Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Bérénice. Les épuisés d’amour.

Phot. © Alexis Cordesse

Phot. © Alexis Cordesse

Jean-René Lemoine présente une Bérénice réduite à l’os de la passion dans une mise en scène minimaliste.

Le plateau est nu, comme sera mise à nu la passion qui dévore de l’intérieur les personnages. Car il n’est question que de cela ou presque dans la mise en scène que propose Jean-René Lemoine. Légèrement surélevé sur une estrade dorée, c’est dans un no man’s land, royal cependant, que se déroule le drame. Drames il y a, truffés de péripéties qui sont comme des retours de balancier qui oscillent autour du point fixe que représente le personnage de Bérénice, consumée par sa passion.

Reine de Judée, elle est le pivot autour duquel tourne toute la pièce. Bérénice aime et est aimée. Par deux hommes : l’empereur romain Titus et par l’ami de celui-ci, Antiochus. Passions funestes parce que si Bérénice aime Titus et Titus Bérénice, des obstacles se dressent face à leur amour, dont on comprendra bientôt qu’ils ne tiennent pas seulement au père de Titus, Vespasien, mais au Sénat et enfin, à Titus lui-même qui doit choisir de s’opposer par amour ou suivre la raison d’État. Funeste aussi l’amour non payé de retour d’Antiochus, ballotté entre espérances et désespoirs au gré des hésitations de Titus.

Phot. © Alexis Cordesse

Phot. © Alexis Cordesse

Une trame immobile et hors du temps

C’est sur un terrain neutre, sans décor, que Jean-René Lemoine pose ses personnages. Un espace abstrait, sans délimitation ni frontière. Les personnages s’abolissent en disparaissant dans l’ombre qui cerne le plateau. Le lieu, c’est cette lumière qui vient animer le clair-obscur crépusculaire qui baigne le plateau, où les personnages comme statufiés, rigidifiés par leur enfermement dans leur passion n’ont que la distance qui les sépare comme aune de mesure.

À l’extérieur du drame qui se noue sur scène, rien ou presque ne se passe. Lorsque la pièce commence, Vespasien est déjà mort et Titus a ceint la couronne impériale, ce qui devrait lui permettre d’être libre de ses choix. Mais les difficultés demeurent. Le statut d’étrangère de Bérénice, l’hostilité du Sénat et de la population existent déjà. Rien de nouveau, donc, sous le soleil noir qui éclaire les personnages. C’est d’eux-mêmes que viennent les murs qu’ils érigent entre eux. Par deux fois, le ciel semblera s’éclaircir, par deux fois il s’assombrira par la seule indécision de Titus.

Phot. © Alexis Cordesse

Phot. © Alexis Cordesse

Le jeu des acteurs : dans la distance

La pièce, construite dans le lit de l’empêchement, trouve dans la mise en scène une traduction à travers les rapports qu’entretiennent les personnages. Cette quasi interdiction d’accéder l’un à l’autre, que seule Bérénice parviendra à surmonter au moment de tout perdre, signe l’isolement passionnel qui les confronte à eux-mêmes.

Ils sont des monolithes, presque immobiles, à la gestuelle contrainte, limitée de peur de laisser paraître une émotion, une révolte. Il se déplacent peu, laissent le vide installer sa mesure sur la scène. Ils gardent la distance et leurs paroles apparaissent davantage comme un monologue intérieur que comme le dialogue qu’ils entament entre eux. Ils l’énoncent d’ailleurs d’une voix neutre, assourdie, d’où tout pathos a été évacué, et lorsque la carapace craque, lorsqu’ils se rapprochent et se touchent, c’est que le moment des adieux est venu.

Les protagonistes de ce triangle amoureux sont convaincants dans leurs incertitudes et leurs errances. Marine Gramond, en Bérénice, mène la barque avec une opiniâtreté exemplaire. Guerrière, elle se bat pour faire vivre sa passion au grand jour. Il lui reviendra aussi de prendre la décision finale qui les condamnera tous trois au malheur. Antiochus, jouet des événements – il n’avait rien à perdre hormis l’espoir –, gardera, tout au long de la pièce, la résignation d’un combat perdu d’avance dont il n’a pas la maîtrise. Celui qui apparaît le plus fragile des trois, c’est, paradoxalement, le détenteur du pouvoir. Titus est terrassé par une décision qu’il s’avère incapable de prendre. Grand perdant, il finira recroquevillé à terre. Bérénice aura choisi pour lui.

