10 Juillet 2018
L’adaptation que propose l’Opéra-Comique offre une vision rajeunie et ramenée à l’essentiel de l’opéra italien. Elle recentre avec bonheur l’action autour de ces jeunes gens pleins d’espoir à qui la pauvreté est servie en partage.
Mimi brode dans sa chambrette lorsque sa chandelle s’éteint et qu’elle débarque chez son voisin pour lui demander du feu. Rodolphe écrit des drames qu’on ne lira jamais car ils finissent en fumée pour réchauffer les combles glacials et venteux où il séjourne avec ses amis, le peintre Marcel, Colline le philosophe et Schaunard, le musicien qui revient les poches pleines de ses virées à la barrière de Paris avec Milord l’Arsouille, l’excentrique Anglais. Quant à Musette, elle incarne la grisette légère immortalisée dans la pierre près du canal Saint-Martin, insouciante et gaie, vivant de l’air du temps et d’expédients dont la prostitution n’est pas le moindre. Ces personnages, campés par Henry Murger, incarnent la jeunesse romantique que l’auteur croque en son temps, tout comme Gautier les dépeindra dans les Jeunes France. Un monde d’espoirs vécus dans le dénuement le plus total et que guette, sorcière impitoyable, la phtisie comme on la nommait alors, la tuberculose comme on dirait aujourd’hui.
De déplacement en déplacement
Lorsque la suite d’histoires qui compose les Scènes de la vie de bohème paraît en feuilleton en 1851, elle accompagne et dépeint la deuxième génération romantique, celle qui a fait les belles heures du chahut d’Hernani, plongée cinq heures durant dans le noir dans la salle de spectacle avant que le lustre ne descende des cintres. Ces jeunes gens insouciants, peintres, poètes, musiciens, les poches vides mais pleins d’espoir étaient le symbole d’une jeunesse triomphante faisant fi des valeurs bourgeoises et du monde des « parapluies », leur accessoire emblématique. C’est à une première translation que procède le spectacle, situant l’action au moment où l’opéra de Puccini est joué, à Turin comme à l’Opéra-Comique à Paris, au tournant du siècle, au moment où émerge le monstre d’acier symbole de la modernité : la Tour Eiffel. Comme pour dire une histoire qui n’a pas d’âge et pourrait être de tous les temps. S’y ajoutent les « entorses » faites à l’opéra de Puccini avec la volonté assumée de rendre l’opéra plus accessible, plus populaire, plus orienté vers la jeunesse. La langue a été modernisée. Les chanteurs – essentiellement les membres de la Nouvelle Troupe Favart – ont l’âge de leurs personnages et la juvénilité joueuse qui convient. Les chœurs ont disparu, les séquences annexes de la vie parisienne aussi, resserrant l’action autour des protagonistes. Des trente-sept instruments de la composition initiale, on est passé à treize et l’accordéon, instrument populaire, a fait son apparition. L’émotion n’en est pas moins intense lorsque Mimi mourante rejoint son Rodolphe, les duos gardent leur charme délicat et les morceaux des deux sopranos la magie du bel canto.
La nostalgie d’un Paris fin de siècle passée au filtre des médias contemporains
Lorsque le spectacle commence, de grosses masses noires encombrent la scène. Elle s’animeront pour devenir tout à tour une fenêtre à laquelle apparaît un personnage, une rue parisienne avec son chapelet de boutiques et de bistrots, les murs qui tombent de la chambre sous les toits où résident les jeunes gens. La fée Électricité est passée par là, et avec elle la vidéo qui recrée des lieux, anime le noir. Fonctionnel, le dispositif n’en est pas moins inventif et beau. On se replonge dans cette atmosphère de Paris qui appartient aux chansons des goualeuses avec beaucoup de plaisir, on goûte de voir la fumée s’échapper des cheminées, la silhouette inachevée de la Tour Eiffel dresser son squelette d’acier dans un rougeoiement crépusculaire, la neige déployer son rideau sur la scène et les fleurs du printemps éclore quand l’hiver est dans les cœurs. Cette chambrette dont ne demeure que la charpente de bois, chichement meublée auprès d’un poêle rarement rougeoyant, a la vérité de ces lieux estudiantins meublés de bric et de broc où, il n’y a pas si longtemps, l’eau était encore à l’étage, au bout d’un couloir.
S’en dégage une profonde humanité, celle de ceux qui n’ont rien et donnent cependant ce qui leur reste – une paire de boucles d’oreille, un vieux manteau – pour aider ceux qui sont plus démunis encore. S’y dessine en pointillés le drame du no future, qui hante nos générations. S’y mêlent ces histoires de femmes à qui la société ne laisse pas de place, qui se débattent au fond d’un puits sans fin, sans issue, sans espoir. Ce qui avait commencé comme une aimable comédie légère – je t’aime tu m’aimes, on se dispute et on se réconcilie, je ne t’aime plus mais je t’aime quand même, on se sépare et on revient, on s’attire et on se repousse – devient l’évocation d’une génération sacrifiée, aux espoirs amenuisés, qui s’interroge légitimement sur son avenir. On ne peut rester de marbre devant la foule de sensations qui nous assaille. L’émotion nous saisit et elle est belle parce que le spectacle est beau.
Bohème, notre jeunesse d’après Giacomo Puccini, opéra en quatre tableaux
Adaptation musicale : Marc-Olivier Dupin
Mise en scène : Pauline Bureau
Décors Dan Ettinger, Costumes Alice Touvet, Lumière Bruno Brinas, Vidéo Nathalie Cabrol, Dramaturgie Benoîte Bureau
Avec : Mimi (Sandrine Buendia), Rodolphe (Kevin Amiel), Musette (Marie-Ève Munger), Marcel (Jean-Christophe Lanièce), Colline (Nicolas Legoux), Schaunard (Ronan Debois)
Orchestre : Les Frivolités parisiennes
Opéra-Comique, 1, place Boieldieu – 75002 Paris
Tél. 0 825 01 01 23. Site : www.opera-comique.com/fr
Les 11, 13 et 17 juillet à 20h, le 15 juillet à 15h
Tournée 2019
16 et 17 avril 2019 : Théâtre Jean Vilar, Suresnes
16 et 17 mai 2019 : Théâtre Montansier, Versailles