28 Avril 2025
Pour sa quatrième édition, ce festival participatif invite les voisins et voisines, les amis et amies et les inconnus d’ici et d’ailleurs à découvrir une partie de ce qui forme l’identité de Nanterre : une juxtaposition d’identités, d’origines et de savoirs divers, réunis dans l’espace de la ville. Une belle leçon d’humanité sur le thème, cette année, de « Dis-moi ce que cuisiner et manger te rappelle de ton histoire et je comprendrai mieux qui tu es… »
Le projet est initié dès l’origine par Philippe Jamet, un chorégraphe formé au Merce Cunningham Studio. Sa démarche intègre à son travail avec des danseurs professionnels une recherche en direction des danseurs amateurs, de milieux, d’âges, de cultures et de pays différents et il porte un intérêt particulier aux collages de morceaux de vie, aux éléments issus de l’art brut et de la culture populaire.
Le Festival Dans ma maison vous viendrez s’inscrit dans cette démarche placée sous le signe de la rencontre. Faire connaître aux Nanterriennes et aux Nanterriens la diversité et la richesse non de ce qui les entoure mais de ceux qui forment le tissu de la ville où ils vivent, pour certains depuis un grand nombre d’années. Se confronter à cet autre qui vit à côté pour mieux le comprendre et, pourquoi pas, partager avec elle ou lui des expériences de vie.
Un processus de longue haleine
C’est au travers d’un travail continu avec les forces vives de la ville de Nanterre que se « recrutent » les candidats à ce stand-up d’un genre particulier. Les animateurs du Théâtre des Amandiers jalonnent la ville, entrent en contact avec les centres sociaux, associations de quartiers, groupements sportifs ou culturels, ou autres regroupements qui forment le tissu où se reflète la physionomie de la ville pour rechercher les personnes qui seront partie prenante de ce projet de théâtre à domicile qui n’est pas vraiment du théâtre mais prend la forme d’un conte proposé par une habitante ou un habitant à quelques autres – une vingtaine de spectatrices et spectateurs en moyenne pour chacune de ces « représentations » qui auront lieu, pour les « artistes », deux fois, à une semaine d’intervalle.
Discuter et convaincre du bien-fondé du projet, puis composer la « distribution » de l’événement. Assister ensuite chaque intervenant dans l’élaboration de l’histoire personnelle qu’il veut transmettre dans le respect de ce chacun veut dire, du message qu’il veut porter en servant au besoin de répétiteur, avant le lancement dans le grand bain, rassurer, si le besoin s’en fait sentir, et organiser l’ensemble des rencontres est du ressort de l’équipe du théâtre qui accompagnera ces conteurs de deux jours dans leur parcours..
Se raconter au travers de la cuisine
Parler de soi n’est jamais simple quand on le fait en présence d’un groupe restreint venu là pour vous écouter. Le faire au travers d’un thème « imposé » donne un cadre dans lequel s’inscrire, un chemin directeur dans lequel marcher. L’an passé, JO obligent, le sport tenait la corde. Cette année, c’est à la cuisine qu’est confiée cette mission d’intermédiaire. Parce que la tâche de cuisiner est commune à tous. Parce qu’en France la cuisine occupe une énorme place. Parce qu’elle est porteuse de nos origines et de nos adaptations. Parce qu’elle est révélatrice de ce que nous sommes. Parce qu’enfin cette activité, sous ses dehors quotidiens et triviaux, est synonyme de culture, qui ne consiste pas seulement en une accumulation de savoirs mais réside aussi dans une fusion entre notre héritage, ce que nous sommes et ce que nous vivons. Un thème qui sera diversement abordé par les « spectacles » que proposent les huit intervenants de ce quatrième festival.
