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Arts-chipels.fr

Vernon Subutex. Une adaptation réussie de la trilogie éponyme de Virginie Despentes.

Cie Livsnerven © Rodolphe Haustraete

Cie Livsnerven © Rodolphe Haustraete

Entre rock et marginalité, Elya Birman et Clémentine Niewdanski ont su capter le ton particulier de cette autrice qui se tient au côté des vaincus et des laissés pour compte.

« Souviens-toi, Vernon, on entrait dans le rock comme on entre dans une cathédrale, et c'était un vaisseau spatial cette histoire. »

Ils sont cinq comédiens et un musicien campés sur un plateau ou rien ne joue le réalisme. En jeans et tee-shirts comme jeunes et moins jeunes d’aujourd’hui dès lors qu’ils n’ont pas à se déguiser pour aller au bureau. L’histoire qu’ils vont raconter, car c’est bien d’une narration qu’il s’agit, est tirée des trois volumes consacrés par Virginie Despentes à Vernon Subutex.

L’autrice, c’est une enfant terrible avant d’être celle de la littérature. En rupture dès son adolescence, rebelle, déscolarisée, errante, alcoolique, passionnée de rock, allant de petit boulot en petit boulot, entre punks et autonomes, elle se construit néanmoins après un viol qu’elle déclarera « fondateur » et dont elle dira, vingt ans après : « C’est à la fois ce qui me défigure et me constitue ». En 1992, elle écrit son premier roman, Baise-moi, qui donnera lieu à un film qui fait scandale. En 2015, elle entame la publication de sa trilogie, Vernon Subutex, dont le dernier volume ne paraîtra qu’en 2017. Entre-temps, elle aura connu le succès avec King Kong Théorie, qui signe l’avènement d’un nouveau féminisme, et Apocalypse Bébé, Prix Trop Virilo et Renaudot 2010.

Virginie Despentes, à travers tout son parcours, est non consensuelle et Vernon Subutex appartient à la catégorie des romans dont le style et le contenu sont à eux seuls un résumé de l’époque.

Cie Livsnerven © Rodolphe Haustraete

Cie Livsnerven © Rodolphe Haustraete

Le roman d’un disquaire à la dérive

Vernon Subutex – du nom d’un produit utilisé pour le traitement de la dépendance aux opiacés, le prénom faisant référence au pseudonyme des débuts de Boris Vian, Vernon Sullivan – a été un disquaire célèbre parisien des années 1980. Mais la crise du disque l’a laissé sur le carreau et il survit grâce aux subsides d’un de ses amis, chanteur de rock en vogue, qui lui paie son loyer, Alex Bleach. Mais Bleach décède en lui laissant pour tout patrimoine un enregistrement sonore réalisé un soir de défonce, au contenu mystérieux mais qui excite bien des convoitises.

Privé de ressources, Vernon fait le tour de ses ex et de ses anciens copains, un réalisateur sans talent, un producteur véreux et un trader plein aux as qui chante money, money à qui veut l’entendre, chaque fois pour quelques jours, parce qu’il n’est « que de passage », prétend-il. Il finit chez les sans-abri où il trouvera, au milieu des clochards qui l’initient à la vie dans la rue, un lieu où il s’enfonce progressivement dans la misère malgré un retour en disc-jockey christique qui électrise les foules.

Ses rencontres, au sein de ce voyage au bout de la nuit, croiseront les routes d’autres personnages aussi décalés les uns que les autres tandis que la course à la cassette battra son plein en raison de l’exploitation possible de son contenu.

Des trois volumes du roman au contenu touffu et éclaté qui rassemble plusieurs histoires, le condensé qui forme la matière du spectacle se concentre sur le personnage de Vernon et sur la critique aussi percutante, acide et impitoyable que drôle d’une société où dominent la consommation, l’argent et le capitalisme.

Cie Livsnerven © Rodolphe Haustraete

Cie Livsnerven © Rodolphe Haustraete

En paroles et musique

Vernon Subutex est indissociable de la musique rock, qui jalonne les trois livres de bout en bout comme l’évocation d’un âge d’or – celui des années 1980 pour Virginie Despentes et son personnage – où l’importance de vivre le moment présent en partageant la musique, sans projection vers l’avant et sans retour en arrière, donnait au temps plus d'insouciance et invitait à une communion par la musique remplacée par le règne du chacun pour soi et par l’empire de l’arrivisme et du fric.

