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Arts-chipels.fr

Dance Marathon Express. Entre danse et conte, le poids d’un système, celui de notre temps.

Phot. © Anaïs Baseilhac

Phot. © Anaïs Baseilhac

C’est dans la dynamique de la chorégraphie, intimement mêlée à la musique et au récit, que Kaori Ito propose un voyage à rebours d’un siècle dans l’histoire du Japon.

Ils apparaissent les uns après les autres sur le plateau, presque en catimini, lutins facétieux et rieurs venus nous proposer avec un ensemble parfait des figures chorégraphiques où la course et le mouvement sont des clés. Pieds bien ancrés dans le sol, parfois martelant le plateau en cadence, bras et têtes doués de vie propre entraînés dans un mouvement qui joue la cassure, ils avancent vers le public, lancés dans une course qui ira s’accélérant à mesure que le temps passe. Les danseurs sont propulsés dans un marathon émaillé par les musiques à succès qui émaillé la mémoire japonaise populaire.

L’idée du marathon de danse rappelle On achève bien les chevaux, où l’on voyait des couples s’affronter par la danse jusqu’au bout de leurs forces dans des compétitions où l’enjeu était la survie quotidienne dans une Amérique en crise. Ici la compétition est individuelle et s’exprime à travers une course dans laquelle, à chaque étape, un danseur est éliminé. Mais ce marathon est d’abord une plongée dans le passé du Japon à travers ces variétés que tous ont fredonnées et qui ont imprégné la vie quotidienne. À travers ces chansons et musiques qui ont marqué chaque décennie s’écrit une partie de l’histoire artistique, grand public, du Japon. À mesure que le marathon remonte le temps, les danseurs éliminés, réfugiés aux toilettes pour cacher leur chagrin, y découvriront un livre, qui à son tour contera une histoire dont le contenu sera livré à la dernière étape du marathon, à l’évocation des années 1930.

Phot. © Anaïs Baseilhac

Phot. © Anaïs Baseilhac

Une création internationale

En 2020, au départ du projet, on trouve une coproduction franco-japonaise et le désir de Kaori Ito de créer une collaboration entre des danseuses et des danseurs venus d’horizons et de cultures éloignés. Ils seront originaires ou résidents, pour ce Marathon, d’Extrême-Orient et d’Europe, de Suisse, de France ou des Pays-Bas, mais aussi du Japon et de Corée du Sud, un pays voisin du Japon aux relations historiquement difficiles avec le Japon par le passé. La participation de Kwangsuk Park, connu sous le nom de BBoy Issue, a donc aussi une valeur symbolique dans l’évocation du syncrétisme de la variété japonaise d’aujourd’hui, d’autant qu’une séquence de danse est consacrée dans le spectacle à la danse coréenne. On y voit se produire un danseur travesti en jeune fille dans un costume très typique des jeunes filles de ce pays, dans leurs tendres couleurs adolescentes toutes en nuances de rose et la peluche accrochée à la ceinture, face aux costumes plus violemment colorés et géométrisés des autres interprètes.

Cette présence des deux continents aura aussi un rôle à jouer dans cette remontée du temps en tableaux qui vont se succéder. Car raconter à travers la danse et la musique de variété un siècle de d’histoire du Japon conduira aussi Kaori Ito à s’intéresser à la place qu’occupe l’Occident dans l’esthétique japonaise du dernier siècle. La culture japonaise ne cessera pas de faire des emprunts à la musique européenne et occidentale, avec une chanson d’Édith Piaf en version japonaise ou un Tokyo Boogie-Woogie qui reprend les rythmes américains à la mode, avant que les années 1980 et les suivantes ne présentent un combat chorégraphié et burlesque entre le Japon et l’Occident. Quant à la danse elle-même, elle empruntera tout aussi bien aux traditions de la danse classique sur pointes qu’au hip-hop, qui viennent se mêler aux formes plus typiquement japonaises de déplacement du corps, dont la lenteur acrobatique du butô.

Phot. © Anaïs Baseilhac

Phot. © Anaïs Baseilhac

Un voyage dans la variété japonaise

C’est à travers le double filtre de la musique et de la danse que Kaori Ito met en place ces modes musicales, révélatrices de l’état d’esprit de la société japonaise et des répercussions que cette évolution a sur la culture populaire. En remontant le temps, on passera de l’époque contemporaine, marquée par le hip-hop et la breakdance, à l’émergence de la culture queer avant de remonter vers les années hippie et de se plonger, encore plus en arrière, dans les années d’après-guerre puis d’avant.

À chaque étape, l’évolution des costumes marque le passage du temps. L’écran qui surmonte la scène et les éclaircissements donnés en voix off jouent aussi leur rôle. Ils apportent un commentaire qui vient ajouter du contexte au « divertissement » qui est ainsi questionné. Ils permettent par exemple la mise en parallèle du succès du boogie-woogie, pourtant venu d'une nation qui a lâché deux bombes atomiques sur lui, avec un Japon qui porte encore les stigmates des ravages de la guerre. Pour ce qui est des années 2000, ils évoqueront la pression que fait peser sur les artistes le monde du show-bizz, les empêchant, par exemple de se marier et d’avoir une vie de couple.

