5 Novembre 2018
Ce festival dédié à la création contemporaine, organisé tous les deux ans, est de retour, du 5 novembre au 16 décembre 2018. 21 villes, un auteur en résidence, Gilles Granouillet, 3 créations Théâtrales et 7 de l’automne, 33 spectacles et 99 représentations : un programme riche et diversifié incluant des spectacles jeune public.
L’objectif affiché est la promotion et la défense d’un théâtre contemporain ancré dans notre temps en favorisant le renouvellement des langages scéniques, en stimulant les échanges entre auteurs et metteurs en scène et en encourageant les collaborations entre différentes équipes artistiques. Du texte d’auteur aux écritures de plateau, avec des approches nourries par des témoignages, des chroniques, des réflexions philosophiques ou politiques, les Théâtrales jouent la diversité et les croisements.
Vaste est le monde…
Des boat-people traqués par la police dans les Comores (Obsession(s)) à l’Amérique raciste de Romain Gary, qui dresse un chien pour agresser des noirs (White Dog), d’Israël où le matraquage médiatique crée une « dictature «émotionnelle » (Jérusalem plomb durci) ou dans une zone « stérilisée » par l’armée d’où les habitants ont été chassés (H2-Hébron), jusqu’à Hambourg et l’Éthiopie, sur les traces d’un noir retrouvé dans la neige avec 5 000 € à ses pieds (Going Home), de la forêt amazonienne (Extrait d’une rencontre avec Pierre Pica) ou de Terre-Neuve (De la morue – Cartographie n° 6) au huis clos d’une prison (Intra muros), le festival nous entraîne dans un voyage éclaté qui couvre tout l’espace de la planète.
Un monde à la dérive…
Projection dans un futur proche où les hommes « augmentés » ont remplacé les simples individus (Le Temps des H+mmes) ou retour vers le passé et les paradis de l’enfance (la Maison du grand-père, où est-il ?), vertiges de la violence par joystick interposé (Clouée au sol), portrait acide du commerce d’armement français (le Maniement des larmes), lent enlisement dans l’extrémisme d’un catholicisme traditionaliste (le Fils) d’une pharmacienne qui cherche à y entraîner ses enfants ou embrigadement dans le fanatisme religieux d’une ado en dépression qui trouve refuge dans les réseaux sociaux (J’ai rencontré Dieu sur internet), huis clos hystérique et brutal opposant une DRH et une postulante tentant de la faire craquer en utilisant tous les moyens de la séduction à l’humiliation et à la menace (Soyez vous-même) : un portrait au vitriol de la société d’aujourd’hui, parfois mâtiné d’humour grinçant et décalé (Pourquoi les riches sont-ils de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres ?) ou se promenant dans l’histoire (les Secrets d’un gainage efficace, qui entraînent le spectateur d’un débat de femmes dans les années 1970 à un congrès d’ecclésiastiques s’interrogeant sur les règles de la Vierge et dans un conseil d’administration futuriste débattant de la mise en place d’un congé menstruel).
Des individus broyés
Ils ont du mal à résister, ceux qui vivent dans ce monde-là. Enfants, ils redoutent d’entrer en 6e et de se confronter à la société des « grands » (J’ai trop peur), ils souffrent de l’absence du père et s’en cherchent un de substitution (l’Apprenti). Ils ont été portés au pinacle enfants avant de dégringoler dans la déprime et la drogue (la Vedette du quartier). Ils ont voulu faire fi du genre et vivre avec un sexe qui leur était interdit les amitiés viriles (Change Me). Adultes, ils voient l’univers se déliter. Une femme d’âge mûr refuse obstinément de reconnaître le passé de tortionnaire nazi de son époux, aimant et attentionné en famille (Un grand amour). Une autre sombre dans l’alcool et décrit l’amour qui s’efface, son dégoût de la vie, dans une société où la dépression féminine est un sujet tabou (À 90 degrés). Une black solide, qui vit seule, revit sa rencontre avec l’homme qui l’a violée (Jaz). Un couple de petits-bourgeois plein de principes humanitaires engagent une aide-ménagère qui va se trouver embringuée dans une installation-performance où, humiliation suprême, elle fait son travail et nettoie les ordures sous le regard du public (Stück plastic).
Familles, je vous hais…
Les familles ne sont pas épargnées. Gilles Grenouillet, l’auteur en résidence, dévoile, au travers de l’anniversaire des 15 ans de la petite dernière, les silences qui se cachent derrière la célébration, le fils partie, le père au chômage, la difficulté de communiquer de la jeune fille (Abeilles), se penche sur l’intimité pas toujours heureuse des femmes dans une maternité, la nuit (Naissances) ou sur les mensonges que se raconte à lui-même un jeune père qui souffre de problèmes intestinaux (le Transformiste). Le collectif du Grand cerf bleu pénètre dans l’intimité, en apparence heureuse, d’une famille à Noël (Jusqu’ici tout va bien). Au milieu des fleurs dont elle est entourée, une actrice est mourante. Les petites mesquineries et les ressentiments enfouis s’expriment autour du lit en gestes anodins, l’inexprimé ressurgit dans une écriture qui renvoie à la cruauté impalpable de Tchekhov (Actrice).
Des aventures individuelles transposées à la scène
Guillaume Barbot nous plonge dans une sorte de road-movie autobiographique pour raconter l’histoire de son beau-père Zoo Besse passé de la musique punk à Charles Trenet avec la même intransigeance et soif de beauté radicale. Dans une opération de catharsis libératoire, Roxane Kasperski raconte l’amour qu’elle a connu avec un homme bipolaire, en oscillation permanente et destructrice entre états de grâce et crises intenses (Mon amour fou). Reposant sur le texte éponyme de Louis Althusser, l’Avenir dure longtemps revient sur l’épisode qui le fit étrangler sa femme dans une crise de démence. Déclaré irresponsable, il revient en 1985 sur son crime et révèle son besoin d’affronter les conséquences de son geste et de comprendre ce qui l’a conduit à cet acte extrême. Enfin le festival évoque le destin tragique de la poétesse américaine Sylvia Path. Écrasée par son mari un écrivain anglais, en proie à l’oppression sociale de la société britannique, elle glisse dans la neurasthénie et se suicide en 1963, à l’âge de 30 ans. Elle aura écrit un roman autobiographique unique où elle dévoile sa lente descente aux enfers que le spectacle confronte à sa vie réelle (Sylvia).
Les marionnettes impriment leur imaginaire décalé à White Dog ou à la Maison du grand-père, le jazz rythme la langue de Jaz dont la structure versifiée, accompagnée par quatre musiciens, est toute de contretemps et en syncopes, les témoignages et les extraits documentaires nourrissent la vision israélienne de Ruth Rosenthal. L’opéra pop, le théâtre et le cinéma expérimental brouillent les frontières entre narration et réalité dans Sylvia, la performance nourrit la Conversation avec Pierre Pica, la conférence donne lieu à un détournement humoristique qui instaure une relation entre une morue, une poêle à frire et un costume à queue-de-pie dans De la morue. Bref, culture, individu et société se trouvent étroitement imbriqués dans une programmation qui fait une large place à l’image de la femme dans tous ses états : artiste, mère, ostracisée au travail, dans sa sexualité et ses amours. La programmation étant éclatée, il vaudra mieux, pour les lieux, dates et horaires, se reporter au programme diffusé sur le site des Théâtrales : www.lestheatrales.com.
Les Théâtrales Charles Dullin
3 créations / Théâtrales Charles Dullin : Stück Plastik, une pièce en plastique ;Obsession(s) et Le transformiste.
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White Dog et Change Me