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Arts-chipels.fr

L’Hôtel du Libre-Échange. Avec mes sabots…

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Phot. © Jean-Louis Fernandez

La mise en scène de Stanislas Nordey dépouille cette troisième pièce de Georges Feydeau d’une partie du charme qui séduit dans les pièces de l’auteur. À vouloir trop marquer la distance et trop en faire dans la surenchère, on perd parfois le cap…

La scène s’ouvre sur une grande pièce où trônent, à cour, les accessoires qui accompagnent une activité d’architecte. Nous sommes chez les Pinglet et l’architecte échange avec son ami Paillardin, un entrepreneur de travaux publics. D’emblée le ton est donné : distance, distance… Sur les murs s’étalent en gros caractères les didascalies – nombreuses – laissées par le fou de théâtre qu’était Feydeau, qui y décrivait avec un soin maniaque ce qu’il voulait voir sur scène. Leur mise en évidence critique dénote, comme une marque de fabrique, la mise en scène de Stanislas Nordey.

On ajoute chez les acteurs un soupçon de manière de jouer faux, de forcer la note, histoire de nous montrer que le metteur en scène et les acteurs ne sont pas dupes, et on peut s’esbaudir des histoires de portes ouvertes et fermées d’où émergent des personnages tels diables hors de leur boîte, caractéristiques de ce théâtre où entrées et sorties se succèdent à un rythme d’enfer. Nous voilà dans l’antre où vont se nouer les intrigues amoureuses ou plutôt les parades de séduction à caractéristiques sexuelles qui vont lier les personnages.

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Au jeu de qui veut qui

Pinglet est lassé de la relative indifférence de son épouse et jette un œil concupiscent sur la femme de son meilleur ami, Paillardin, peu intéressé par la bagatelle, ce que son nom n’indique pas. Pinglet s’emploie à convaincre cette dernière de tromper son mari. Cependant, malgré une frustration manifeste, elle hésite avant de se laisser finalement convaincre. De son côté Victoire, la femme de chambre moliéresque au franc parler et à l’attitude plutôt leste, a jeté son dévolu sur le neveu de Paillardin, Maxime. Un puceau à déflorer, voilà une belle affaire.

On ajoute pour parfaire le tout un trouble-fête, Mathieu, qui, pour une parole en l’air lâchée au cours d’une soirée mondaine, se trouve en droit de s’imposer chez les Pinglet avec ses quatre filles.

Il n’y a plus qu’à laisser se dérégler les situations, ce que Feydeau réussit de manière inimitable en entraînant tout son monde dans un hôtel choisi au hasard d’une publicité : l’Hôtel du Libre-Échange, qui est en fait un hôtel de passe où vont se donner rendez-vous, sans s'être concertés, les personnages de ce raccourci de société bourgeoise en pleine déconfiture. Comme de bien entendu, chacun reconnaît l’autre sans vouloir être vu de lui et les dérapages, toujours ponctués d’entrées, de sorties et de portes qui claquent, se succèdent à un rythme effréné.

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Feydeau pas Feydeau

Dans un louable souci de rendre cette histoire d’adultère plus actuelle – le thème, aujourd'hui, fait sourire –, quelques ingrédients plus contemporains ont été ajoutés. Plus de bourgeoisie engoncée dans ses costumes étriqués et ses robes longues remontant jusqu'au cou de la toute fin du XIXe siècle – la pièce est créé en 1894 – cette frange de la société que Feydeau brocarde avec une férocité goguenarde sans égale, mais des personnages plutôt BCBG, assez mode style Figaro Madame, qui lâchent, de temps en temps, des grossièretés à faire frémir Lisette.

Quant à l’hôtel de passe, il se retrouve tenu par une Madame Arthur travestie au milieu d’un « poulailler » d’autruches – les amants clandestins – qui suggère que n’est aveugle que celui qui ne veut pas voir et qui met sa tête dans un trou pour ne pas savoir. Après le décor didascalien, on grimpe au rideau – rouge – de la lanterne de maison close.

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Phot. © Jean-Louis Fernandez

Fallait-il en remettre tant de couches ?

Pour les amateurs de Feydeau, qui aiment en lui le naturel avec lequel le pire arrive, qui apprécient la mécanique infernale de ses pièces, truffée d’artifices livrés sans artifice, avec sa charge aussi explosive que subversive parfaitement éloquente, pour ceux qui se régalent de cette cruauté jubilatoire d’autant plus délirante qu’elle paraît vraie et pas fabriquée, en rajouter, histoire de dénoncer ce qui se dénonce tout seul, paraît inutile, voire contreproductif.

C’est ce qu’a ressenti une partie du public, frustrée du rire habituellement induit par l’immédiateté du mécanisme théâtral créé par Feydeau. Si certains se sont amusés, d’autres sont restés sur le bord, et ont même déserté les rangs à l’entracte. Si la verdeur incroyablement efficace de la langue de Feydeau et la dextérité virtuose de ses reparties sont demeurées en place, elles ont été noyées sous des couches d’insistance qui les ont dépouillées de leur légèreté. Une légèreté qu’on ne peut cependant dire boulevardière tant elle est acerbe et frappe juste. Et le propos de Stanislas Nordey, pour intéressant qu'il est, intellectuellement, n’ajoute pas grand-chose et apparaît, en définitive, peu convaincant.

Phot. © Jean-Louis Fernandez

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L’Hôtel du Libre-Échange de Georges Feydeau (éd. de l’Arche)
S Mise en scène Stanislas Nordey S Avec Hélène Alexandridis (Angélique Pinglet, un agent), Alexandra Blajovici (Fille de Mathieu), Cyril Bothorel (Pinglet), Marie Cariès (Marcelle Paillardin), Claude Duparfait (Paillardin, un commissionnaire), Olivier Dupuy (Chervet, le commissaire, un commissionnaire), Raoul Fernandez (Bastien), Paul Fougère (Boulot, un commissionnaire), Damien Gabriac (Maxime, neveu de Paillardin, un commissionnaire), Anaïs Muller (Victoire, femme de chambre de Pinglet, un agent), Ysanis Padonou (Fille de Mathieu), Sarah Plume (Fille de Mathieu), Tatia Tsuladze (Fille de Mathieu, La Dame), Laurent Ziserman (Mathieu, Ernest) S Collaboratrice artistique Claire Ingrid Cottanceau S Scénographie Emmanuel Clolus S Lumière Philippe Berthomé S Costumes Raoul Fernandez S Chorégraphie Loïc Touzé, Nina Vallon S Composition musicale Olivier Mellano S Avec la voix de Raoul Fernandez S Construction décor et confection costumes Ateliers du Théâtre de Liège avec la collaboration des Ateliers de la MC2: Grenoble et les équipes techniques de l’Odéon-Théâtre de l’Europe et de la MC2: Grenoble S Créé le 11 mars 2025 à la MC2: Maison de la Culture de Grenoble – scène nationale S Production MC2: Maison de la Culture de Grenoble – scène nationale, Compagnie Nordey S Coproduction Odéon-Théâtre de l’Europe, Théâtre de Liège – DC&J Création, Célestins – Théâtre de Lyon, Bonlieu – scène nationale Annecy, Théâtre de Lorient – centre dramatique national S Soutien Tax Shelter du gouvernement fédéral de Belgique et Inver Tax Shelter S Durée 2h55 (1h50/ entracte/ 50 minutes) S À partir de 14 ans

Du 6 mai au 13 juin 2025

Odéon – Théâtre de l’Europe – Place de l’Odéon, Paris 6e

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