28 Avril 2025
Entre illusion et récit, Matthieu Coblentz tisse l’étoffe des rêves et des cauchemars de J. M. Barrie. Il embarque trois comédiens chanteurs pour un voyage au pays de l’imaginaire, pas toujours tendre, des enfants. Des images fortes naissent au son de musiques baroques.
Du roman au théâtre
Ce soir-là, la voie est libre pour Peter Pan, le petit garçon qui refuse de grandir : M. et Mme Darling sont absents et la chienne Nana, qui tient lieu de nurse à leurs enfants, a été enchaînée dans le jardin. En compagnie de la fée Clochette, il entre par la fenêtre dans la chambre de Wendy, John et Michael, pour récupérer son ombre perdue lors d’une précédente visite. Peter entraîne les petits Darling à Neverland, pour que Wendy raconte des histoires et serve de mère aux Garçons perdus qui peuplent ce pays imaginaire. Les voilà qui s’envolent vers d’extraordinaires aventures dans cette contrée où sévissent bêtes sauvages, peaux rouges et pirates, dont l’ennemi mortel de Peter, le redoutable James Crochet, poursuivi par le crocodile qui a avalé sa main et un réveil matin...
Peter Pan hante l’œuvre de l’écrivain écossais James Matthew Barrie (1860-1937), dramaturge incontournable en ce début de XXe siècle où ses pièces triomphent sur les scènes londoniennes. Le petit garçon volant apparaît pour la première fois dans un roman fantaisiste, Le Petit Oiseau blanc, puis dans la pièce de théâtre Peter Pan or The Boy Who Wouldn't Grow Up (« Peter Pan ou le garçon qui ne voulait pas grandir »), dont la première eut lieu à Londres en 1904. Enfin une version romanesque, Peter and Wendy, est publiée en 1911.
Comment faire théâtre avec un livre si connu et si souvent adapté au cinéma – notamment par Walt Disney – et dans des albums pour la jeunesse. Matthieu Coblentz prend le parti radical de revenir au texte du roman, avec un prologue en forme de préface où l’auteur lui-même, sous les traits un peu inquiétants de Florian Westerhoff, apparaît pour nous présenter des bribes de son histoire, arrachée à sa propre enfance.
Entre récit et séquences dialoguées
Dans la continuité de son très réussi Fahrenheit 451, d’après le roman de Ray Bradbury, qui fut sa première mise en scène, Matthieu Coblentz opère un va-et-vient permanent entre récit et séquences dialoguées, en créant des images avec les moyens artisanaux du théâtre, sans succomber à la tentation des écrans. Dès les premières scènes, le spectateur est immergé dans un univers où la frontière entre imaginaire et réalité s’estompe. Par la voix de l’auteur et la force d’évocation de ses mots, la pièce bascule au pays de Neverland.
Le personnage de Barrie endosse le costume de Peter, puis de Crochet. La figure de la mère, présente au début, prête ses traits à Wendy, puis à Clochette, toutes trois jouées par Judith Périllat. Quant à Jo Zeugma, non content d’assurer la partie musicale du spectacle, il sera Mouche, acolyte du Capitaine Crochet, la chienne et autres utilités... Seul effet spécial du spectacle, la fée Clochette se limite à sa présence évanescente : petite entité volante, aux reflets dorés, elle survole discrètement la salle et la scène, en tintinnabulant. Trois interprètes suffisent à jouer tous les rôles, et le passage de l’un à l’autre souligne la fluidité des identités dans le jeu théâtral comme dans le faire-semblant des enfants.
Une esthétique baroque
La scénographie, signée Vincent Lefèvre, joue aussi sur l’illusoire. Rideaux et tentures permettent apparitions, disparitions ou projections d’ombres chinoises. Par un effet de lanterne magique, se dessinent, comme autant de mondes rêvés, des animaux, des peaux rouges et la silhouette inquiétante de James Crochet, escorté du crocodile au tic-tac. De la brume émerge une estrade : le bateau de pirates. La musique, composée par Jo Zeugma, pour piano et clavecin, donne une ambiance vieillotte à cette histoire d’un autre siècle. Les chansons sont constitutives des personnages : arias et lamento baroques de Haendel ou de Monteverdi pour la juvénile Wendy, morceaux des Beatles pour le Capitaine Crochet, en matamore romantique.
