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Arts-chipels.fr

Gosse de riche. Le Peintre, l’Ingénue, le Cocufieur cocufié, sa Femme et sa Maîtresse.

© Camille Girault

© Camille Girault

La légèreté sans complexe des Années folles préside à ce vaudeville chanté dont la seule règle semble être le débridement.

Patarin est un nouveau riche. Un parvenu très très très riche qui, comme tout homme de sa classe, est infidèle à sa femme. Mais il ne sait pas que sa maîtresse, Nane, le trompe de son côté avec André, le peintre joli cœur à qui il a commandé son portrait. Les deux amants comptent bien profiter de l’absence de Patarin qui sera l’hôte à la campagne d’une baronne aux doigts crochus qui monnaye chacun de ses services et ne néglige pas de petites escroqueries, de-ci, de-là. Mais Patarin ne veut pas se passer de Nane et imagine, avec l’aide de la baronne, de lui inventer un faux mari pour préserver les convenances et endormir la méfiance de Madame Patarin. Pour Nane et André, c’en est fini du week-end en amoureux. De son côté, André a rencontré une jeune fille moderne et fantasque, Colette, une « gosse de riche » qui s’est entichée de lui. Elle a décidé de l’épouser et l’entraîne à la campagne pour obtenir l’autorisation de ses parents. Mais ceux-ci ont déjà formé pour elle un projet de mariage. Les choses se compliquent encore un peu plus lorsqu’il s’avère que Colette est la fille de Patarin. Voici tous les personnages réunis dans le même lieu… Que d’imbroglios en perspective ! 

Une farce vaudevillesque dans l’air du temps

Deux librettistes et un compositeur s’associent pour imaginer cette œuvre légère, représentée au théâtre Daunou en 1925. Paul Henri Jacques Bousquet, l’un des librettistes, est un artiste polyvalent, acteur, réalisateur, compositeur, dramaturge, dialoguiste et scénariste qui s’illustrera plus particulièrement au cinéma. Henri Falk, avocat à la Cour, est essentiellement écrivain, parolier et scénariste, même s’il ne dédaigne pas la composition. La musique reviendra à Maurice Yvain, auteur de chansons interprétées en particulier par Maurice Chevalier et par Mistinguett, qui se lance dans l’opérette au cours des années 1920 avec beaucoup de succès. En un peu plus de huit mois, Gosse de riche est représenté cent trente-cinq fois, avant de tourner en province. Il faut dire que l’œuvre est emblématique des années qui suivent la Première Guerre mondiale. À cette époque, dans l’ivresse de la paix retrouvée, les survivants se lancent à corps perdu dans un tourbillon de vie et de plaisirs. Le relâchement des mœurs occupe une place de choix dans ce débondement général et avec lui, quoique limitée, une émancipation des femmes.

 © Camille Girault

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Des femmes en première ligne

Les femmes règnent sans conteste sur cette comédie musicale. Elles forment à elles toutes un échantillonnage représentatif de la gent féminine. À côté de la cocotte qui ménage la chèvre et le chou, jalouse de voir « son » peintre lui échapper, elles sont toutes, d’une certaine manière, femmes de tête. La baronne entremetteuse est une femme d’affaires redoutable qui ne s’en laisse pas conter. La jeune Colette sait ce qu’elle veut. Non seulement elle fait fi des injonctions parentales concernant son mariage mais elle se montre prête à tous les mensonges et à toutes les dissimulations pour obtenir le droit d’épouser l’homme dont elle est tombée amoureuse. Quant à la femme de Patarin, elle se découvre, avec les infidélités de son mari, une nouvelle liberté. Les hommes, eux, n’ont guère le beau rôle. Patarin est un amant trompé doublé d’un cocufieur ; le faux époux de Nane, loué pour l’occasion, en plus d’être vénal, se révèle quelque peu voyeur. Quant au jeune peintre, il se trouve balloté dans une situation qui lui échappe et où les femmes jouent les premiers rôles.

