Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

À moi ! Trop de jouets tue le jeu

Phot. © Isabelle Limacher

Phot. © Isabelle Limacher

Les marionnettes joueuses et des objets animés racontent aux tout petits le statut des biens matériels dans la société de consommation où l’enfant est submergé d’objets au détriment du rêve et de l’imagination. Un joli conte lanceur d’alerte.

Du théâtre pour les tout petits

Soucieuse d’interroger la place de l’enfant dans la société, la compagnie A Kan la Dériv’ a inauguré son implantation dans les Hauts-de-France en 2007 avec Quand un poète persévère (2007), un spectacle d’objets pour trois voix et un piano plongeant dans l’univers fantaisiste de Raymond Devos. Par la suite, Sens-toi sans toit (2012), avec des marionnettes brutes, taillées dans la mousse, évoque les enfants des rues. Puis Ce besoin d’aller voir ailleurs, il doit bien venir de quelque part (2016) raconte l’histoire de Victor qui, ouvrant sa boîte à souvenirs, se rend compte de sa solitude. Dans Jeu (2019), Basile, un enfant à l’imagination débordante mais différent vit son premier jour d’école avec difficulté. À présent, À moi questionne les dérives de la société d’abondance chez les enfants, dès leur plus jeune âge. Ils sont représentés par des marionnettes manipulées selon la technique du théâtre noir, par trois acteurs tapis dans l’obscurité, vêtus, gantés et cagoulés de noir. 

Céleste et ses parents. Phot. © DR

Céleste et ses parents. Phot. © DR

Du je au jeu

Céleste vient au monde entourée de parents attentifs et aimants – interprétés par deux comédiens. C’est une petite « marionnette sac », munie d’une grosse tête, d’un corps triangulaire et d’une main avide d’agripper ce qui passe à sa portée. Petit à petit on la voit grandir, ramper, marcher... Un tapis d’éveil devient un espace à explorer à quatre pattes ; plus tard une boîte magique lui fait découvrir des secrets lumineux et stimule sa curiosité... Elle se blottit contre son lapin de peluche par les nuits d’orage : un doudou confident et consolateur. On voit ainsi Céleste prêter attention aux choses qui l’entourent, s’en saisir, les délaisser, les transmettre. Le moindre objet lui fait signe et elle en fait usage au gré de son imagination.

Mais, bientôt, arrivent les cadeaux des uns et des autres, aiguisant son appétit de jouet. Elle en veut toujours plus... Elle fait des caprices pour obtenir ce qu’elle convoite, jusqu’à ce que père et mère cèdent... Et quand trop c’est trop, rien ne va plus.

Antony Diaz, auteur et metteur en scène de la pièce, a lu D.W. Winnicot pour comprendre la place des objets dans le développement du bébé, notamment la place des objets transitionnels. Progressivement, l’enfant va faire la différence entre son propre corps et les objets qui lui sont extérieurs et développer une conscience de soi en les manipulant, en jouant avec eux. À quel moment ce besoin d’appropriation des choses apparaît-il et pourquoi ? Posséder est-il un acte instinctif, ou induit par l’environnement ? Comment glisse-t-on du « moi » au « à moi » ? Telles sont les questions implicites qui sous-tendent À moi. Le spectacle y répond à hauteur d’enfant, en images, à travers différents tableaux et situations, y compris en proposant des alternatives. La cohabitation objets, marionnettes et comédiens manipulateurs dans le rôle sporadique des parents en chair et en os, est habilement tissée et produit une interaction harmonieuse des différentes modalités de la narration théâtrale.

Phot. © Isabelle Limacher

Phot. © Isabelle Limacher

Une esthétique de l’accumulation

La table qui fait office de plateau est nue, vide : dans cet espace dépouillé, apparaît Céleste, une marionnette aux allures de doudou, un peu molle, composée de ouatine recouverte d’un tissu gris beige. Très fruste, elle a l’aspect d’un dessin d’enfant en 2D, aux contours crayonnés de couleurs. Sa taille change au fur et à mesure pour signifier la croissance du bébé et, devenue plus grande, elle sera rejointe par d’autres poupées de même style, ses camarades de jeu.

