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Jean-Baptiste Greuze – L’enfance en lumière. Un peintre dans son siècle.

Affiche. Tableau de Jean-Baptiste Greuze, Jeune berger qui tente le sort pour savoir s’il est aimé de sa bergère, 1760-1761 (détail). Huile sur toile, 72,5 x 59,5 cm Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. CC0 Paris Musées / Petit Palais

Affiche. Tableau de Jean-Baptiste Greuze, Jeune berger qui tente le sort pour savoir s’il est aimé de sa bergère, 1760-1761 (détail). Huile sur toile, 72,5 x 59,5 cm Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. CC0 Paris Musées / Petit Palais

L’exposition que consacre le Petit Palais à cet artiste de l’époque des Lumières donne à voir des facettes peu connues, voire méconnues du peintre et dessinateur.

Du 16 septembre 2025 au 25 janvier 2026, à l’occasion du 300e anniversaire de sa naissance, les galeries du Petit Palais abriteront une exposition consacrée à Jean-Baptiste Greuze, ce peintre du XVIIIe siècle né en 1725, admiré par Diderot, qui traversera la Révolution française sans qu’on lui en connaisse la moindre participation, avant de mourir, en 1805, quelques mois après le sacre de Napoléon Ier. Une centaine de peintures, dessins, et estampes provenant de grandes collections françaises (musée du Louvre, musée Fabre à Montpellier) et internationales (Metropolitan Museum de New York, Kimbell Museum of Art de Fort Worth, Rijksmuseum d’Amsterdam, Galerie nationales d’Écosse), ainsi que de nombreuses collections privées, a été réunie. Elles offrent du peintre et dessinateur une vision plurielle, qui rend compte des différentes facettes de son talent.

Jean-Baptiste Greuze, Un enfant qui s’est endormi sur son livre, dit Le Petit paresseux, 1755. Huile sur toile, 65 × 54,5 cm. Montpellier, musée Fabre. © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole / Photo Frédéric Jaulmes

Jean-Baptiste Greuze, Un enfant qui s’est endormi sur son livre, dit Le Petit paresseux, 1755. Huile sur toile, 65 × 54,5 cm. Montpellier, musée Fabre. © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole / Photo Frédéric Jaulmes

L’enfance, un thème récurrent

Greuze reste dans les mémoires pour ses touchantes scènes familiales et l’attention qu’il porte aux enfants. Adopter le thème de l’enfance comme centre de l’exposition n’est donc pas surprenant. Tout au long de sa carrière, Greuze s’attachera à réaliser des portraits d’enfants dont la vérité expressive est frappante. Les enfants ont le plus souvent ce regard grave et attentif qu’ils posent sur le monde. Mais, au-delà, il les met parfois en scène. Absorbés dans un livre ou somnolents au-dessus de lui, ils viennent dire la place qu’occupe l’étude et l’éducation dans cette société éprise de connaissance. Son Enfant qui s’est endormi sur son livre, dit aussi le Petit Paresseux , acclamé au Salon de 1755, où l’influence de la peinture hollandaise, qui se fait aussi sentir dans d’autres œuvres, est sensible, apparaît comme emblématique.

Les enfants seront aussi présents dans les scènes de genre qui font la renommée du peintre. Ce sont les scènes familiales auxquelles ils participent, harmonieuses quand ils tirent les rois ou quand le dessin révèle une mère allaitant son enfant, indiquant par là une attitude qui se développe à cette époque dans les familles aisées où l’on considère que l’épanouissement de l’enfant passe par l’allaitement maternel et non plus par le recours à une nourrice.

Pierre Guillaume Alexandre Beljambe, La Petite Nanette, 1780. D’après Jean-Baptiste Greuze, Eau-forte et burin, 25,6 × 19,7 cm Paris, Bibliothèque nationale de France © photo BNF

Pierre Guillaume Alexandre Beljambe, La Petite Nanette, 1780. D’après Jean-Baptiste Greuze, Eau-forte et burin, 25,6 × 19,7 cm Paris, Bibliothèque nationale de France © photo BNF

La gravure, au cœur de l’activité artistique de Greuze

L’exposition fait toucher du doigt l’une des particularités de la vie des artistes à partir du moment où l’imprimerie permet de diffuser en grand nombre non seulement des textes mais aussi des images. Encouragée par sa femme, qui gère cette activité – et que le peintre accusera plus tard de le flouer en s’en réservant les bénéfices – l’activité commerciale liée à la diffusion, via la gravure et son impression, des thèmes développés par Greuze dans sa peinture est florissante. L’exposition montre nombre de ces réalisations qui associent le peintre à un graveur ou une graveuse. Greuze fournit le dessin au graveur. Celui-ci prend en charge le coût de la réalisation de la planche et le fruit de la vente est partagé pour moitié entre les deux parties.

