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Arts-chipels.fr

Les Zébrures du printemps 2025 : les clameurs du monde

Les Zébrures du printemps 2025 : les clameurs du monde

Des forêts qui brûlent, des existences qui sombrent, des enfants perdus et des mères orphelines... De la page à la scène, ce festival fait entendre en lecture des encres fraîches, en amont de leur création scénique. Une occasion de découvrir auteurs et autrices francophones dans leur diversité.

Placée sous le signe d’un point d’exclamation, cette manifestation printanière est l’occasion, pour Hassane Kassi Kouaté, directeur des Francophonies – des écritures à la scène, de faire valoir les activités, peu visibles, du festival : la Maison de auteurs et autrices, qui reçoit tout au long de l’année des écrivain.e.s. La plupart des textes programmés sont issus de ces résidences d’écriture, mais on entendra aussi les lauréat.e.s des prix partenaires des Francophonies. RFI : Enfant de Gad Bensalem (Madagascar) et SACD : On ne part pas en guerre avec une vie qui danse de Phannuella Tommy Lincifort (Haïti) et Tatriz de Valentino Sergon (Suisse)
Malgré les difficultés financières que traverse le festival, comme nombre de lieux culturels, dix pièces sont présentées par des équipes de comédien.e.s avec, cette année encore, un focus sur les dramaturgies au féminin, trop peu nombreuses, surtout en Afrique. Mais les auteurs ont aussi leur place.

Au QG du festival, l’Espace Jean Gagnant, dans une ambiance chaleureuse, des lectures particulièrement soignées nous ont révélé l’acuité des regards portés sur le monde par les artistes venus de toutes parts, avec de belles surprises dont un oratorio à trois voix en forme de plaidoyer pour nos forêts, et la présence lumineuse de Laurence Mayor, en vieille dame indigne.

À nos forêts. Phot. © Christophe Péan

À nos forêts. Phot. © Christophe Péan

Les voix de la nature

À nos forêts nous invite, sous forme d’un concert électro-rock, à visiter des paysages dévastés par le feu et la monoculture sylvicole, et évoque avec nostalgie une nature menacée de disparition. Coupes rases, plantations lucratives, déforestation... le pillage est sans borne. Sur un livret signé Marion Guilloux, mosaïque de poèmes, extraits d’actualité, lettre d’amour..., Joaquim Pavy crée une musique où cohabitent gammes orientales, rythmes sud-américains, variations rock sur Les Quatre Saisons de Vivaldi ou encore une ode antique à Apollon, partition retrouvée au Temple de Delphes... Charles Meillat, Joaquim Pavy et Marion Guilloux prêtent leurs voix, parfois distordues par les synthétiseurs, à Dionysos, un conférencier, une journaliste et, surtout, aux arbres. Écoutons la plainte de ces majestueuses créatures : « Nous sommes venus au monde sans voix/ C’est vous qui nous avez nommés/ Hyle, Sylvia, Materia, Arb/ Il y eut un temps où vous honoriez notre croissance/ Notre durée/ Il y eut un temps où vous saviez encore nous voir/ Nous regarder/ Et nous vous regardions ».

Ce spectacle composite traduit poétiquement et musicalement les perceptions qui assaillent le promeneur lors d’une marche dans les bois : bruit du vent dans les feuilles, course furtive d’un animal, sentiments poignants à évoquer ce qui a disparu, prévision d’apocalypses futures si l’on ne tend pas l’oreille à la sagesse de la nature. Inspirée par l’esprit de la forêt qu’elle a capté, Marion Guilloux appelle au soulèvement plutôt qu’à la déploration. Les arbres, instance tutélaire, l’y incitent : « Notre quête irrésistible de lumière vous a appris la ligne droite/ Et nos ramifications désordonnées, la transgression/ Nous avons fait surgir en vous le paradoxe, le doute et la possibilité de la fuite ». 

À nos forêts est réalisé au sein du collectif Champ libre, qui s’est installé il y a dix ans à Saint-Junien, petite commune de Haute-Vienne de onze mille habitants. La dizaine d’artistes qui le compose – comédiens, musiciens, plasticiens – organise un « Festival de création émergente et pluridisciplinaire » au mois d’août et, autour de sa « Fabrique culturelle & artistique », L’Étoile Bleue, propose des créations, accueille en résidence d’autres compagnies et anime, pour les habitants et les écoles des environs, des ateliers de théâtre, de musique. Une implantation réussie avec le soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine.

