4 Mai 2025
La nouvelle création du Monstrum Théâtre s’inscrit dans sa façon fidèlement infidèle de transcrire les œuvres. À partir d’un travail technique et artistique méticuleux et d’un jeu d’acteur grand-guignol se construit un spectacle gore où l’hémoglobine coule à flot. Mais c’est pour de rire, bien sûr.
Entre tragédie et parodie
Sur la lande brumeuse, les combats font rage. Corps à corps sanglants, jets de grenades, explosions, incendies... Ambiance guerre de tranchée et film de cape et d’épée, avec costumes moyenâgeux, dans l’esthétique de la série Games of Throne. Un corps est planté dans la terre, tête en bas, pieds au ciel. Des bras volent dans les airs. Un soldat agonise tripes à l’air, le tout enveloppé de généreuses volutes de fumée... Certaines scènes rappellent les Désastres de la guerre de Goya. Une vision essentiellement picturale, à l’instar de tout le spectacle, succession de tableaux magnifiques.
Quand les armes se sont tues, commence la pièce — que la superstition veut « maudite » — de Shakespeare, avec l’apparition, sur la route de Macbeth et Banquo, d’une créature surnaturelle indéterminée. Elle annonce au premier qu’il sera général puis roi, au second qu’il sera père de rois. La prophétie réjouit Lady Macbeth mais angoisse déjà son époux, saisi de mauvais pressentiments : « Macbeth a tué le sommeil ! ». On connaît la suite : le couple n’épargnera personne, l’assassinat de Duncan, roi d’Écosse étant le prélude à une sauvagerie en chaîne et un délire paranoïaque qui atteindront, dans cette adaptation, des sommets apocalyptiques.
Ionesco avait modifié la graphie de son adaptation avec un double « t » final, ici c’est un « K » qui s’introduit dans le titre. Pour Louis Arene, qui signe la mise en scène, cette incongruité indique un décalage par rapport à l’œuvre originelle, une distanciation qu’opère aussi la traduction de Lucas Samain. On peut y voir aussi une allusion à Kafka ou encore un respect de l’orthographe du vieil anglais, qu’on trouve dans les Chroniques de l’historien anglais Raphael Holinshed, publiées en 1577, source majeure des pièces de Marlowe et de Shakespeare dont Macbeth, Le Roi Lear et Cymbeline.
Pour insuffler une dimension comique à cette tragédie, l’une des plus sombres de l’auteur élisabéthain, l’adaptation se nourrit d’anachronismes, de situations et de personnages nouveaux. En particulier le fou qui traverse la pièce, sorte de transfuge du Roi Lear, personnage ambigu, sage, sarcastique et assassin à ses heures. Acrobate hors pair, Erwan Tarlet virevolte, en tutu et basket et, entre deux pirouettes, va même s’adresser, dans un mélange de français et mauvais anglais, aux universitaires spécialistes de Shakespeare qui se seraient fourvoyés dans cette salle : « Vous n’êtes pas au bout de vos peines ! » « C’est un spectacle triste ! » conclut-il.
Une mascarade grandiose
Louis Arene et Lionel Lingelser, directeurs de la compagnie alsacienne, se taillent la part du lion en jouant Makbeth et sa Lady. Celle-ci n’apparaît pas en drag-queen, mais en reine d’une élégance débraillée : elle déambule, affublée d’une tente Quechua en guise de traîne, sous laquelle se réfugie son timoré d’époux. La troupe, comme d’habitude, nourrit son imagerie foisonnante, par une recherche esthétique sur les costumes, postiches, et ne lésine pas sur les effets spéciaux. Dans ce spectacle monstre, les masques permettent de naviguer entre le rire et l’effroi avec une grande souplesse. Ainsi, le roi Macdunn n’est qu’un tyran obèse, affublé d’un ventre en mousse flasque. Sous ses allures de baudruche, il est aussi redoutable que stupide, à la manière du Père Ubu.
De même qu’il y a confusion des esthétiques, le spectacle joue sur la confusion des genres : coiffes et maquillages outrés gomment les différences entre les sexes. Les interprètes, avec leurs prothèses ont une neutralité marionnettique. Les corps se démembrent, les viscères et le sang gicle avec effets grand-guignolesques. Les mains rouges du couple maudit maculent leur corps entier, souillent leurs vêtements. Au comble de la fureur meurtrière des protagonistes, l’hémoglobine coule à flot. Et au final, Makbeth plonge littéralement dans un bain de sang, avant d’être pendu, tête en bas, comme un vulgaire quartier de bœuf, par des créatures maléfiques, émanation tentaculaire de l’être prophétique apparu au début de la pièce. Devenu meurtrier par un concours de circonstances, le Makbeth du Monstrum devient une bête sanguinaire, un assassin en série.
Les acteurs à l’énergie sans limites nous entraînent dans un univers cauchemardesque et fantasmagorique. Ils donnent un élan joyeux à la noirceur shakespearienne en mêlant au-delà de l’absurde, kitch, cruauté et exhibitionnisme. Ce sordide délirant et poétique, loin de toute vulgarité, force sur la veine comique, qui n’est nullement dans la pièce d’origine mais lui donne une résonance contemporaine. On peut cependant regretter l’excès d’effets spéciaux, les scènes répétitives, qui alourdissent la représentation.
