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Arts-chipels.fr

Le Château des Carpathes, un autre regard sur Jules Verne.

Phot. © Simon Gosselin

Phot. © Simon Gosselin

Émilie Capliez met en scène et en images un Jules Verne gothique et romantique sur la musique d’Airelle Besson. Un défi relevé avec talent par une équipe artistique en harmonie et porté par huit comédiens et musiciens

Du conte populaire à la science-fiction

Émilie Capliez, codirectrice de la Comédie de Colmar, a un penchant pour le fantastique : après Little Nemo ou la vocation de l’aube, d’après la bande dessinée de Winsor McCay et L’Enfant et les sortilèges, opéra de Ravel sur un livret de Colette, elle s’attaque à un roman peu connu de Jules Verne, inclus dans la série des cinquante-quatre Voyages extraordinaires. Moins épique que Vingt mille lieues sous les mers ou Voyage au centre de la terre, le Château des Carpathes flirte avec le romantisme gothique et nous entraîne dans un petit village, au cœur de la lointaine Transylvanie, dominé par un mystérieux château. Pas de vampires, ici – Dracula de Bram Stoker sera écrit cinq ans plus tard, en 1897 – mais de la sinistre bâtisse parviennent des bruits insolites, s’échappent d’étranges fumées. De quoi terroriser les habitués de la petite auberge où se prépare une noce...

Dans ce paysage pittoresque de montagnes et de forêts, survient un voyageur, Franz de Telek. Le hasard fait bien les choses, le jeune homme ayant eu maille à partir avec le propriétaire du château, le baron de Gortz. Il a rencontré cet inquiétant personnage à Naples, dans le sillage d’une jeune et belle cantatrice à la voix envoûtante : la Stilla. La fascinante jeune femme, qu’il voulait épouser, est morte en scène, comme foudroyée. De terreur ? D’amour ? On ne sait. Mais son image et son chant continuent de hanter la suite du roman, par la magie d’un savant de génie, inventeur d’une machine extraordinaire. Nous basculons alors en pleine science-fiction. Les trois cents pages de Jules Verne sont ici ramenées à un spectacle d’une heure et demi qui met en tension l’ambiance rustique des Carpathes, l’univers sophistiqué de l’opéra italien et un futurisme technologique. Une narratrice omniprésente nous guide d’un monde et d’une péripétie à l’autre. Condensé grâce à des scènes dialoguées et le recours à des images vidéo, le récit se double de bribes de texte, souvent en caractères gothiques, projetées sur le décor. Ils donnent une couleur d’époque à ces aventures palpitantes et renvoient à la lecture du roman.

Phot. © Simon Gosselin

Phot. © Simon Gosselin

Un conte musical illustré

Coupant court à de longues descriptions, la scénographie nous balade d’un lieu à l’autre. Elle utilise un vieux procédé qui consiste à faire descendre les décors des cintres. Un toit de chaume avec une cheminée qui fume, et nous voici à l’auberge du village. Une maquette de château convoque notre imaginaire. Un panneau où se découpent des balcons d’opéra nous transporte au Teatro San Carlo de Naples...

Le spectacle s’ouvre sur un paysage à la Caspar David Friedrich : les pieds dans les nuées, un berger vêtu d’une houppelande rencontre un colporteur. Le marchand ambulant lui vend une « lunette d’approche » qui va permettre aux villageois de voir au-delà de leur vallée, et d’observer le château maudit... Ainsi commence le Château des Carpathes, introduisant d’entrée la technologie dans ce coin perdu. C’est qu’il y a toujours, dans les romans de Jules Verne, le goût du voyage et de l’aventure mêlé à la science et à une quête de modernité. Ce mélange des genres permet à la metteuse en scène de jongler avec les styles. Elle utilise avec parcimonie la vidéo pour des effets spéciaux, correspondant aux subterfuges technologiques visuels et sonores que l’auteur introduit dans son récit.

