15 Avril 2025
Du 1er avril au 31 juillet 2025, le Petit Palais extrait de ses fonds esquisses, dessins et gouachés de bijoux, qu’il associe à la présentation de très belles pièces de joaillerie. L’occasion d’un croisement enrichissant entre inspiration et réalisation, art et technique, à la croisée de l’esprit des temps, des beaux-arts et des modes.
Charles Jacqueau pour Cartier, Projet de pendentif (non réalisé), début des années 1910. Crayon graphite, gouache et encre noire au recto, gouache au verso sur papier vergé translucide. 18,5 × 6,4 cm. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Donation famille Jacqueau, 1998. © Charles Jacqueau – Paris Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
L’exposition Dessins de bijoux. Les secrets de la création couvre une période qui s’étend de la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe. Elle tire sa matière des quelque 5 500 dessins collectés au fil du temps à partir de la fin des années 1990 (1998) par le musée du Petit Palais. Outre les legs des héritiers de Pierre-Georges Deraisme, dessinateur et modeleur mais surtout ciseleur pour René Lalique et promoteur de l’Art nouveau et de l’Art déco, et de Charles Jacqueau, qui occupa dans la Maison Cartier une place de choix au sein du studio de création – qui ont tous deux scrupuleusement conservé leurs études, parfois même ordonnées dans des cahiers –, on y trouvera des documents issus de maisons prestigieuses telles Boucheron, Cartier, Rouvenat et Vever ainsi que les réalisations des bijoux, associés à certains de ces dessins préparatoires aussi bien que les ouvrages de fond dans lesquels les dessinateurs puisèrent la base de leur inspiration.
Dessinateurs non identifiés pour Léon Rouvenat, Broche, années 1850-1870. Crayon graphite, aquarelle et gouache sur papier vélin translucide, 16,3 × 10,8 cm. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Don Marc Bascou, 2018. CCØ Paris Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
Une exposition organisée en quatre parties
Quatre étapes jalonnent le parcours de l’exposition. La première est consacrée aux sources d’inspiration qui président à la création du projet de bijou et à la manière dont elles sont transcrites et conservées, du répertoire de formes et de modèles jusqu’aux pages de carnets de croquis effectués par les dessinateurs. La deuxième partie entrera plus avant dans la technique qui mène de l’idée à sa réalisation, à travers les différentes étapes d’un dessin qui se précise et, gouaché, devient œuvre à part entière destinée à la communication et à de multiples usages. Elle sera complétée par une vidéo réalisée à la Haute école de joaillerie qui, traversant le temps, montre la pérennité de la transmission du savoir-faire. La troisième évoque la synergie nécessaire pour passer du dessin à sa réalisation, voire à sa transformation apportée par l’expérimentation, pratique. Aux dessinateurs s’ajouteront modeleurs, graveurs, ciseleurs, reperceurs, émailleurs, joailliers, sertisseurs, enfileurs ou encore polisseurs, pour produire ces pièces de joaillerie qui figureront à côté de leurs modèles dessinés et peints. Enfin il sera question de la postérité donnée à ces créations comme source d’inspiration pour les générations suivantes. L’exposition se clôturera par la présentation de pièces de bijoux conservées par le musée du Petit Palais ou présents dans des œuvres picturales.
