14 Avril 2025
Un quatuor de comédiens nous raconte une histoire qui commence dans un supermarché, se poursuit au commissariat, et finit bien quand même. Le monde du travail est mis en question avec fantaisie par Gilles Granouillet et en scène par la compagnie Hercub’.
Pour un théâtre engagé
En 1991, Michel Burstin, Bruno Rochette et Sylvie Rolland fondaient la compagnie Hercub’. Ils ont depuis réalisé une vingtaine de spectacles, essentiellement des pièces d’auteurs vivants qui interrogent nos comportements sociaux. Gilles Granouillet s’inscrit parmi ces dramaturges dont les personnages, profondément humains, sont toujours animés, dans leur quotidien, d’un petit brin de fantaisie. Il nous parachute dans le monde du travail, au sein d’un conflit entre obéissance à la hiérarchie et solidarité de classe. Monsieur Moreau, ex-cadre supérieur, est devenu vigile de supermarché, une dégringolade sociale couplée avec la désertion de son épouse. Il surprend une caissière en train de voler un parfum. Or, il la connaît bien : Madame dos Santos est sa voisine et a été la nounou de sa fille, Suzanne, aujourd’hui adolescente. Par crainte de perdre son emploi, le vigile ne passe pas l’éponge et c’est la caissière qui sera licenciée... Mise au courant, Suzanne exige réparation. C’est ainsi qu’ils montent ensemble un stratagème foireux à l’encontre du patron, afin qu’il réintègre la caissière. Les choses tournent mal, la police s’en mêle, mais tout est bien qui finit bien.
Une pièce composite
Avec son art de parler avec légèreté des choses graves, Gilles Granouillet a voulu mettre ce drame à distance en le composant comme un polar que ses protagonistes viendraient raconter au public, quelques années après les faits.
Les comédiens se lancent dans la reconstitution des événements. Tantôt ils jouent les situations, tantôt ils les commentent avec le recul du temps. Père et fille rejouent leurs aventures, la commissaire de police enquête sur leur subterfuge de « Pieds Nickelés »... S’y ajoute l’irruption ex abrupto d’un étrange bonhomme, sorti d’une toile du Caravage, la Vocation de Saint Matthieu, et à la fin de tout ça, on se retrouve dans l’ambiance du stade de Saint-Étienne et de ses Verts. « Très très éclectique ! commente Gilles Granouillet. Le résultat ? Une farce socio–familiale ? Un polar mystique ? »
La morale de l’histoire
Les comédiens s’emploient tant bien que mal à recoller les morceaux de cette pièce dense et disparate dans une scénographie dépouillée qui permet de passer d’un lieu et d’une temporalité à l’autre. Les ruptures de jeu, bien menées, déportent le pathos des situations vers un propos sociologique plus général. Monsieur Moreau (Bruno Rochette) symbolise l’ex « cadre sup » déclassé, Suzanne (Erine Serrano), sa fille, la jeunesse généreuse. Le directeur du supermarché (Philippe Awat) et l’enquêtrice (Sylvie Rolland) sont, eux, des personnages qui « sortent du cadre » assigné par leur fonction sociale habituelle. L’auteur fait ainsi valoir que l’individu a toujours la capacité d’échapper à la violence de l’entreprise par la force de la solidarité. Quant à Matthieu, fantasque et énigmatique, il serait le bon génie qui ouvre les yeux aux victimes de l’exploitation de l’homme par l’homme. Il nous laisse croire au miracle dans notre monde de brutes, tout en apportant une respiration comique à l’imbroglio théâtral.
La mise en scène, précise, et le jeu des comédiens, excellent, nous laissent trop à distance pour que nous puissions entrer complètement dans cette histoire. Toutefois on ne peut qu’adhérer au parti-pris social des Pieds sur terre, s’amuser des détours surprenants que prend la narration et apprécier les scènes dialoguées remarquablement écrites.
Les Pieds sur Terre. Texte Gilles Granouillet
Mise en scène Michel Burstin, Bruno Rochette, Sylvie Rolland
S Avec Philippe Awat, Bruno Rochette, Sylvie Rolland, Erine Serrano S Scénographie Thierry Grand S Lumières Vincent Tudoce S Son et musique Pascale Salquin S Costumes Alexandra Langlois S Production Compagnie Hercub’ S Soutiens Ville de Villejuif, L’Envolée – Pôle artistique du Val Briard des Chapelles Bourbon, SPEDIDAM, ADAMI, Théâtre Romain Rolland – Scène conventionnée d’intérêt national de Villejuif, Scène Watteau de Nogent-sur-Marne, Centre culturel Jean Vilar de Marly-le-Roi, SEL de Sèvres, l’Athénée – le petit théâtre de Rueil-Malmaison et la Maison Pour Tous Gérard Philipe de Villejuif S La Compagnie Hercub’ est soutenue par le Conseil Départemental du Val-de-Marne et par l’E.P.T. 12 Grand Orly Scène Bièvre du Grand Paris S Durée 1h 20
Du 2 au 30 avril 2025
Théâtre de Belleville 16, passage Piver Paris 11e – T. 01 48 06 72 34