Jean-Baptiste Greuze, La Malédiction paternelle. Le Fils ingrat, 1777. Huile sur toile, 130 × 162 cm. Paris, musée du Louvre. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Photo Michel Urtado

Jean-Baptiste Greuze, La Malédiction paternelle. Le Fils ingrat, 1777. Huile sur toile, 130 × 162 cm. Paris, musée du Louvre. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Photo Michel Urtado

Quand la vie quotidienne et la morale s’en mêlent

L’un des aspects les plus intéressants de l’exposition est l’attention qu’elle porte aux scènes et petites péripéties de la vie quotidienne. Greuze, en observateur attentif, se penche sur l’intimité de la famille et la vie sociale. Il met en scène les événements marquants qui la ponctuent telles la Remise de la dot au fiancé (Petit Palais) ou la Lecture de la Bible (Louvre). Mais s’y dessinent aussi, avec une certaine grandiloquence parfois, les drames qui composent aussi la vie des familles : père avare, fils maudit, mère sévère, indignités diverses. Ainsi de la Présentation de l’enfant naturel (Metropolitan, New York, v. 1770) dans la famille en présence de l’aïeul cramponné à un autre enfant qu’on imagine légitime, ou cette scène de vieillard mourant autour duquel, à côté des affligés, certains membres de la famille fouillent déjà les coffres. On découvre un Greuze critique, plus du tout lénifiant, à l'encontre de la manière dont on l’imagine habituellement.

La Malédiction paternelle offre l’occasion de s’intéresser aux déclinaisons d’un même thème. Le Fils ingrat (1777, Louvre) illustre le départ du fils aîné à la guerre, abandonnant les siens contre l’avis de son père, une déclinaison moderne du fils prodigue ; le Fils puni (1778, Louvre) le voit revenir vieilli, blessé, une béquille tombée à ses pieds, au chevet de son père mort.

Jean Baptiste Greuze, La Femme en colère, vers 1785. Pinceau, lavis noir et gris, réhaussée de blanc, sur des traces de graphite, 52,1 x 64 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art. © GrandPalaisRmn (The Metropolitan Museum of Art) / Image of the MMA

Jean Baptiste Greuze, La Femme en colère, vers 1785. Pinceau, lavis noir et gris, réhaussée de blanc, sur des traces de graphite, 52,1 x 64 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art. © GrandPalaisRmn (The Metropolitan Museum of Art) / Image of the MMA

Le couple dans le viseur

Greuze a déjà trente-quatre ans et connu le succès avec son Père de famille lisant la Bible à ses enfants – que l’exposition présente – au Salon de 1755 quand il épouse Anne-Gabrielle Babuty, fille d’un libraire du quai des Augustins, en février 1759. Est exposé au Petit Palais non la toile qu’il réalisera d’elle en 1761 mais un dessin au crayon et à la plume, à l’encre grise et noire, Madame Greuze sur une chaise longue avec son chien (1760), qui révèle les très grandes qualités de ce dessinateur au trait sûr et à la finesse remarquable. Représentée allongée sur une chaise brisée, le petit épagneul de la maison posé sur ses genoux, avec un point de vue légèrement en surplomb, elle incarne cette quiétude du foyer que Greuze portraiturera à maintes reprises. Quant au petit chien, on rappellera aussi qu’il est, traditionnellement dans la peinture, un symbole de fidélité.

Une fidélité qui sera mise à rude épreuve puisque les rapports explosifs du couple – ils apparaissent clairement dans la Femme en colère, un dessin au pinceau, fait en 1785, conservé au Metropolitan Museum of Art de New York – et le reproche d’infidélité fait à Anne-Gabrielle conduisent à la séparation du couple cette même année et à leur divorce, en 1793, lorsque les lois nouvelles les y autorisent. L’histoire ne dit cependant pas si l’épouse était seule en cause…

Jean-Baptiste Greuze, La Cruche cassée, 1771-1772. Huile sur toile, 109 × 87 cm. Paris, musée du Louvre. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Photo Angèle Dequier

Jean-Baptiste Greuze, La Cruche cassée, 1771-1772. Huile sur toile, 109 × 87 cm. Paris, musée du Louvre. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Photo Angèle Dequier

Émois adolescents, rapports contraints

L’exposition évoque, sous forme symbolique, l’âge des premiers émois, cette hésitation entre l’enfance et le moment où celle-ci cède la place à des pulsions qui sont celles de l’âge adulte. Si l’évocation se fait douce et élégiaque lorsqu’on voit une très jeune fille effeuiller une marguerite sur un air de « Il m’aime, un peu, beaucoup, pas du tout » ou un jeune berger aux joues encore gonflées de l’enfance tenir un pissenlit dont la dispersion des akènes lui indiquera s’il est ou non aimé de sa bergère, les représentations que Greuze choisit masquent le plus souvent sous des dehors symboliques des réalités plus sordides.

