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Arts-chipels.fr

Dans le silence des paumes. Toutes ces précarités qui ne se racontent pas.

Phot. © Narjesse Medjahed

Phot. © Narjesse Medjahed

Entre forme documentaire et conte onirique, ce spectacle hors les murs des théâtres articule avec poésie des histoires individuelles habituellement confinées dans le mutisme et réduites au silence.

C’est une aire de jeu autour de laquelle les spectateurs prennent place. Ce pourrait être une pièce dans un appartement, une salle de classe ou tout autre lieu où n’entre habituellement pas le théâtre. Pour seul décor, un fauteuil de velours vert et, réparties sur la circonférence de l’espace de jeu, des chaises et de petites tables de salon avec leurs lampes, sous lesquelles des flacons de produits ménagers encombrent l’espace.

Pour l’heure, le fauteuil est vide et les trois comédiens, assis au milieu des spectateurs, s’adressent à une absente, dont c’est la place. On comprendra au fil de la pièce qu’ils sont ses enfants, qu’elle les a rassemblés pour on ne sait quelle occasion, un événement d’autant plus exceptionnel qu’ils ont le sentiment, vis-à-vis d’elle, d’avoir toujours été des étrangers. C’est par petites touches que se reconstruit leur histoire et que s’entremêlent les récits.

Phot. © Narjesse Medjahed

Phot. © Narjesse Medjahed

Au point de départ, la mise en lumière d’une invisibilité

Au départ, il y a la volonté de briser le silence qui environne la vie de nombreuses femmes. Elles sont mères de famille, élèvent seules des enfants et se débattent avec les difficultés de l’existence, menant comme elles le peuvent, de front, carrière professionnelle et vie de femme. Les produits ménagers, c’est l’incarnation de leur quotidien, au travail ou à la maison.

Ce sont leurs témoignages qui servent de point de départ à cette écriture qui va chercher dans le non-dit, l’inexprimé, ce qui s’inscrit sur leurs mains, façonnées par le travail et les tâches quotidiennes. Des histoires se racontent en creux dans les rides qui les marquent, dans les fatigues qu’on y décèle, dans les usures dont elles sont le siège. Ouvertes pour accueillir et protéger, fermées lorsqu’elles se battent et montrent le poing, elles sont le signe et le révélateur de la vie de ces oubliées de l’Histoire.

Dans le silence des paumes restitue à ces femmes leur être-là. Il est l’hommage rendu à celles qui n’évoquent pas leur quotidien de peur de couler et dont la volonté silencieuse et l’opiniâtreté permettent à leurs enfants d’être et de grandir.

Phot. © Narjesse Medjahed

Phot. © Narjesse Medjahed

Trois personnages pour une même mère

Ils seront trois à dire leur hostilité première d’enfants devenus adultes, leur incompréhension à l’égard de cette femme qui avait nom leur mère, dont ils vont progressivement, au fil de la pièce, redécouvrir le rôle, réinventer les attitudes, en comprendre le sens. « Maman, pourquoi tu me donnes jamais la main ? », dit une voix off d’enfant qui vient, avec d’autres témoignages issus d’entretiens, interrompre et nourrir le fil de la fiction. Cette absence-là, ils vont l’interroger, la mettre en scène, la mettre en cause, la traduire en gestes empêchés, en sourires fugitifs, en velléités timides de rapprochements jusqu’à parvenir à faire apparaître ce qui se niche dans les silences : un corps usé par le travail et les tâches harassantes, un univers où tout n’est qu’obligations.

La place particulière du public

Le choix d’installer le spectacle dans la vie même réserve au public une place particulière. Les spectateurs sont installés en cercle autour de l’aire de jeu et c’est depuis ce cercle que les comédiens, assis au milieu du public, s’avancent pour jouer. Le fauteuil même de la mère fait lui aussi partie du cercle, comme pour nous dire que chacun d’entre nous, en tant qu’enfant ou que parent, est directement concerné par le spectacle.

