto (Italie) ; NEST Théâtre - CDN de Thionville - Grand Est ; Théâtre Garonne, scène européenne – Toulouse S Construction du décor aux ateliers de la MC93 - Bobigny en collaboration avec la vie brève - Théâtre de l’Aquarium ; réalisation des costumes aux ateliers du Théâtre National de Strasbourg, avec des costumes prêtés par le Festival dei Due Mondi, Spoleto (Italie) S Avec l'aide à la création du ministère de la Culture, le soutien du Centre National de la Musique, de la SPEDIDAM, de la Ville de Paris, du Théâtre National de Strasbourg et de l’ONDA – Office national de diffusion artistique pour la création de l’audiodescription du spectacle. Avec la participation artistique du Jeune théâtre national S Remerciements Théâtre du Soleil, Jean-Jacques Lemêtre et Marie-Jasmine Cocito, Adrien Béal, Jean-Brice Candel et Léo-Antonin Lutinier S Création au Tandem, scène nationale Arras-Douai - Théâtre d’Arras, le 30 janvier 2023

Dans le cadre de Bruit, le festival de l'Aquarium qui mêle théâtre et musique (30 novembre 2023-24 mars 2024)

Du 2 au 10 février 2024 Du mercredi au samedi à 20h30, dimanche à 17h (sf 07/02)

Théâtre de l’Aquarium – Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris

www.theatredelaquarium.net

TOURNÉE

Les 20 et 21 février 2024  au NEST Théâtre - CDN de Thionville

≈ Les 30 et 31 mai 2024 à la Comédie de Colmar

≈ Les 29 et 30 juin 2024 au Festival dei due Mondi, Spoleto (Italie)

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