© Camille Girault

© Camille Girault

Une opérette moderne

Maurice Yvain renouvelle la formule de l’opérette en intégrant dans son projet une vision résolument moderne. Les personnages sont contemporains des spectateurs. La question du mariage librement consenti vient sur le tapis, la verdeur des dialogues, les doubles sens et les sous-entendus sexuels se taillent la part du lion. La structure même évolue. La part du dialogue augmente et les airs prennent la forme de chansons dans toutes les configurations possibles, du solo au duo ou avec tous les personnages rassemblés pour célébrer le happy end de rigueur. L’air de la Baronne – interprété par l’épatante Marie Lenormand –, qui vante l’usage de la « combine » et revient dans le fil de la pièce pour accompagner les manipulations auxquelles la Baronne se livre de manière répétée, est inénarrable. Quant à la musique, elle emprunte allégrement aux danses à la mode de l’époque – fox-trot, java – qu’elle mélange allègrement, dans un pot-pourri cocasse, à des airs de danse bretonne ou au contrepoint et à l’harmonie hérités de la « grande » musique. La libération des mœurs s’accompagne de celle du style et du mode d’écriture. C’est ensemble que les trois complices imaginent paroles et musique – au contraire du processus antérieur qui plaçait le livret avant la musique – et ils n’emploient pas, pour catégoriser l’ouvrage, le terme d’« opérette » mais celui de « comédie musicale ».

© Camille Girault

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Une mise en scène resserrée sur les interprètes.

Les décors sont inexistants ou presque. Tout juste un large rideau cache-t-il aux yeux des spectateurs, dans la première partie, une toile du peintre qu’on ne verra jamais mais dont le modernisme est commenté avec malice par les personnages qui veulent être de leur temps, affirment que Picasso c’est beau et citent Picabia. La deuxième partie révèle un écran nu de ciel de bord de mer sur lequel jouent la lumière du jour et des ombres discrètes. Il se transformera dans la dernière partie en bonbonnière dorée d’où les personnages, en rang d’oignon comme des bonbons, sortiront pour faire leur prestation. Les accessoires sont réduits à leur stricte utilité : un téléphone à cadran, un rocher argenté – au pays des m’as-tu-vu, il faut du clinquant. Les costumes échappent à la datation mais pas au burlesque. Le tablier du peintre révèle ses fesses nues, la Baronne en villégiature fait couleur locale en coiffe de bigoudène, la cocotte étale ses frous-frous et la Jeune Colette la joue panthère avec son top ocellé. Les comédiens-chanteurs sont survoltés et créent de beaux ensembles ; quant aux musiciens, ils réagissent au quart de tour avec une belle complicité malgré l’absence de chef. Ce qui importe, c’est le too much, qui va de pair avec un rythme endiablé. Le spectateur, lui, ne se prend pas la tête. Il profite du divertissement et rit de bon cœur, avec la conscience en paix de voir les dames mener la danse. Le dicton ne dit-il pas : « Ce que femme veut, Dieu le veut. » C’est, en tout cas, la morale de cette histoire…

© Camille Girault

© Camille Girault

Gosse de riche S Musique Maurice Yvain S Livret Jacques Bousquet et Henri Falk

S Avec Amélie Tatti (Colette Patarin), Philippe Brocard (Achille Patarin), Lara Neumann (Suzanne Patarin), Marie Lenormand (Baronne Skatinkolovitz), Julie Mossay (Nane), Aurélien Gasse (André Sartène), Charles Mesrine (Léon Mézaize) S Orchestre Les Frivolités Parisiennes S Régie générale Mathieu Prud'homme S Mise en jeu Pascal Neyron S Conseiller artistique Christophe Mirambeau S Collaboratrice artistique Elisabeth de Ereño S Scénographie et lumières Camille Duchemin S Régisseuse lumière et vidéo Estelle Cerisier S Chef de chant Etienne Jacquet S Chorégraphie Aure Wachter S Création costumes Sabine Schlemmer S Réalisation costumes Julia Brochier, Anaïs Parola, Selma Delabrière S Réalisation chapeaux (Mme Patarin) Laëtitia Mirault S Habillage Mélanie Leprince S Coiffure et maquillage Maurine Baldassari et Caroline Boyer S Production Les Frivolités Parisiennes S Coproduction Opéra de Reims et Athénée Théâtre Louis-Jouvet S Avec le soutien de la DRAC Île-de-France, la Région Île-de-France, l’Opéra de Reims, l’Adami, la Spedidam, le CNM S Durée 2h sans entracte

Du 8 au 17 mars 2024. Les 8, 9, 12, 13, 15, 16/03 à 20h, les 10 & 17/03 à 16h
Athénée Théâtre Louis-Jouvet – 2-4, Square de l’Opéra Louis-Jouvet, 75009 Paris

www.athenee-theatre.com
22 mars 2024 | Théâtre Impérial – Opéra de Compiègne | 20h30
24 mars 2024 | Opéra de Reims | 15h00

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