Phot. © Narjesse Medjahed

Phot. © Narjesse Medjahed

Différents niveaux de récit

Au-delà des extraits d’entretiens qui traversent le parcours dramatique, la narration relève d’une structure complexe mais aisément décryptable qui rejoint la relation que le spectacle entretient avec le public. Les trois « enfants » s’emparent tour à tour de la narration en se faisant conteurs de l’histoire en même temps que personnages, mais aussi en endossant tous les rôles, jouant la mère et les enfants dans le même mouvement circulaire qui unit le singulier et le pluriel, le public et les acteurs. Parfois même ils se font commentaire d’un élément du jeu, didascalie qui donne le ton. Cette mise à l’écart de l’identification du comédien au personnage rejoint ainsi la volonté de pousser le spectateur vers le sein même du spectacle. Observateurs et acteurs deviennent les deux faces d’une même implication.

Phot. © Narjesse Medjahed

Phot. © Narjesse Medjahed

Un « bricolage » scénique inventif et révélateur

Dans le silence des paumes est un spectacle aisément transportable en tous lieux. Commandés depuis de petits boîtiers que portent les comédiens, les effets scéniques restent cependant présents. Ce sont ces petites lampes de lecture qui s’allument ou s’éteignent au fil de cette approche en petites touches de la personnalité de la mère et des conditions concrètes de son existence. Ce sont les effets sonores qui créent une toile de fond. C’est aussi la manière dont les accessoires prennent vie et semblent dotés d’une activité propre, indépendante de toute manipulation, créant une atmosphère d’irréalité et d’onirisme.

Ainsi en est-il des bidons de produits ménagers que la comédienne et ses deux partenaires disposent sur la totalité de l’aire de jeu, petit peuple lumineux, encombrant et muet, qui prend toute la place dans la vie de la mère et de sa famille, ou de ces marionnettes créées à partir de bidons qui métamorphosent l’univers de l’enfance en vision cauchemardesque.

Tous ces éléments contribuent à créer un objet théâtral singulier, qui se démarque avec originalité et bonheur de spectacles sur le même thème qu’on a coutume de voir. Si l’on ajoute que la langue est belle et poétique, on comprendra que cette plongée dans les arcanes de l’existence de tous ces « invisibles » dont le corps fatigue à force de gestes répétitifs ou d’efforts qui le rompent et dont l’esprit s’use à la tâche suscite une émotion vraie. À tous ceux qui ont, par la dureté de leurs conditions de travail ou d’existence, « oublié » ou réduit à la portion congrue ce qui compose le plaisir de la vie, la pièce apparaît comme un hommage, en même temps qu’elle nous rappelle que les histoires individuelles sont aussi le produit d’un système qui les dénature et qui les broie.

Phot. © Narjesse Medjahed

Phot. © Narjesse Medjahed

Dans le silence des paumes, de Florian Pâque (éd. Lansman)

S Mise en scène Florian Pâque S Distribution Loelia Salvador, Nicolas Schmitt, Florian Pâque S Scénographie Florian Pâque S Lumières Hugo Fleurance S Son Camille Vitté S Marionnettes Florian Pâque S Costumes Jérémy Vitté S Bureau de production & diffusion Les Aventurier-e-s Philippe Chamaux Sarah Mazurelle S Production Le Nez au milieu du village (Orléans) S Coproductions La Poudrerie - Théâtre des Habiants, scène conventionnée de Sevran, Les Ateliers Médicis (Clichy-sous-Bois/Montfermeil) S Soutiens DRAC Centre Val de Loire, Mairie d'Orléans, Spedidam S Soutiens Résidence de Mariemont, Centre des écritures dramatiques belges, Ad Libitum

TOURNÉE
11 juin 2025, 17h, 12 juin, 11h & 15h Avant-premières, Cromot 9 rue Cadet 75009 Paris
5 - 24 juillet 2025, 12h (sf 11 & 18) Théâtre du Train Bleu, 40 rue Paul Saïn 84000 Avignon
27 juillet - 05 août 2025 CCAS Pays Basque et Midi Pyrénées. Tournée en itinérance (8 dates)
oct. - nov. 2025 (3 dates) Les Ateliers Médicis, Clichy-sous-Bois (93)
25-26 nov. 2025 Théâtre Charles Dullin Grand-Quevilly (76)
nov.-déc. 2025 La Comète, scène nationale Châlons-en-Champagne (51), tournée en itinérance (5 dates)
2 - 6 mars 2026 Théâtre Durance, scène nationale, Château-Arnoux-Saint-Auban (04), tournée en itinérance (5 dates)
26 - 28 mars 2026 Maif Social Club, Paris (3 dates)

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