Phot. © Alexis Cordesse

Phot. © Alexis Cordesse

Dire l’alexandrin

L’absence quasi complète de relations physiques entre les personnages accorde à la parole une place prioritaire. Et la langue de Racine est à cet égard un émerveillement permanent dans la splendide pureté de sa musicalité. Marquer ou non la métrique de l’alexandrin, ses rimes et ses césures est souvent au centre des discussions sur la manière de dire les pièces en vers. Faut-il garder l’artificialité de cette composition versifiée ou la gommer pour donner à la langue un aspect plus « naturel » ? Jean-René Lemoine choisit la première option, ses comédiens dans son sillage, et l’on écoute avec bonheur la poésie qui sourd de la forme en même temps qu’on entend la beauté de la langue.

Cependant, le début du spectacle crée comme un malaise, que la suite dissipe. Comme si les comédiens avaient besoin d’un galop d’essai pour concilier le contenu de la pièce et sa forme. Peut-être cela tient-il au choix de la neutralité choisie pour énoncer le texte, ou de la difficulté – pour les acteurs ou pour les spectateurs ? – de se familiariser avec l’alexandrin. Sans remettre en cause le parti pris très particulier de la direction d’acteurs, qui joue le dedans contre le dehors de manière puissante, on aimerait que transparaisse, dans ces moments atones, la charge de violence intérieure qui court sous la surface et mouvemente les personnages. Comme une cocotte-minute sur le point d’exploser.

La gageure est cependant tenue. Cet exercice de style, composé à contrecourant du pathétique et dans un minimalisme ascétique, acquiert une force qu’il convient de saluer. Donner à entendre Racine n’est pas sa moindre qualité.

Phot. © Alexis Cordesse

Phot. © Alexis Cordesse

Bérénice de Jean Racine
S Mise en scène Jean-René Lemoine S Dramaturgie Laure Bachelier-Mazon S Scénographie Christophe Ouvrard S Lumières François Menou S Son Xavier Jacquot S Costumes Clément Desoutter S Assistanat costumes Lisa Renaud S Assistanat mise en scène David Duverseau S Avec Marine Gramond (Bérénice), Jean-Christophe Folly (Titus), Alexandre Gonin (Antiochus), Nicole Dogué (Phénice), Jan Hammenecker (Paulin), Marc Barbé (Arsace), Jean-René Lemoine (Rutile) S Photographies des répétitions (mai 2024) Alexis Cordesse S Production déléguée Maison de la Culture d'Amiens Pôle européen de création et de production S Coproduction Théâtre National de Bretagne - Centre européen Théâtral et Chorégraphique ; Théâtre du Nord Centre Dramatique National Lille / Tourcoing ; TANDEM Douai-Arras Scène nationale ; Le Trident - Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin ; Comédie de Béthune : Théâtre & Centre Dramatique National S Avec la participation artistique du Jeune théâtre national S Avec le soutien du dispositif d'insertion professionnelle de l'ENSAT S Création le 14 janvier 2025 à la Maison de la Culture d’Amiens S Durée 2h

TOURNÉE
Du 21 au 24 janvier 2025 TANDEM Douai — Arras Scène nationale
Du 30 au 31 janvier 2025 Le Phénix, Scène nationale de Valenciennes
Du 4 au 6 février 2025 Comédie de Béthune, Théâtre & Centre Dramatique National
Du 4 au 8 mars 2025 Théâtre National de Bretagne Centre européen Théâtral et Chorégraphique
Du 2 au 3 avril 2025 Le Quai, Centre dramatique national d’Angers
Le 15 avril 2025 Le Dôme Théâtre Albertville
Du 22 avril au 25 avril 2025 Théâtre du Nord
Du 13 au 14 mai 2025 Théâtre de la Ville de Pau

Jean-Christophe Folly met en scène SENSUELLE - 28 janvier > 7 février 2025 au Théâtre National Populaire de Villeurbanne.
Il joue dans DOLOROSA - Variation des Trois Sœurs de Tchekhov de Rebekka Kricheldorf, dans une mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo 25 > 28 février2025 au Quai CDN Angers Pays de la Loire 11 > 15 mars 2025 au Théâtre du Rond-Point, Paris 19 > 27 mars 2025 au Théâtre National de Bretagne – Rennes
Son roman, BENOÎT BLUES (304 p., éd. Mémoire d’encrier), paraîtra le 24 janvier 2025

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article