Au fur et à mesure que le spectacle avance, les petits personnages voient leurs biens s’accumuler jusqu’à ressembler à la vitrine d’un marchand de jouets, et saturer la petite aire de jeu. Le bric-à-brac finira par dévorer l’espace en formant une farandole hostile.

La plasticité du monde imaginaire de Céleste construit par les marionnettistes, poétique et immatériel, proche de la nature, contraste avec la banalité et la rigidité des jouets manufacturés, aux couleurs criardes. Musique et lumières viennent souligner cette différence en ouvrant des ciels étoilés et des lointains mystérieux face à l’univers pauvret du quotidien.

Phot. © DR

Phot. © DR

Une pédagogie souterraine

Dans À moi, si les adultes décèleront facilement la critique de l’accumulation et de la prédation capitaliste, qu’en percevront les jeunes spectateurs, certains à peine âgés de trois ans ? L’esthétique de « chambre d’enfant » les plongent d’emblée dans un monde familier où tout objet fait signe. Le spectacle, où jouets et accessoires cohabitent dans un heureux bricolage, amène les petits, à la fin de la représentation, à vouloir explorer les coulisses du théâtre de marionnettes. Ils semblent surtout s’attacher à la fabrication des effets spéciaux, dévoilés par les trois manipulateurs. Ils se montrent curieux du moindre détail. Mais après coup, ils se saisiront des belles inventions de ce théâtre d’objet : certains auront repris, à la maison, l’idée de transformer un simple trombone de bureau en fusée volant vers la lune ou reproduiront, avec l’aide des parents, le doudou fabriqué sur scène par pliage d’un foulard. La pari de faire jeu de tout est alors gagné.

Le metteur en scène Anthony Diaz, dans la foulée de ce spectacle, signe une nouvelle pièce, Ombre, mêlant les arts du cirque et ceux de la marionnette : « Un conte contemporain qui aborde la question de l’élan vital, par des images concrètes. » D’où vient-il et pourquoi le perd-on ? se demande-t-il. À suivre…

Phot. © Isabelle Limacher

Phot. © Isabelle Limacher

À moi
S Écriture, scénographie, mise en scène Anthony Diaz S Assistance  à la mise en scène Neveen Ahmed S Dramaturgie, collaboration artistique Vincent Varène S Composition musicale Alice Huc S Jeu Ornella Amanda, Maxime Renaud, Vincent Varène S Construction marionnettes Francesca Testi S Conception, création lumières Antoine Moriau S Costumes Guenièvre Lafarge S Construction décor Grégoire Chombard S Couture Annie Danzart S Production Compagnie A Kan la Dériv’ S Coproduction Théâtre Antoine Watteau – Scène conventionnée Jeune Public de Nogent-sur-Marne, Théâtre de Saint-Maur, Scène 55 de Mougins, TAG Amin Théâtre – Grigny, le Théâtre de Suresnes Jean Vilar, Pocket Théâtre – Nogent-sur-Marne, Théâtre Halle Roublot – Fontenay-sous-Bois S Soutiens Ministère de la Culture – DRAC Île-de-France, Ville de Nogent-sur-Marne, SPEDIDAM / compagnie conventionnée par le Département du Val-de-Marne S Durée 40 minutes S À partir de 3 ans

TOURNÉE
Du 10 au 27 avril 2025, Théâtre Paris Villette
21 mai 2025, Ferme du Paradis Meulan (78)
21 et 22 juin 2025, Diabolo Festival / Théâtre de Beausobre, Morges (Suisse)
Du 5 au 26 juillet 2025 (sf les 9, 16, 23/07), Théâtre des Béliers, Avignon (84), salle 2 à 10h

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article