Phot. © Anaïs Baseilhac

Phot. © Anaïs Baseilhac

Quand deux paysans incarnent la résistance

Ceux qui sont éliminés de la course, dans lesquels on pourrait voir ceux qui ne suivent pas l’évolution « mondialiste » du temps, découvrent dans les toilettes, comiquement décalées par leur réalisme et installées côté cour, un conte de Kenji Miyazama, les Pieds nus de lumière. Cet auteur japonais prolifique disparut prématurément en 1933 à l’âge de trente-sept ans.

Les Pieds nus de lumière racontent l’histoire de deux frères, Narao et Ichirō, nés dans une famille très pauvre. Leurs parents ne pouvant nourrir toute leur famille décident d’abandonner Narao dans la montagne et Ichirō est chargé de l’y emmener – la Ballade de Narayama de Shichirō Fukuzawa aborde un thème similaire où, cette fois, c’est l’aïeule, trop âgée pour être encore utile, qui se résout à la mort. Mais Ichirō ne parvient pas à laisser son frère affronter seul les démons de la montagne et ne le laissera que lorsqu’un Esprit s’interposera. Le récit veut alors que l’Esprit renvoie Ichirō dans sa famille tandis qu’il envoie Narao à l’école. Une parabole qui raconte que l’éducation peut être salvatrice.

La danse accompagne l’évolution du récit. Les danseurs évoquent le piétinement dans la terre des paysans au travail puis, avec plus de douceur et un rythme plus lent, la complicité entre les deux frères et le refus d’Ichirō de laisser Narao seul. L’une des danseuses incarne alors la figure grimaçante du démon qui cherche à s’emparer des enfants avant de se transformer en figure apaisée de l’Esprit. La chorégraphie cesse d’être trépidante pour prendre ici un tour plus intime.

Destinée au jeune public et à un public familial, la pièce comprend plusieurs niveaux de lecture que le bord de scène qui suit la représentation permet d’explorer. Une démarche nécessaire car l’agencement complexe des trois niveaux – la culture populaire et ses emprunts, la lecture sociale et le conte – forment un ensemble qui mérite d’être développé.

Les enfants, fascinés par l’énergie qui émane de ces tableaux menés tambour battant avec un certain humour, peinent un peu à rester aussi attentifs lorsque le conte s’installe. Le rythme et le style de la chorégraphie y sont pour beaucoup car le ralentissement induit par le choix du thème, qui se démarque alors de la frénésie du monde contemporain pour s’installer dans une autre durée, engendre partiellement une difficulté à rester concentré dans ce decrescendo qui prend le temps du conte. Mais malgré la petite difficulté que représente la fin, nécessaire cependant parce que représentant le moment où se reconnectent le Japon traditionnel et le contemporain, le propos de Dance Marathon Express, schématisé pour pouvoir s’adresser à un jeune public à partir de neuf ans, reste, dans son ambition et la dynamique de sa réalisation, à saluer.

Phot. © Anaïs Baseilhac

Phot. © Anaïs Baseilhac

Dance Marathon Express de Kaori Ito D’après Les Pieds nus de lumière de Kenji Miyazawa
S Avec Aokid, Noémie Ettlin, Yu Okamoto, Issue Park, Rinnosuke, Sato Yamada, Ema Yuasa, Léonore Zurflüh S Direction artistique et chorégraphique Kaori Ito S Scénographie Kaori Ito & Anthony Latuner S Dramaturgie Keishi Nagatsuka & Améla Alihodzic S Assistance à la chorégraphie Adeline Fontaine & Marvin Clech S Lumières Maki Ueyama, Thibaut Schmitt & ArnO Veyrat S Son Yuko Nishida & Eric Fabacher S Costumes Aya Kakino S Traduction et création sous-titres Ritsuko Kato S Construction Anthony Latuner S Coaching Drag Queen Bibiy Gerodelle S Régisseur général Mehdi Ameur S Production Mélodie Derotus, Hugo Prévot, Pauline Rade, Naomi Ushiyama, Chihiro Ogura S Développement Pauline Rade S Production TJP Centre Dramatique National Strasbourg Grand Est (France) & KAAT Kanagawa Arts Theater (Japon) S Coproduction CDN de Normandie – Rouen, les Anges au Plafond Soutiens Institut Français Partenaires DRAC Grand Est, Ville et Eurométropole de Strasbourg, Région Grand Est, CeA (Collectivité européenne d’Alsace) S Kaori Ito est directrice du TJP – CDN de Strasbourg Grand Est et artiste associée au Centre dramatique national de Normandie-Rouen, les Anges au Plafond S Création version japonaise juillet 2025 S Création version française octobre 2025 S Durée 1h10 S À partir de 9 ans

TOURNÉE
Du 3 au 11 octobre 2025 TJP - CDN de Strasbourg – Grand Est
15 oct. à 19h, 16 oct. à 20h au CDN de Normandie – Rouen
17 octobre 2025 Théâtre de l’Arsenal - Val-de Reuil

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