Une histoire en demi-teinte
Contrairement au Peter Pan idéalisé par Walt Disney et d’autres adaptations, Matthieu Coblentz voit dans le héros un enfant cruel et querelleur, sans foi ni loi : « À la lecture de Barrie, je me suis aperçu que Peter Pan porte la monstruosité de l’enfance, de l’enfance abandonnée – sa bestialité amnésique. ». Le personnage de Barrie refuse obstinément de grandir et supprime les Garçons perdus qui dérogent à cette règle. Il exècre les mères, ayant abandonné la sienne – qui l’a abandonné en retour – et honnit les parents pour les contraintes qu’ils infligent à leur progéniture.
Le spectacle en fait une créature vantarde et égoïste, éprise d’une toute-puissance infantile. L’on s’attache davantage à Wendy, figure maternelle et généreuse, ou à la fée Clochette qui se sacrifie pour sauver la vie de Peter. C’est Crochet qui remporte les suffrages, dans sa grande scène en duo avec un Mouche, éberlué par les manières d’aristocrate décadent du capitaine et par ses envolées poétiques, récitant, dans la foulée, Oceano nox de Victor Hugo : « Combien de marins combien de capitaines/ Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines/ Dans ce morne horizon se sont évanouis !/ Combien ont disparu, dure et triste fortune ! »
Ce Peter Pan, au-delà des aventures fantastiques au pays d’un garçon qui ne veut pas grandir, interroge le passage de l’enfance à l’âge adulte. Il renouvelle aussi le regard porté sur ce classique de la littérature jeunesse qui a donné son nom à une pathologie : le complexe de Peter Pan. Combien sont-ils aujourd’hui, ceux qui refusent de grandir, dans une société qui les infantilise ? Après le succès de ce spectacle qui, espérons-le continuera sa tournée, Matthieu Coblentz et son équipe du théâtre Amer préparent une mise en scène du Roi Lear (à partir du 22 octobre 2025 au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, à Paris).
Peter Pan d’après l’œuvre de Sir James Matthew Barrie / traduction Yvette Métral (Flammarion, 1981)
S Mise en scène, adaptation, scénographie Mathieu Coblentz S Collaboration artistique, lumière, scénographie Vincent Lefèvre S Dramaturgie Marion Canelas S Jeu Judith Périllat, Florian Westerhoff et Jo Zeugma S Création sonore Nicolas Roy S Régie son Clément Combacal, Simon Denis S Création musicale Jo Zeugma S Costumes Sophie Bouilleaux-Rynne S Décor, accessoires Jérôme Nicol S Construction Philippe Gauliard S Remerciements à Philippe Gouin pour les masques, le regard chorégraphique, la participation à la création musicale (Brief Candle) S Production Théâtre Amer S Coproduction Théâtre National Populaire – Villeurbanne, L’Archipel – Pôle d’action culturelle de la ville de Fouesnant/Scène de territoire pour le Théâtre de Fouesnant-les Glénan, Centre culturel Athéna –Auray, Maison du Théâtre – Brest, Centre culturel de Fougères agglomération, Théâtre du Champ au Roy – Guingamp, Théâtre du Pays de Morlaix – Scène de territoire pour le théâtre, Les Bords de Scènes – Grand-Orly Seine Bièvre, Théâtre de Cornouaille – scène nationale de Quimper, Très tôt Théâtre, scène conventionnée jeunes publics – Quimper, Le Canal, scène conventionnée d’intérêt national art et création pour le théâtre – Redon, La Paillette – Rennes S Soutiens DRAC Bretagne, Région Bretagne, Conseil départemental du Finistère, Théâtre Paris-Villette, SPEDIDAM Compagnie conventionnée par la DRAC Bretagne – Ministère de la Culture et bénéficiant du soutien du Conseil Régional de Bretagne S Dès 8 ans S Durée 1h
Du 13 au 28 avril 2025
Théâtre Paris Villette – 211, avenue Jean-Jaurès, Paris 19e
www.theatre-paris-villette.fr