Sous le signe de la diversité
S’introduire dans un intérieur étranger est riche d’enseignements car chaque fois s’ouvre un monde qui met l’imagination en branle. Lorsqu’on pénètre chez Didier, c’est l’accumulation des souvenirs qui vous saute à la figure : la présence de la mandoline du grand-père – désaccordée et inaccordable – les photos de famille qui envahissent les murs, le bâton à paroles – tout un symbole ! – rapporté du Canada, les souvenirs de voyages mais aussi, scotchés sur les vitres de la bibliothèque, un rassemblement des « anciens » fait pour l’occasion, et avec eux toute l’Italie qui remonte et s’impose dans le paysage nanterrien et dans l’histoire familiale que Didier, né en France, entreprend de conter, traçant en permanence un chemin entre son présent et la recherche de ses origines.
Chez Geneviève, on trouve, dans un décor épuré et design peuplé d’œuvres d’art, tout l’artifice du récit à la manière d'une fiction théâtralisée, mise en scène avec entrée et sortie des personnages et reconstitution verbale qui redessine la disposition de l’épicerie des grands-parents, la place du salé, des conserves, du sucré et, passage obligé, des bonbons et autres chewing-gums. Une évocation qui fait revenir, seulement accompagnée de quelques photos, d’un vestige de carte postale et d’un livre de recettes, l’évocation des crêpes incomparables de la grand-mère, enrichies au lait concentré et parfumées au miel, qui résonnent encore dans l’esprit de la narratrice.
Dans les locaux du Théâtre du bout du monde, dans un quartier excentré de Nanterre, c’est avec vue sur cuisine qu’on plongera dans les voyages de Jocelyne, surnommée « Amala » – la grand-mère, la sage – par les Tibétains de Nanterre, pour parler de son enfance normande et de sa soif d’apprendre en même temps que des couleurs du sel de par le vaste monde et des traditions culinaires, parfois étranges, des pays lointains. C’est là aussi que Miguel, qui enseigne le théâtre, se mettra en scène pour nous parler de son amitié avec un fin gourmet français, de son enfance en Colombie, du mole poblano mexicain au cacao aussi bien que du rapport entre cuisine et théâtre – qui est pour lui une forme de « cuisine ».
Deux autres parcours de deux récits chacun composeront ce voyage culturel et culinaire qui s’étale du vendredi soir au dimanche avec des séquences à 15 heures et 19 heures. Ils passeront par le cari d’agneau et le bouleversement des manières de cuisiner tout comme par les épices jamaïcaines et les saveurs qui remontent du passé, établiront un parallèle entre la dévoration des haricots qu’on écosse et celle des livres dont on se gave, entre la campagne et la ville, ou encore exploreront la cuisine comme temple des valeurs familiales.
Une autre forme de théâtre
Ils sont émus, toute sensibilité à vif même s’ils la dissimulent, atteints par le trac, ou au contraire à l’aise dans leur récit et conscients de se situer dans le domaine du jeu, parfois les deux à la fois. Ils se lancent, et leur trou de mémoire occasionnel ou leur égarement loin du point de départ est quelquefois réduit, pour relancer la machine, par la comédienne ou le comédien qui les a épaulés dans la construction de leurs récits.
Ils structurent leur discours ou sautent du coq-à-l’âne dans un croisement entre passé et présent, entre ce qu’ils sont et ce dont ils ont hérité, la jouent madeleine de Proust, docu-fiction ou contribution à leur ossature. Ils racontent sans recourir au moindre artifice ou s’appuient sur les objets comme la bouée qui traîne dans son sillage un chapelet de souvenirs, parfois comme un moyen de rebondir. Leurs tranches de vie constituent une autre mise en scène du monde et s’ils n’ont pas tous de véritables talents de conteurs, capables de tenir en haleine leur public avec une histoire, leurs récits ouvrent l’accès vers d’autres mondes et engendrent, en même temps que la force de ce qu’ils ont à dire, la réflexion sur les devenirs de courage et de force qu’ils ont en partage.