Les dieux tambourinent de Jeannine Dissirama Bessoga (Togo), lance l’alarme sur les catastrophes climatiques qui menacent l’Afrique. Ici, un petit village du Togo dont la source sacrée a disparu. Une jeune influenceuse, revenue au pays natal, en témoigne, via TikTok, au carrefour d’une société traditionnelle et du monde hyper-médiatisé. Un carambolage réussi entre deux cultures.

Enfant. Phot. © Christophe Péan

Enfant. Phot. © Christophe Péan

D'une génération l'autre

Enfant de Gad Bensalem nous emmèneRN 44, sur l'île de Madagascar, sur les pas de Doda. Routier de profession, il cherche désespérément son père qui l'a abandonné enfant. « Je suis un homme mort de l'intérieur », dit-il de lui-même. À l'Épi-bar d'Ankodahoda – au milieu de nulle part – tenu par Claudette qu'il aime en secret, il rencontre des personnages improbables portant en eux les failles et les blessures de la société malgache. Poète slameur, Gad Bensalem, en compagnie des chanteuses-danseusesDina Mialinelina, Judith et Olivia Manantenasoa, fait entendre sa prose rocailleuse, pour un voyage au plus profond de son pays natal « qui vomit ses enfants ».Un road trip existentiel où la gravité du ton l'emporte sur l'humour qui sous-tend le texte.

On ne part pas en guerre avec une vie qui danse , de l'autrice haïtienne Phannuella Tommy Lincifort, rencontré en présence une mère et le fantôme du fils qu'elle a refusé de mettre au monde. Elle dévoile, au fil du dialogue, le viol collectif qu'elle a subi et l'a conduite à tuer ses neuf agresseurs, par vengeance : « Je n'ai pas eu le choix », dit-elle à l'enfant dont elle a avorté, apparu à l'aube de son exécution pour meurtre. « Je t'ai sauvé du pire, de la pauvreté et de la violence », ajoute-t-elle. Comment donner la vie dans un pays écrasé par la violence au quotidien ? Pour cette fable tragique, suspendue entre vie et mort, écrite avec concision et sans pathos, Phannuella Tommy Lincifort a reçu le Prix SACD 2024 de la dramaturgie francophone.

Une Vénus de 5 743 ans. Phot. © Christophe Péan

Une Vénus de 5 743 ans. Phot. © Christophe Péan

Une Vénus de 5 743 ans . On change de continent et d'ambiance avec l'auteure suisse d'origine slovaque, Olivia Csiky Trnka. Une très vieille femme arrivée au bout du rouleau s'apprête à se donner la mort au pentobarbital de sodium. Avant de boire le breuvage létal, dans la solitude de sa maison de retraite, elle s'adresse à une jeune femme imaginaire et au public, fantôme présent-absent de son champ de vision. Il fallait le talent de Laurence Mayor pour incarner cette vieille irrévérencieuse, drôle et méchante. Elle s'en prend en toute liberté au système de l'EPHAD, machine à broyer les soignants et à maltraiter les pensionnaires. Ses photos et ses saillies ne l'épargnent pas davantage : ex-magnat de l'industrie touristique, elle se reproche d'avoir participé au saccage de la nature sauvage. Majestueuse jusque dans sa déchéance physique et mentale, cette Vénus cacochyme achève son temps dans une dernière étreinte avec la vie en forme de poème. L'écriture impertinente et sensible met du baume sur un sujet particulièrement tabou.

D'autres événements ont jalonné ces Zébrures de printemps, dont la performance remarquée de l'écrivain rwandais Dorcy Rugamba, Hewa Rwanda Lettre aux absents . À suivre…

Les dieux tambourinent. Phot. © Christophe Péan

Les dieux tambourinent. Phot. © Christophe Péan

Zébrures de printemps
Du 17 au 29 mars 2025
Les Francophonies-des écritures à la scène, 11 avenue de Général de Gaulle, Limoges 87

À nos forêts
Du 26 au 28 avril 2025, Expression 7 Limoges
14 juin2025, Ferme de Villefavard en Limousin, Centre culturel de rencontres
Du 22 au 30 août 2025 Festival de Saint-Junien
. 60 Route de la Forge, Le Monteil  Saint-Junien (87) www.festivalchamplibre

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