Attribué à Lucien Falize, Collier de style néo-Renaissance, entre 1880 et 1890, en or jaune agrémenté de petites perles fines, avec au centre un pendentif à profil de jeune femme dans des entourages de rinceaux, fleurs de lys et monogrammes avec les lettres H et D, qui sont les initiales du roi Henri II et de sa maîtresse Diane de Poitiers. Décor en émail peint sur cuivre du médaillon (16 cm) réalisé par Claude Popelin. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, achat en 2005.Achat sur les arrérages du legs Dutuit, 2001. CCØ Paris Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
Trouver l’inspiration
Le parcours s’ouvre sur les motifs décoratifs qui serviront d’aliment à une adaptation ou à la recréation de motifs destinés aux bijoux. Des poteries antiques aux répertoires de motifs engrangés par les dessinateurs, en passant par les publications présentant différents motifs décoratifs, des bibliothèques privées des joaillers ou des dessinateurs jusqu’aux musées, on voit apparaître tout un arsenal de figures mises à la disposition des artistes qui jouent avec eux, les reproduisent ou les détournent, les combinant entre elles, recourant aussi bien à la copie qu’à une stylisation dans l’esprit du temps. L’Antiquité, la Renaissance, l’art pharaonique comme les arts extrême-orientaux chinois ou japonais y trouveront leur place, alimentés, par exemple par la Grammaire de l’ornement illustrée d'exemples pris de divers styles d'ornement d’Owen Jones, paru en 1865. Tous ces éléments témoignent d’une curiosité et d’un intérêt des dessinateurs qui débordent très largement le seul objectif de la réalisation de bijoux.
Image de gauche. Dessinateur non identifié pour Boucheron, Nécessaire papillons, vers 1945. Crayon graphite, encre et gouache au recto, encre et gouache au verso sur papier vélin translucide, 12,1 × 15 cm. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Achat sur les arrérages du legs Dutuit, 2002. CCØ Paris Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Image de droite. René Lalique, Pendentif «Anémone des bois», vers 1900. Or, diamants, émail et pâte de verre. 6,6 × 5,2 × 2,5 cm. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, achat sur les arrérages du legs Dutuit, 2010. CCØ Paris Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
La nature, un leitmotiv qui traverse le temps
L’étude des plantes remonte à la nuit des temps mais la botanique, en tant que science, connaît un véritable essor au XVIIIe siècle, en particulier avec la classification proposée par le naturaliste suédois Carl von Linné. Alors que l’esprit encyclopédique des Lumières associe nature et culture, un fort sentiment de la nature se développe et les dessinateurs de bijoux s’inspirent de cette tendance en plein essor pour s’intéresser à la nature sous toutes ses formes. Les artistes observent sur le motif, à la campagne, au Jardin des plantes ou sur les bords de l’eau. Fleurs et fruits, oiseaux et papillons pullulent dans leurs créations. Ils y ajouteront bientôt l’étrange et l’inattendu à travers coléoptères et insectes, s’éloigneront de la précision naturaliste pour aborder la stylisation, voire l’imaginaire. L’Art nouveau en constituera la consécration, tandis qu’aux branches et bouquets fleuris et aux animaux entiers succèderont les motifs de la peau tachetée de la panthère ou la figuration rayonnée d’une roue de paon.
Image de gauche. Charles Jacqueau pour la maison Cartier, étui à cigarette (v. 1912). Crayon graphite, encre et gouache au recto, gouache au verso sur papier translucide. Paris Petit Palais. Donation famille Jacqueau, 1998. Charles Jacqueau rapproche ici sur la même soilhouette d’étui à cigarettes différentes propositions décoratives. Image de droite. Charles Jacqueau pour la maison Cartier, Broche coq (sans date). Crayon graphite sur papier translucide. Mise en couleurs permettant de visualiser les matériaux imaginés pour sa réalisation. . Paris Petit Palais. Donation famille Jacqueau, 1998.
Une plongée passionnante dans la technique
On découvrira que les dessins de bijoux sont faits à l’échelle 1, soit à la dimension de ce que sera la pièce finale, et on ne peut qu’admirer la finesse avec laquelle certaines pièces, très petites, apparaissent dans une lumineuse clarté. L’exposition fait la part belle à l’extraordinaire minutie avec laquelle les dessins sont réalisés et à la précision des détails qui nécessitent une sûreté du trait hors du commun. Elle révèle aussi les artifices offerts par les matériaux auxquels recourent les dessinateurs pour valoriser leurs pièces : le choix d’un papier coloré pour mettre en valeur la pureté du diamant ; le recours à des papiers translucides pour donner de la profondeur en ombrant le verso de l’image ; l’utilisation de la gouache, qui adhère à tout type de support et dont la texture varie selon son degré de dilution, permettant des effets de transparence et de légèreté ou à l’inverse créant une matérialité par son épaisseur. On découvre enfin que l’image obéit à une codification précise, qui permettra aux corps de métiers chargés de la réalisation du bijou de la traduire en forme, en volume et en matériaux, et on mesurera la part de liberté que conserve l’artiste pour attribuer à chaque gemme une couleur.