Des « messages » sans pathos, mais pleins d'émotion
Ils disent avec leurs mots, leurs expressions, leurs visions de l’état du monde. On voit passer Mussolini sur un air de vitello tonnato et de bagna caùda aux anchois. On se replonge dans les friandises des entractes du cinéma d’autrefois au son de vieilles publicités pour la Quintonine ou la Boldoflorine ou de considérations sur le « tiot » café du Nord – réchauffé, bouillu-foutu – tandis qu’on évoque, à travers les crêpes et les frites la pauvreté et la faim. Se dessine l’histoire d’une petite fille mal-aimée qui remplace la maltraitance des religieuses et la mal-bouffe du pensionnat par l’appétit du savoir et la conquête du vaste monde. Et les tournées théâtrales d’un Colombien installé à Nanterre depuis trente ans nous ramènent à la musique latino-américaine, au cochon farci comme aux luttes des femmes de là-bas, tout en nous plongeant dans le gigantisme d’un pays d’un milliard d’habitants tous sanglés dans un costume Mao.
Ils truffent leur français de piémontais ou d’espagnol, empruntent les expressions populaires, s’amusent de la place de la nourriture dans la langue française – mettre les pieds dans le plat, courir sur le haricot, tourner vinaigre, avoir la moutarde qui monte au nez, prendre une pêche en pleine poire, etc. –, au même titre qu’ils citent Platon ou évoquent le cornet de frites qu’on déguste accoudé à la tablette d’un food-truck.
Ils parlent de leurs détestations et de leurs engagements, du silence nécessaire qu’on adoptait dans la Pologne de Jaruzelski ou de la nécessité de préserver le théâtre, évoquent les obstacles qu’ils ont dû surmonter pour devenir ce qu’ils sont. On devine, en chacun d’entre eux, bien qu’ils ne les expriment qu’à mots couverts, les failles qu’ils ont dû combler pour avancer, trouver leur accomplissement qui passe par une forme de partage, éducatif ou militant. « Tomber, c’est pas grave. Ça permet de se relever », dira Jocelyne qui ajoutera ailleurs, évoquant son grand âge : « Vieillir, c’est juste se dire qu’on est encore vivant. » De belles leçons de vie offertes dans ces mains tendues au voisin d’à côté.
Dans ma maison vous viendrez #4 – Festival participatif au cœur de Nanterre
S Un projet de Philippe Jamet S Assisté des comédien.ne.s Raphaëlle de la Bouillerie, Paul Thouret, Axel Godard, Gabriel Gozlan-Hagendorf S Lieux Dans la ville de Nanterre S Avec les habitant.e.s de Nanterre Marcia Bernard, Didier Lovera, William Hogge, Geneviève Zarate, Jocelyne Saint-Aubin, Janine Perraudin, Baptiste Agnero Ragot, Corentin Agnero Ragot, Miguel Boras S Production Théâtre Nanterre-Amandiers et le Groupe Clara Scotch S Avec le soutien de la Fondation Spie Batignolles S Durée estimée par récit 1h S Entrées libres sur réservation
Les week-ends du 25 avril et du 2 mai 2025
Festival gratuit sur réservations.
Tél. 01 46 14 70 00 et sur https://nanterre-amandiers.com
Informations www.nanterre.fr/agenda/evenement/dans-ma-maison-vous-viendrez-4
Lieux de rendez-vous
Parcours 1: Les récits de Janine et de Marcia Rendez-vous au 32 rue Salvador Allende, Nanterre
Parcours 2: Les récits de Didier et Geneviève Rendez-vous au 101 rue Pablo Picasso, Nanterre
Parcours 3: Les récits de William puis Baptiste et Corentin Rendez-vous au 25 rue Thomas Lemaître, Nanterre
Parcours 4: Les récits de Jocelyne et Miguel Rendez-vous au Théâtre du Bout du Monde, 3 résidence des Glycines, Nanterre