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Arts-chipels.fr

Aria da capo. Thèmes et variations d’adolescences musicales.

© Alexandre Ah-Kye

© Alexandre Ah-Kye

L’adolescence est plus que tout autre l’âge des incertitudes et des errances. C’est ce qu’expriment avec sincérité et un certain aplomb les musiciens en devenir rassemblés par Séverine Chabrier. Des confessions d’enfants du siècle qui traversent l’angoisse et l’ennui tout comme les amitiés et les amours.

C’est une assemblée de spectres à masques de vieillards qui envahit l’écran géant qui occupe tout le haut de la scène. Des jeunes déjà vieux, qui apparaissent ensuite, chacun avec son instrument, le violon, le basson et le trombone et le piano, comme prématurément marqués par des préoccupations d’adultes qui sont leur quotidien. Car la musique dont ils parlent, c’est celle de l’excellence, de la performance et de la sélection. Les espaces se définissent. Deux cages de verre à l’avant-scène révèlent des chambres d’étudiants, celles où l’on rêve, où on réfléchit parfois, où l’on se livre avec les potes, où on fantasme. Un espace intime que les uns et les autres explorent téléphone portable à la main, dont les images transforment l’intimité en lieu public. Derrière les chambres, quelques chaises semblent disposées pour une répétition hypothétique d’orchestre. Quelques ballons suspendus dans les airs viennent dire que le seuil entre enfance et adolescence est là. Ils claqueront au fil du spectacle, sonnant le glas de verts paradis déjà marqués par l’apprentissage de la musique.

© Louise Sari

© Louise Sari

La jeunesse telle qu’en elle-même

Rien de vraiment bien nouveau sous le soleil de l’adolescence dans le portrait que font d’eux-mêmes ces jeunes gens. On constate avec un peu d’effarement que côté filles, les conversations entre garçons n’ont guère évolué, même si tous n’adoptent pas une position identique, qu’on retrouve toujours cette préoccupation de la fille trophée et que les problèmes d’hormones restent une préoccupation majeure. Déterminer si elle est « bonne », la prendre et la laisser, se la jouer, frimer face aux copains sont autant de poncifs que ces jeunes gens alignent, avec une certaine complaisance, lorsqu’ils sont entre eux – le discours sera plus nuancé en présence de la « copine » qu’ils accueilleront dans l’espace clos de leur intimité. Allongés sur un matelas, parfois en s’accompagnant de l’instrument situé à proximité, en bruitage ou en chantant à tue-tête, ils déroulent un aria sans autre surprise que d’entendre énoncer ces banalités éculées par des jeunes gens vraisemblablement issus de milieux favorisés, passant de Darius Milhaud à Beethoven tout en évoquant Marivaux ou Bukowski.

© Alexandre Ah-Kye

© Alexandre Ah-Kye

Un groupe disparate

Ils ont quelques années d’écart, ce qui importe à cet âge, et des attentes différentes face à la vie. Il y a les romantiques et les triviaux. Les extravertis et ceux qui montrent une réserve et ne se livrent qu’en demi-teintes. Ils sont amis, ce qui autorise entre eux une certaine liberté de parole. Il y a ceux qui pratiquent le petit joint, voire davantage, et ceux qui n’y touchent pas, les ennuyés de la vie, spleenétiques sur les bords, et les passionnés. Tous sont bien sûr tombés dans la musique depuis tout petits mais il y a ceux pour qui la musique est la grande affaire de leur vie et ceux qui hésitent encore. Ceux qui ont fait ce choix et ceux qui se sont laissé porter. Alors ils doutent. Ils se tiennent serrés, près les uns des autres, au chaud de leurs semblables, attendrissants dans leurs excès verbaux, leurs outrances.

© Louise Sari

© Louise Sari

Une vie dans la musique

Ils parlent de leurs apprentissages. Des profs qui « cassent » et de ceux qui encouragent, de ceux qui vous rabaissent, vous traitent comme un zéro et vous donneraient l’envie de tout plaquer et de ceux qui vous accompagnent, vous nourrissent de leur enseignement. Sur l’écran apparaissent quelques grands compositeurs ou eux-mêmes, masqués, qui rappellent les commentaires des maîtres. Leurs blagues de potaches, elles consistent à se railler de Bruckner ou d’Elgar, elles portent sur les difficultés de la musique pianistique de Liszt ou sur les rapports plus que conflictuels entre Schönberg et Stravinsky et sur la fonction « mondaine » de la musique classique. On aimerait parfois que la présence de la musique, qui escorte la pièce de manière inégale et fugace, échappe davantage au discours et prenne une place plus grande pour équilibrer l’ensemble. Mais le propos reste celui d’une génération matérialisée par ces jeunes gens.

© Alexandre Ah-Kye

© Alexandre Ah-Kye

Une version Y de l’adolescence

Eux, ils sont de la « génération Y, texto, cramée », dans un monde qui ne marche pas avec leurs critères. Et d’ailleurs, comment s’y retrouver et faire le lien avec Mozart et Moussorgski, Bach, Beethoven ou Ravel ? Ils sont à cheval entre des mondes, ni tout à fait d’un côté ni vraiment de l’autre. De ceux qui peuvent être « matrixés » par une fille complètement gothique et adorer Monteverdi. Dans leur version « chic » de l’adolescence, ils ne sont finalement pas très différents des autres jeunes de leur classe d’âge. Si ces confessions d’enfants du siècle sont touchantes, il est cependant dommage que le propos, qui joue l’étalement et la ritournelle avec refrains à la clé, ne soit pas plus resserré. Dommage aussi que la vidéo occupe tant de place. Si on comprend qu’il faut transcender le court de l’efficacité managériale et utiliser les instruments de spectacle de notre temps, on finit cependant par tourner en rond dans ce huis clos musical sans l'être, théâtral sans l'être et filmique sans l'être non plus. Mais l'époque est à l'hybridation et, de ce point de vue, le spectacle s'y inscrit.

© Louise Sari

© Louise Sari

Aria Da Capo

S Mise en scène Séverine Chavrier Interprètes Guilain Desenclos, Victor Gadin, Adèle Joulin et Areski Moreira S Texte Guilain Desenclos, Adèle Joulin et Areski Moreira S Création vidéo Martin Mallon / Quentin Vigier S Création son Olivier Thillou / Séverine Chavrier S Création lumières et régie générale Jean Huleu S Scénographie Louise Sari S Costumes Laure Mahéo S Arrangements Roman Lemberg S Construction du décor Julien Fleureau S Remerciements à Naïma Delmond, Claire Pigeot, Florian Satche, Alesia Vasseur, Claudie Lacoffrette et Claire Roygnan S Production déléguée CDN Orléans / Centre-Val de Loire S Coproduction Théâtre de la Ville-Paris, Théâtre National de Strasbourg, CNC S Avec la participation du DICRéAM S Durée 1h45

Théâtre Nanterre Amandiers, en partenariat avec la Maison de la Musique de Nanterre

7, avenue Pablo Picasso 92000 Nanterre. Rés. 01 46 14 70 00 www.nanterre-amandiers.com

Du 12 au 22 avril 2023.Mar, mer à 19h30 / jeu, ven à 20h30 / sam à 18h / dim à 15h

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