Un Makbeth d’aujourd’hui
Dans une transe joyeuse, un chaos dévastateur, ce théâtre de la cruauté transforme la catastrophe en rire. Sous cette avalanche d’images et de gags forcenés s’ouvrent les portes d’un enfer : celui de la guerre et du crime, l’antichambre du pouvoir qu’a si bien montrée William Shakespeare. Tout comme ses personnages, les puissants d’aujourd’hui commettent des massacres de masse, parfois au nom de la civilisation et de la démocratie.
« Nous montons Makbeth, écrit Louis Arene, car la douleur de ce monde est insupportable. [...] Car au-delà de la fable politique, c’est aussi nos ténèbres individuelles que la pièce nous incite à contempler. [...] La catharsis nous permet l’empathie, la consolation, nous donne la force de regarder les monstres en face. [...] Mais nous montons aussi Makbeth car au Munstrum, notre quête est celle de la Joie. »
Le public ne s’y trompe pas et saisi de rire et d’horreur, réagit au quart de tour à ce théâtre de genre. Il remercie la troupe en se levant dans un tonnerre d’applaudissements.
Makbeth Une création du Munstrum Théâtre d’après William Shakespeare
S Mise en scène Louis Arene S Avec Louis Arene, Sophie Botte, Delphine Cottu, Olivia Dalric, Lionel Lingelser, Anthony Martine, François Praud, Erwan Tarlet Conception Louis Arene et Lionel Lingelser S Traduction/adaptation Lucas Samain en collaboration avec Louis Arene S Collaboration à la mise en scène Alexandre Ethève S Chorégraphie Yotam Peled S Dramaturgie Kevin Keiss S Assistanat à la mise en scène Maëliss Le Bricon S Scénographie Mathilde Coudière Kayadjanian, Adèle Hamelin, Valentin Paul, Louis Arene S Création lumières Jérémie Papin, Victor Arancio S Musique originale & création sonore Jean Thévenin, Ludovic Enderlen S Costumes Colombe Lauriot Prévost assistée de Thelma Di Marco Bourgeon et Florian Emma S Masques Louis Arene S Coiffes Véronique Soulier Nguyen S Direction technique, construction, figuration Valentin Paul S Effets de fumée & accessoires Laurent Boulanger S Accessoires, prothèses & marionnettes Amina Rezig, Céline Broudin, Louise Digard S Renforts accessoires & costumes Marion Renard, Agnès Zins, Ivan Terpigorev S Stagiaires costumes Morgane Pegon, Elsa Potiron, Manon Surat, Agnès Zins S Stagiaires lumière Tom Cantrel, Gabrielle Fuchs S Régie générale & plateau Valentin Paul S Régie son Ludovic Enderlen S Régie lumière Victor Arancio S Régie costumes et habillage Audrey Walbott S Régie plateau Amina Rezig S Administration, production Clémence Huckel, Noé Tijou (Les Indépendances) S Diffusion Florence Bourgeon S Distribution S Production Munstrum Théâtre S Coproduction Les Célestins, Théâtre de Lyon ; Théâtre Public de Montreuil - Centre dramatique national ; TJP, Centre dramatique national de Strasbourg - Grand Est ; La Comédie, Centre dramatique national de Reims ; La Filature, scène nationale de Mulhouse ; Chateauvallon-Liberté, scène nationale ; Les Quinconces et L’Espal - Scène nationale du Mans ; Théâtre Dijon Bourgogne, Centre dramatique national ; Théâtre Varia, Bruxelles ; Malakoff, scène nationale - Théâtre 71 ; Le Carreau, Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan S Soutiens Direction Régionale des Affaires Culturelles du Grand Est - Ministère de la Culture au titre du Fonds de production ; dispositif d’insertion professionnelle de l’ENSATT ; Ville de Mulhouse ; S.A.S Podiatech – Sidas S Soutiens en résidence Théâtre Dromesko ; Melting Pot ; Bercail, outil de création, marionnettes et arts associés ; Cromot maison d’artistes et de production ; La Maison des métallos ; Théâtre du Rond-Point Paris S Le Munstrum Théâtre est associé à la Filature, Scène nationale de Mulhouse ainsi qu’au Théâtre Public de Montreuil - Centre dramatique national, au TJP Centre dramatique national Strasbourg-Grand Est et aux Célestins, Théâtre de Lyon S Durée 2h10 environ
TOURNÉE
Du 29 avril au 15 mai 2025 Théâtre Public de Montreuil - CDN
Les 22 et 23 mai 2025 La Filature, scène nationale de Mulhouse
Du 10 au 13 juin 2025 Théâtre du Nord - CDN de Lille
Du 5 au 7 novembre 2025 au Théâtre 71 – scène nationale de Malakoff
Du 12 au 14 novembre 2025 au Théâtre Varia, Bruxelles
Du 20 novembre au 13 décembre 2025 au Théâtre du Rond-Point – Paris
Les 5 et 6 mars 2026 au Carreau – Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan
Les 11 et 12 mars 2026 à la MC2: Grenoble
Les 27 et 28 mars 2026 au Domaine d’Ô – Montpellier