7 Juillet 2018
En présentant cette exposition sur l’UAM , qui rassembla nombre de figures marquantes parmi les peintres, architectes, artisans d’art, joailliers et décorateurs de la première moitié du XXe siècle, le Centre Pompidou nous replonge dans l’effervescence créatrice qui agita la France à cette époque.
Le début du XXe siècle porte la marque profonde de l’irruption de la modernité. Apparition du cinéma, découverte du processus de montage et du choc des séquences, naissance d’une esthétique industrielle qui ne s’affirme pas encore comme telle, remise en question du naturalisme et du réalisme… le mouvement, la vitesse et le rêve d’un affranchissement de l’homme par le développement de la machine contribuent à l’effervescence qui secoue le monde de l’art. Ce mouvement cependant n’émerge pas à partir de rien. Le terrain a été labouré par d’autres, il ne reste plus qu’à l’ensemencer.
Entre contemporanéité et volonté de créer un art total
Déjà les impressionnistes avaient choisi de représenter le présent au détriment des scènes mythologiques ou historiques qui formaient la trame de la « grande » peinture, de montrer le monde moderne et les personnages d’aujourd’hui. Scènes de rue, de parc, de théâtre ou de l’Opéra, vues de la gare Saint-Lazare et des panaches de fumée des locomotives ajoutant au modernisme métallique du Pont de l’Europe… le spectacle du monde s’était invité à la table de la peinture…
Déjà l’Art Nouveau prônait l’alliance de tous les arts pour inventer une nouvelle manière d’être au monde, où les circonvolutions fleuries, les motifs ondulants, les libellules et autres insectes envahissaient les bouches de métros, les façades d’immeubles, ornaient le mobilier, décoraient les intérieurs. Le refus de la ligne droite dévorait tout, de la façade à l’architecture intérieure, comme dans le cas de la Pedrerá (Casa Mila) de Gaudí à Barcelone, où les murs intérieurs retrouvaient une souplesse non géométrique qui revoyait au reste du décor intérieur.
Déjà la fonctionnalité et la sobriété, alliées à une volonté de production destinée à tous animaient la Wiener Werkstätte de Josef Hoffmann et Kolman Hoser, la standardisation et de la démocratisation s’inscrivait dans la volonté d’unir l’art, l’artisanat et l’industrie du Deutscher Werkbund auquel participèrent Peter Behrens, Walter Gropius et Henry Van de Velde.
Une volonté d’unité totalisatrice – totalitaire ? – s’était emparée du monde de l’art. Arts majeurs et mineurs confondus travaillaient à la réalisation d’un projet global qui formerait la trame de la vie de ses usagers, habillerait leur regard comme leurs costumes ou les objets qui les entourent.
Un acte de naissance dû au hasard
Les artistes qui fondent l’Union des artistes modernes ne sont pas fédérés en mouvement. Ils n’ont ni manifeste ni chef de file. Il y a des architectes comme Robert Mallet-Stevens, Eileen Gray, Pierre Chareau ou Charles-Edouard Jeanneret dit Le Corbusier, des décorateurs comme Sonia Delaunay, des créateurs de mobilier comme André Lurçat, Charlotte Perriand, Pierre Chareau, Jean Prouvé ou René Herbst, avec des passerelles entre les genres pour chacun qui en disent long sur la globalité de la démarche esthétique, les affichistes comme Jean Carlu, Francis Bernard ou Cassandre, les joaillers comme Jean Després, Raymond Templier ou Jean Fouquet, les relieurs tels Rose Adler et Pierre Legrain, les sculpteurs, tels Jean-Lambert Rucki, Gustave Miklas ou Constantin Brancusi et même les photographes (Roger Parry, Pierre Boucher, Laure Albin-Guillot).