La musique accompagnera le spectacle de bout en bout, replongeant le personnage dans sa culture mais aussi rythmant à la batterie ou à la guitare élctrique les différentes étapes de la pièce dont la structure se démarque d’une forme théâtrale « classique ».

Le choix fait par l’adaptatrice et l’adaptateur, qui assurent aussi la mise en scène, est de conserver la forme développée par Virginie Despentes : celle de la narration, qui permet à la langue si particulière de l’autrice d’impulser son rythme au spectacle et de conserver les images choc que Virginie Despentes dispense avec une ironie jubilatoire et iconoclaste. Des formules telles que « C’est dur de coucher au-dessous de soi » – entendez avec quelqu’un au-dessous de sa condition – ou cette réflexion sur le vieillissement qui vous place en marge d’une société où le jeunisme est la règle – « Passé quarante ans, tout le monde ressemble à une ville bombardée » – font mouche.

Cie Livsnerven © Rodolphe Haustraete

Cie Livsnerven © Rodolphe Haustraete

Une mise en scène chorale et efficace

C’est au micro, dans une mise en situation qui rapproche la narration du concert et crée une mise à distance, que les actrices et acteurs, à tour de rôle, s’emparent du texte de Virginie Despentes. L’histoire qu’ils racontent, ils la prennent en charge collectivement sans en être les acteurs, sauf lorsque de narrateurs ils passent à personnages, et ils nous la balancent à rythme soutenu comme s’ils couraient le marathon. Pour dire sans reprendre haleine ce texte de l’urgence devant un monde qui s’en va par tous les bouts.

Ça percute, ça bouge, ça se répond et les petits morceaux de dialogues qui apparaissent au fil de la narration viennent comme des phylactères de BD, des bulles dans des cases illustrées où le récit constituerait le cartouche.

Jamais ils ne sont les personnages qu’ils jouent. Il leur suffit d’un accessoire, d’une écharpe enroulée autour du cou, d’une casquette, pour passer d’un personnage à l’autre et transformer leur jeu, leur manière de dire le texte. Mais à chacun sera dévolu un personnage et lorsqu’il reviendra sur scène, la même comédienne ou le même comédien reprendront leur rôle.

Dans ces tracés rapides, jetés au vent de la représentation, le décor est à l’avenant. Un praticable légèrement surélevé suffit à indiquer l’appartement où vit Vernon, l’éclatement de ses objets dans l’espace renverra au moment où il erre, sans domicile fixe. Un panneau de tôle ondulé, tagué, en fond de scène, renverra à l’espace de la rue. Point n’est besoin de plus pour faire avancer cette histoire qui renvoie dos à dos nantis et laissés pour compte. Au public de faire son chemin dans ce royaume du démuni et du précaire.

À ceux qui n’ont jamais lu la trilogie de Virginie Despentes, le spectacle apportera l’incandescence d’une écriture qui déverse, sans fioriture, l’évocation à couper le souffle d’un monde en crise. À ceux qui l’ont lue, elle apportera un souvenir fidèle dans l’esprit à défaut de la lettre, qu’on a plaisir à découvrir.

Vernon Subutex D’après les romans Vernon Subutex de Virginie Despentes
S Mise en scène et adaptation Elya Birman et Clémentine Niewdanski S Avec Elya Birman, Jean-Christophe Laurier, Nolwenn Le Du, Pauline Méreuze, Clémentine Niewdanski et Vincent Hulot à la musique S Scénographie Estelle Gautier S Création musicale Vincent Hulot S Création sonore David Maillard S Lumières Zoë Robert S Costumes Elya Birman et Clémentine Niewdanski S Diffusion Pascal Fauve - Prima Donna S Production Compagnie Livsnerven S Coproduction Comédie de Picardie - Amiens et Centre culturel Juliette Drouet - Fougères S Partenaires Ministère de la Culture, DRAC Pays de la Loire, ADAMI déclencheur, Jeune Théâtre National S Accueils en résidence CDN Théâtre des Quartiers d'Ivry, Théâtre des 2 Rives - Charenton-le-Pont, TRPL - Cholet, Théâtre Millandy – Luçon S Durée 1h30 S À partir de 14 ans

Du vendredi 3 au vendredi 31 octobre 2025. Mer. 21h15, jeu. 21h15, ven. 21h15, sam. 21h15
Théâtre de Belleville - 16, Passage Piver, Paris 11e
Rés. theatredebelleville.com 01 48 06 72 34
TOURNÉE 7 février 2026 à Thorigny-sur-Marne

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