Ce sont ces Œufs cassés (1756, Metropolitan Museum of Art, New York), symbole de la virginité perdue, qu’un jeune homme, morigéné par une vieille femme, a laissés tomber et qu’un enfant, dans le coin droit du tableau, tente vainement de recoller. Au pied du jeune homme se trouve une jeune fille, sans doute abusée par son séducteur. Ce sont ces figures d’oiseaux – une figuration féminine chez Greuze – morts, au côté d’un oiseleur joli cœur qui joue de la guitare, ou serré dans les bras d’une jeune fille à peine pubère et dévêtue dont la virginité a été ravie, ou encore la Cruche cassée que porte la jeune fille dans le tableau éponyme. Le lion qui se tient près d’elle et déverse son liquide renvoie au masculin. Le sein de la jeune fille, en partie dévoilé, signe d’un dérangement anormal, et les mains pressées sur son bas-ventre suggèrent le traumatisme. L’étude, l’esquisse préparatoire et le tableau final de cette scène révèlent les étapes de la réflexion qui guide la main du peintre.

Jean-Baptiste Greuze – L’enfance en lumière. Un peintre dans son siècle.

Peinture de genre et « grande » peinture

Une place à part est réservée à Septime Sévère reprochant à son fils Caracalla d’avoir voulu l’assassiner, un tableau peint entre 1767 et 1769, présenté le 23 août 1769 à l’Académie royale de peinture par Greuze en vue de se faire reconnaître comme peintre d’histoire, catégorie « noble » représentant le haut du panier en peinture. Greuze différa treize ans sa présentation d’un tableau destiné à rentrer dans la cour des « grands ». La peinture n'en fit pas moins scandale.

Dans cet épisode, tiré de l’histoire romaine, l’empereur convoque son fils pour le confronter à l’atrocité de son acte : « Si tu désires de me tuer, tue-moi ici », aurait-il déclaré alors. L’esthétique du tableau, dans son épure et son austérité, le rapproche déjà de ce que sera l’art néo-classique de David. Mais pour l’Académie, c’est le sujet qui est rejeté car, pour elle, ce n’est pas le courage du père qui est ici mis en valeur mais la faiblesse de l’empereur, refusant de condamner le fils criminel, qui ouvre ainsi la porte à la décadence de l’empire romain et à la prééminence, plus généralement, des préoccupations privées, chez un prince, par rapport aux intérêts supérieurs de l’État.

L’Académie accepte de recevoir le peintre, mais seulement comme peintre de genre et Greuze, ulcéré, quitte définitivement l’Académie. Il exposera dès lors ses tableaux dans son propre atelier.

On l’aura compris : l’exposition Greuze déborde largement du cadre de la seule « enfance ». Elle nous raconte en creux une part de l’histoire de la France prérévolutionnaire et c’est ce qui fait, au-delà de l’exploration des différentes facettes de la peinture de Greuze, son intérêt.

Jean-Baptiste Greuze - L’enfance en lumière
S Commissariat scientifique Annick Lemoine, conservatrice générale du patrimoine, directrice du Petit Palais, Yuriko Jackall, directrice du département de l’art Européen & Conservatrice « Allan et Elizabeth Shelden » en charge des peintures européennes, Detroit Institute of Arts, Mickaël Szanto, maître de conférences, Sorbonne Université S Exposition réalisée avec le soutien exceptionnel de la Bibliothèque nationale de France S Provenance des œuvres musée du Louvre, musée Fabre à Montpellier, Metropolitan Museum of Art de New York, Kimbell Museum of Art de Fort Worth, Rijksmuseum d’Amsterdam, Galerie nationales d’Écosse et collections privées

16 septembre 2025 - 25 janvier 2026. Du mardi au dimanche de 10h à 18h
Petit Palais – avenue Winston Churchill, 75008 Paris
www.petitpalais-paris.fr

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