Le refus du Salon des Arts Décoratifs en 1929 d’autoriser pour le Salon un regroupement d’artistes tournés vers la modernité provoque la naissance de l’Union des Artistes Modernes et la création de salons autonomes où coexistent les arts majeurs et mineurs sans hiérarchie. Après la guerre, à travers l’exposition Formes utiles en 1949, le même esprit de synthèse se perpétue en conviant de nouveaux artistes, tels Miró et Calder. Le succès est au rendez-vous mais le groupe se délite. Formes utiles prend son indépendance en 1956 et l’UAM disparaît en 1958, à la veille de l’avènement de la société de consommation. La standardisation a digéré les velléités révolutionnaires pour recracher du modèle uniforme. Le nombre a gagné sur l’innovation…
Un agrégat de personnalités aux démarches divergentes
Constituée avant tout pour défendre l’innovation contre un immobilisme ambiant, l’UAM rassemble des artistes aux préoccupations divergentes. Si les architectes témoignent d’une ouverture vers l’habitat social, qui donnera naissance, après la guerre, à ces baraquements de fortune destinés à héberger toute une population à la rue du fait des dommages de guerre, d’autres s’orientent vers le marché du luxe. Les deux aspects ne sont d’ailleurs pas antinomiques. Les architectes comme Mallet-Stevens ou Le Corbusier réalisent de luxueuses villas pour leurs clients sans abandonner pour autant la volonté de créer de nouveaux espaces destinés au plus grand nombre.
Le cinéma, vitrine de la modernité
Quel médium mieux que le 7e art pouvait incarner l’art moderne ? L’Inhumaine, de Marcel Lherbier (1923), consacre son avènement. À travers l’histoire assez tarabiscotée d’une hautaine cantatrice pleine de mépris pour ses prétendants qui tombe finalement amoureuse d’un jeune savant qui lui sauvera la vie après qu’un jaloux maharadjah l’aura faite empoisonner par un serpent, c’est toute la modernité qui s’expose. Outre la science salvatrice, le décor est un chef d’œuvre du modernisme. Il faut dire qu’une bonne partie de la bande de l’UAM s’y est mise. Robert Mallet-Stevens a sollicité pour l’occasion Pierre Chareau, Fernand Léger, Jean Lurçat, Joseph Cszaky et Paul Poiret. Quant à la musique, elle est de Darius Milhaud. Les affiches de Jean Burckhalter et de Djo Bourgeois proclament le modernisme. Le film survivra dans les mémoires par la seule grâce de ces apports qui en font un monument de l’histoire du cinéma.
Des artistes engagés
Nombreux sont les membres de l’UAM qui ont des sympathies communistes, socialistes ou anarchistes. Francis Jourdain fonde en 1927 l’association « Les Amis de l’URSS », Jean Lurçat et Charlotte Perriand voyagent en URSS. Quant à Jean Carlu, militant pour la paix, il crée en 1932 l’Office de propagande graphique pour la paix et présente une affiche « Pour le désarmement des nations ». Ils sont progressistes, antifascistes, engagés et ce n’est pas un hasard si le Front populaire leur offre la possibilité de construire un pavillon à l’Exposition internationale de 1937 où seront exposés des objets usuels. Ils seront la cible de nombreuses attaques de la part des partisans d’un art moins « révolutionnaire ». Aux reproches de « pauvreté esthétique » et de « style clinique » s’ajouteront les propos xénophobes, y voyant un art de l’étranger, taxé de « bolchevisme ».
On l’aura compris, l’exposition du Centre Pompidou est passionnante. À travers les objets, croquis, maquettes, photos, affiches, qui suivent un parcours historique traversé de focus – les luminaires et la lumière, vases et vaisselle pour une réinvention du quotidien – c’est une partie de l’histoire des années 1900-1960 qui s’écrit. Elle nous raconte d’où nous venons mais elle nous parle aussi des espoirs que nourrissait cette génération d’artistes, de leur farouche croyance en un progrès salvateur qui passerait par la modernité. Vue du XXIe siècle, postmoderne et désabusé, cette quête maximaliste d’un minimalisme fonctionnel et rationnel a des allures vaguement inquiétantes d’un retour à l’ordre dont il faut grandement se méfier s’il ne laisse pas place au désordre créateur, mais qu’on peut comprendre dans le contexte d’espoir de son temps…
UAM, une aventure moderne
30 mai – 7 août 2018
Centre Georges Pompidou, Galerie 1 – Place Georges Pompidou – 75004 Paris
Ouvert tous les jours sauf le mardi 11h-21h, nocturne le jeudi jusqu’à 23h
Tél. 01 44 78 12 33. Site : www.centrepompidou.fr