La musique emprunte le même trajet. La trompettiste Airelle Besson, lauréate des prix Django-Reinhardt de l’Académie du jazz et Révélation des Victoires du Jazz, a composé des thèmes jazzy pour ponctuer les différentes séquences dont, en ouverture, un magnifique solo de trompette. Elle a écrit, pour la mort de la Stilla, un air d’opéra baroque, chant du cygne spectaculaire interprété en direct par Emma Liégeois, figure évanescente comme la cantatrice du roman. Les scènes napolitaines sont dialoguées en italien, plongeant le spectateur dans l’univers des grandes divas. Les instrumentistes Julien Lallier (piano), Adèle Viret (violoncelle) et Oscar Viret (trompette) se fondent dans le récit : leurs apparitions et disparitions subreptices contribuent à la magie des trucages. De même, les comédiens, qui endossent plusieurs rôles, jouent à cache-cache avec leur image qu’ils voient démultipliée sur des écrans mobiles.

Phot. © Simon Gosselin

Phot. © Simon Gosselin

Une discrète touche de féminisme

Pour subvertir le point de vue du romancier sur les femmes, male gaze qui n’a rien d’étonnant à son époque, l’adaptation d’Émilie Capliez et Agathe Peyrard a opéré de subtils changements, attribuant aux héroïnes, d’ailleurs peu nombreuses, une part plus active dans cette histoire. L’aubergiste devient un personnage féminin, Carmen (interprétée par Fatou Malsert), et assure aussi la narration. La pièce donne la parole à la Stilla, muette et réduite à un pur fantasme masculin, dans le roman. Les deux amoureux de la diva, chacun à sa manière, tentent de posséder l’objet de leur désir. Franz en l’épousant, le baron de Gortz en la poursuivant d’un regard fasciné d’oiseau de proie, qui la tuera, et en se l’accaparant, post-mortem, via des artifices technologiques. « Je suis une artiste, je suis libre », répond la diva à Franz quand il lui demande sa main. Et quand, au finale, son image et sa voix disparaissent à jamais, elle est, dit la narratrice, « libérée » des regards masculins. Cette élégante touche de féminin ne gâte en rien le fantastique et le suspense convoqués par le Château des Carpathes, rendus ici avec talent et justesse.

Phot. © Simon Gosselin

Phot. © Simon Gosselin

Le Château des Carpathes d’après Jules Verne S Théâtre musical et familial S Mise en scène Émilie Capliez S Composition musicale Airelle Besson S Adaptation Émilie Capliez en collaboration avec Agathe Peyrard S Scénographie Alban Ho Van S Lumière Kelig Le Bars S Vidéo Pierre Martin Oriol S Création son Hugo Hamman S Costumes Pauline Kieffer S Dramaturgie musicale et assistanat à la mise en scène Solène Souriau S Avec François Charron* (Franz de Télek / Patak), Emma Liégeois (La Stilla / Miriota Koltz), Fatou Malsert (Carmen), Rayan Ouertani* (Rotzko / Orfanik / Frik / Nick /Deck), Jean-Baptiste Verquin (baron de Gortz / maître Koltz), Julien Lallier (piano), Adèle Viret (violoncelle), Oscar Viret (trompette) S Production Comédie de Colmar - CDN Grand Est Alsace S Coproduction Théâtre National Populaire - Villeurbanne, Théâtre de Lorient - CDN, Les Gémeaux - Scène nationale de Sceaux, Théâtre du Jeu de Paume - Aix-en-Provence, Théâtre d’Arles, Théâtre des Quartiers d’Ivry - CDN du Val de Marne S Durée 1h30
*membres de la jeune troupe #4

TOURNÉE
27 février-8 mars 2025 Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace (68) création
25 et 26 mars 2025
Comédie de Valence – CDN Drôme-Ardèche (26)
2-4 mars 2025 Opéra-Théâtre de Saint-Étienne, en collaboration avec La Comédie de Saint-Étienne (42)
8-17 avril 2025 Théâtre National Populaire de Villeurbanne (69)
6 & 7 mai 2025 Opéra de Dijon (21)
15 & 16 mai 2025 Bonlieu - Scène nationale Annecy (74)
8 & 9 octobre 2025 Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence (13)
14 & 15 octobre2025 Théâtre d’Arles (13)
5-7 décembre 2025 Les Gémeaux - Scène nationale de Sceaux (92)
10-14 décembre 2025 Théâtre des Quartiers d’Ivry - CDN du Val-de-Marne (94)
16-19.décembre 2025 Théâtre de la Cité, CDN Toulouse Occitanie (31)
14-15 janvier 2026 Théâtre de Lorient - CDN (56)
27 janvier 2026 Le Carreau - Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan (57)

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