18 Juin 2022
Julie Berès met en scène quatre jeunes femmes emblématiques, issues de familles venues de l’immigration, qui ont dit « non ! » à ce que la famille et la société voulaient faire d’elles. Quand le refus se mue en force positive et devient synonyme d’une vie palpitante, à fleur de peau.
Ça commence fort, par une jeune femme en hijab, toute de noir vêtue sur un plateau noir. Elle nous prend à témoin. Elle est en contact, sans que ses parents le sachent, avec un homme rencontré sur les réseaux sociaux. Il est question de religion, de lectures des sourates coraniques, de solidarité entre des « frères », d’aider les plus démunis. Pour la jeune fille pétrie d’idéal et avide d’une vie autre que celle que lui propose sa famille, c’est le projet d’une vie rêvée, doublée de l’amour qu’elle éprouve pour cet inconnu. Elle va quitter sa famille, elle a fait son sac, mais elle découvre le mensonge caché derrière les mots. Pas celui de la religion, mais celui de la duplicité, des exclusions et des exactions qu’on commet en son nom.
Quatre jeunes filles emblématiques d’une diversité d’aujourd’hui
D’autres vont la rejoindre. À elles quatre, elles incarnent ces femmes venues d’ailleurs, du Maroc, d’Iran, du Cameroun ou de Turquie. Elles pourraient être mille autres, venues de tous les coins de la planète. Ce qui les rassemble ? Avoir fait le choix, un jour, de la désobéissance. S’être érigées contre le sort qu’on voulait leur tracer, avoir dit « non ! » aux injonctions qu’on prétendait leur imposer sans renoncer à ce qui leur importe. Se retrouver libres, joyeuses, guerrières sans volonté de tuer, mais réunies par leur opposition au patriarcat qui les dépossède de leur liberté de choix, au machisme qui les prive de leur identité et les transforme en objets. Sur scène, elles vont raconter leurs histoires, formées d’histoires individuelles additionnées, les leurs mais aussi celles de nombreuses autres. Femmes, de familles venues d’ailleurs, dans la société française d’aujourd’hui. Témoins d’une nouvelle société, d’une nouvelle appartenance sans contrainte, d’une identité multiculturelle.
Un spectacle « documenté »
Ces figures ne sont pas nées de la seule imagination de leurs auteurs. Elles forment la synthèse théâtrale des quatre-vingts rencontres que Julie Berès et Alice Zeniter effectuent dans le cadre d’un projet mené par le Théâtre de la Commune à Aubervilliers. Chaque année, commande est passée par le CDN à un artiste pour concevoir en quelques semaines un spectacle en prise avec les pratiques sociologiques et politiques actuelles, une manière de renouveler le théâtre comme « art politique ». Avec le concours de l’association des Femmes sans voile et des élèves de l’option Théâtre du lycée Le Corbusier d’Aubervilliers, de la Brigade des mères de Sevran, avec l’apport de l’association Mille Visages et du dispositif Premier Acte qui visent à favoriser l’insertion professionnelle de jeunes actrices et acteurs issus d’origines sociales, ethniques et culturelles diverses s’est mis en place un propos qui se revendique comme l’envers du tableau médiatique, un témoignage non amputé de ses divergences.
Une approche non « filtrée » des éléments recueillis
De ces rencontres, et de la collecte de paroles de ces femmes venues pour l’essentiel de banlieue, naît une approche « stéréoscopique » de la réalité. Une vision non plus univoque, rangée dans une case précise, préétablie, mais équivoque et contradictoire, qui fait la part des aspects parfois désordonnés de la révolte que revendiquent ces femmes – l’une d’entre elles, dans le spectacle, avouera en riant qu’elle apprécie d’être dominée… « Nous nous sommes emparés, dit Julie Berès, de leurs témoignages pour raconter leurs histoires à travers des fragments de pensées, de souvenirs, de soumissions conscientes ou inconscientes, de révoltes, de nostalgies curieuses... pour qu’inexorablement l’intime puisse se mêler à l’éminemment politique. »
Le parcours théâtral d’une révolte positive
La rencontre avec les jeunes comédiennes qui apparaissent dans le spectacle fait le reste. En apportant leur propre histoire – et celle de leur famille – et leur propre expérience de la « désobéissance », elles montrent, avec une pêche d’enfer, comment on peut empoigner sa vie dans un monde hostile, tracer son chemin dans un monde souvent violent, et machiste. La danse joue un énorme rôle. Qu’elle emprunte au hip hop et aux contractions-décontractions façon liane du popping, aux traditions moyen-orientales où hanches, bassin et épaules jouent un rôle fondamental ou soit directement issue, sans référence artistique ou culturelle, à un besoin d’expression, elle est une forme de vérité du corps, l’expression de sa liberté – mon corps m’appartient – et, au-delà, de l’être tout entier. En posant des questions telle que « Faudrait-il que je cache mon corps pour empêcher qu’il soit une tentation ? », la réponse apportée est une autre question : « Ne faudrait-il pas que les hommes qui prennent mon corps pour une provocation regardent en eux-mêmes et détournent le regard ? » Tel est l'un des thèmes, parmi d'autres, de la Tendresse, le pendant de Désobéir qui interroge la masculinité aujourd’hui.
Désobéir
S Conception et mise en scène Julie Berès S Dramaturgie Kevin Keiss S Texte Julie Berès et Kevin Keiss S Avec la collaboration de Alice Zeniter S Avec Ava Baya, Lou-Adriana Bouziouane Charmine Fariborzi, Bénicia Makengele en alternance avec Sonia Bel Hadj Brahim Déborah Dozoul, Julie Grelet S Travail sur le corps Jessica Noita S Référente artistique Béatrice Chéramy S Scénographie Marc Lainé et Stephan Zimmerli S Costumes Elisabeth Cerqueira S Création sonore David Ségalen S Création Lumière Laïs Foulc S Création vidéo Christian Archambeau S Durée 1h15 S Production déléguée Compagnie Les Cambrioleurs, précédemment le Théâtre de la Commune — CDN d’Aubervilliers S Avec le soutien du Fonds de dotation Agnès Troublé dite Agnès B., du FIJAD, Fonds d’Insertion pour les Jeunes Artistes Dramatiques, DRAC et Région Provence-Alpes-Côte-D’azur S La Compagnie Les Cambrioleurs est conventionnée par le ministère de la Culture / DRAC Bretagne et est soutenue par la Région Bretagne, le Conseil Départemental du Finistère et la Ville de Brest Julie Berès est artiste associée au projet du Théâtre Dijon-Bourgogne, dirigé par Maëlle Poésy S Spectacle créé en 2017 au Théâtre de la Commune — CDN d’Aubervilliers
Au Théâtre du Rond-Point – 2 bis, avenue Franklin Roosevelt, 75008 Paris
Du 15 au 26 juin 2022, à 20h30, dimanche, 15h30 — relâche les lundis