Première image. Charles Desrosiers, Projet de Peigne épingle «Sycomore», vers 1905. Crayon graphite et gouache sur papier vélin translucide BFK Rives contrecollé sur papier bleu, 21,7 × 13,9 cm. Paris, Les Arts Décoratifs, musée des Arts Décoratifs. © Les Arts Décoratifs. 2e image. Georges Fouquet, d’après le dessin de Charles Desrosiers, Peigne épingle «Sycomore», vers 1905. Corne, émaux sur paillons cloisonnés d’or, diamants et opales, 15 × 8 cm. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Achat à Georges Fouquet, 1937. © ADAGP, Paris, 2025, Georges Fouquet – Paris Musées / Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
De l’image à l’objet : place aux réalisations !
Si les dessins sont en eux-mêmes de petites merveilles, le passage du dessin à l’objet est tout aussi fascinant. Parce qu’on découvre ce qui fait le sel de l’objet par rapport à son modèle : l’interprétation qu’il propose qui, pour fidèle qu’elle est, n’en est pas moins une autre vision. Ainsi le Peigne Naïade d’Eugène Grasset (1900), produit pour Vever Frères, ou le Peigne épingle Sycomore conçu par Charles Desrosiers pour Fouquet acquièrent-ils une nouvelle identité. Le bracelet rigide Chimères de Cartier, aux têtes affrontées, d’inspiration indienne, de son côté, fait l’objet de deux déclinaisons : la première en or émaillé, avec corail sculpté, saphirs, diamants, émeraudes et onyx, la seconde dans une version en platine, avec diamants, saphirs, émeraudes et cristal de roche. Quant à l’Étui à cigarettes de Charles Jacqueau, qui explore sur une même feuille quatre propositions de trames décoratives, il est accompagné de la réalisation de l’une d’entre elles, révélant un étui en or émaillé, onyx et diamants sertis dans du platine. Dans les interstices laissés entre le ou les dessins d’origine et la réalisation, c’est encore de l’imaginaire qui circule…
Dessinateur non identifié, pour Cartier Paris, Dessin pour un bracelet Chimères, 1928. Crayon graphite, encre et gouache sur papier vélin translucide. Archives Cartier, Paris. © Cartier
Cette traversée esthétique dont on ne peut qu’admirer les réalisations, qu’elles correspondent ou pas à ses propres goûts – et il y a de la diversité entre ces inspirations qui mélangent art antique, style Renaissance, Art nouveau ou Art déco –, s’accompagne de quantité d’informations historiques qu’il serait fastidieux d’évoquer ici : sur les professions liées à la réalisation des bijoux, sur les maisons d’orfèvrerie et de bijoux, sur le style de chacune d’entre elles, sur leur choix esthétiques – le refus, par exemple de Cartier d’aller sur le terrain de l’Art nouveau – et sur ceux qui en furent les figures de proue artistiques. De quoi susciter la curiosité. Mais on insistera sur la beauté des dessins et des pièces exposées qui portent en eux la dimension d’un voyage dans un siècle d’imaginaire.
Sur l’affiche : Raymond Subes, Collier, années 1910. Crayon graphite et gouache sur papier gris, 23,8 × 16 cm. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Achat, 2007. © ADAGP, Paris, 2025, Raymond Subes – Paris Musées / Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
Dessins de bijoux Les secrets de la création
Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Avenue Winston-Churchill, 75008 Paris.
Tel : 01 53 43 40 00 petitpalais.paris.fr
Du 1er avril au 20 juillet 2025. Mar.-dim. 10h à 18h. Nocturnes ven. & sam. jusqu'à 20h