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Arts-chipels.fr

À Sec. La campagne meurt de soif.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Faute d’eau, un village vit ses derniers jours. La chronique d’une mort annoncée, écrite par Marcos Caramés-Blanco et mise en scène par Sarah Delaby-Rochette, est jouée par six comédiens avec l’énergie du désespoir.

Rats de ville et rats des champs

La vie à la campagne n’est pas le paradis dont rêvait Flo en venant s’installer comme agricultrice dans un hameau en déshérence, où ne restent plus que quatre habitants. Les autres sont morts ou ont fui ; certains se sont suicidés. Il y a Fab et son cousin Max, exploitants d’une grosse ferme rassemblant toutes les terres abandonnées par leurs propriétaires. Gigi, une orpheline qu’ils ont recueillie, trime à leur service. Dans un coin sommeille et déraisonne une vieille femme impotente, Mirèio, leur grand-mère ; oiseau de malheur, un peu sorcière, elle présage la mort du village.

Flo tombe mal car, avec la canicule, l’eau est rationnée et vient à manquer. Il règne une drôle d’ambiance, une sourde violence, exacerbée par la chaleur et d’étranges objets volants qui circulent dans le ciel. Heureusement, Flo trouve un soutien en Gigi qui lui raconte la vie d’avant et lui inculque son amour de la terre.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Une dystopie rurale

L’auteur situe l’action dans un village fictif, représenté ici par une aire de jeu unique qui devient, avec quelques accessoires, cour de ferme, étable, porcherie, hangars, entrepôts, place des fêtes. La nature et les animaux sont absents du cadre de vie et demeurent hors-champ.

Construite en six épisodes, la pièce emprunte à la série TV des scènes dialoguées tendues, au raz du langage parlé, souvent cru. De l’arrivée de Flo, un lundi matin, au samedi soir, les jours se suivent mais ne se ressemblent pas : chacun est marqué par la visite d’un personnage perturbateur, venu pour enquêter, filmer, surveiller, démarcher, réaliser une émission télévisée.

À mesure que la température – indiquée sur un écran – grimpe, l’angoisse monte. La soif est partout, chez les humains comme chez les bêtes : il va bientôt leur falloir abattre les vaches qui explosent et peut-être en finir avec la vie... Les mystérieux drones qui survolent les champs, des étoiles bizarres qui apparaissent dans le ciel et une nuit qui ne tombe jamais annoncent le commencement d’une fin apocalyptique.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Un projet ambitieux

Émue par la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les agriculteurs français, Sarah Delaby-Rochette, au sortir de ses études théâtrales à l’Ensatt (École nationale supérieure arts et techniques du théâtre) de Lyon, a souhaité porter ce sujet à la scène en commandant une pièce à un dramaturge de sa promotion, Marcos Caramés-Blanco. Elle souhaitait aller à l’encontre des idées reçues sur l’agriculture intensive et son usage incontournable d’intrants chimiques : « L’on pouvait en arriver à croire que c’était les travailleur·euse·s qui posaient le plus de problèmes. Que nous étions face à des personnes qui ne se souciaient pas de l’environnement. »

Accueillie au sein de l’Ensemble artistique de La Comédie de Valence, elle a pu mener à bien son projet. Le texte qui, à l’origine, empruntait aux codes la science-fiction et voulait explorer en même temps « les défaillances structurelles de l’agriculture mondialisée signant sa défaite écologique, l’arrêt de mort de ses travailleur·euse·s et leur faillite économique », se focalise, en entomologiste, sur des individus en crise.

Dans la tonalité de Tom à la ferme, la pièce du Québécois Michel-Marc Bouchard, portée à l’écran par Xavier Dolan, l’auteur décrit la rudesse et la sauvagerie du monde paysan à travers le traitement du couple formé par Fab et Max. Ils prétendent être cousins par peur de l’homophobie qui les a fait se réfugier chez Mirèo – personnage au rôle assez flou dans la pièce. De leur côté Flo et Gigi sont le pendant féminin du couple de Fab et Max.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Entre fiction et documentaire

Le texte, dans sa volonté de s’éloigner du théâtre documentaire, traite des conséquences de la sécheresse sur un petit groupe disparate sans aborder de front les causes systémiques du réchauffement climatique, de la crise dans laquelle s’enfonce l’agriculture et des contradictions auxquelles sont confrontés les agriculteurs. Marie Depoorter, Sandrine Juglair, Benoît Moreira da Silva, Gaïa Oliarj-Inés, Mikaël Treguer et Catherine Vuillez défendent leurs rôles avec énergie dans des scènes imagées qui se raccordent les unes aux autres par le traitement de la lumière.

De grosses lampes manipulées à vue indiquent le passage du jour à la nuit et l’on voit celle-ci, de plus en plus claire, finir par ne plus jamais tomber. Dans un décor bientôt envahi par un amas de laine blanche déversée sur le sol, une DJ s’époumone devant un auditoire absent.

Si les personnages ont quelque chose de touchant – derniers des Mohicans, transfuges du monde urbain échoués dans une campagne qui se meurt – ce sont, Flo mise à part, des marginaux trop éloignés du monde paysan pour le représenter. La pièce hésite entre réalisme rural et science-fiction, et entre ces deux univers la mise en scène peine à s’affirmer. Ainsi, le spectacle passe souvent à côté de sa cible : tirer la sonnette d’alarme sur l’état des campagnes, alors qu’il y a urgence. Les paroles de Gigi, la fille de la terre, ont du mal à nous parvenir : « Toi tu le vois pas que c’est la fin parce que t’as pas vu le début. […] Toi t’as pas vu comment chez nous on crève un par un comme des mouches à merde sous le soleil. »

À sec, texte  Marcos Caramés-Blanco
S Mise en scène: Sarah Delaby-Rochette S Avec Marie Depoorter, Sandrine Juglair, Benoît Moreira da Silva, Gaïa Oliarj-Inés, Mikaël Treguer, Catherine Vuillez S Costumes Mélody Cheyrou S Lumière Alice Nédélec S Scénographie Camille Allain-Dulondel S Son Thibaut Farineau S Production Cie troisbatailles, La Comédie de Valence – CDN Drôme-Ardèche S Coproduction Les Quinconces et L'Espal, Scène nationale du Mans, Théâtre de Privas, Scène conventionnée Art en Territoire S Le spectacle a bénéficié de la bourse Beaumarchais-SACD Mise en scène S Avec le soutien du Pôle – Bibliothèque Armand Gatti, La Seyne-sur-Mer S Création à la comédie de Valence CDN Drôme-Ardèche. Représentations au Théâtre de la Ville du 13 au 17 mai 2025 S Durée 2h15

TOURNÉE
20 mai 2025 Les Quinconces et L’Espal, Scène nationale du Mans
8 et 9 septembre 2025
Festival SPOT, Théâtre Paris-Villette

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