Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Assis. Couché, jonglé et raconté.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Jérôme Thomas, entre deux jongles, entre les genres, nous raconte le temps de vivre, entre Rimbaud et Joyce, entre chienne et accordéon, entre canne et plume. Une errance artistique entre deux balles ou entre deux massues.

Jérôme Thomas affectionne les accessoires qui ne servent pas à jongler. Jongleur conteur d’histoires, narrateur les balles à la main, il aime se poser où on ne l’attend pas. Artiste, c’est dans le ratage qu’il voit une partie des clés de la réussite. C’est dans le rien qu’il trouve le quelque chose. C’est en traquant l’infime et l’intime qu’il dresse l’aventure de la vie et ses péripéties. Et le quelque chose d’Assis, c’est ce presque rien qui forme l’existence, les grandes choses qui naissent du destin des petites, le différent qui surgit de l’ordinaire, l’habituel qui taille la route de l’exceptionnel. Sur la piste circulaire autour de laquelle sont assis les spectateurs, c’est le vide. À peine sur une table distingue-t-on quelques vagues accessoires. Une plume, une canne et un tuyau. Des chaises délimitent l’espace. À leur pied, des balles – c’est un spectacle de jonglerie, que diable ! Mais voire !

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Un jongleur planté sur sa chaise, ça n’existe pas ! – Et pourquoi pas ?

Point ici de fourmi de dix-huit mètres avec un chapeau sur la tête. Juste un monsieur assis – qui n’a cependant pas grand-chose à voir avec les « rassis » de Rimbaud, « les poings noyés dans des manchettes sales ». Il nous parle voyages avec James Joyce et Ulysse – qu’il n’a pas lu, et nous non plus, vraisemblablement. Le ton est donné. Rien de ce qu’on attend ne nous sera donné et pourtant il est question de recevoir. Insensiblement, presque sans y toucher, ce prestidigitateur sans tour de magie nous a fait rentrer dans un cercle où l’on peut jongler assis, ou allongé sur le sol, ou dans les positions les plus bizarres et avec les objets les plus insolites, où le jonglage n’est pas séparable de la chorégraphie et où le théâtre s’associe à un cirque sans clown et sans paillettes – ou, quand elles sont utilisées, à contre-emploi.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Un voyage de circassien comédien ?

L’air de rien, c’est à un retour en arrière que nous sommes invités car le protagoniste parle de lui. De ses quarante-cinq années de jonglage qui l’ont mené à travers le monde, d’Osaka (prononcer « Ossaka »), où on ne dit pas « arigatô » pour dire merci, jusqu’au Pakistan, chez les Pachtounes, où il se produit avec une culotte de femme sur la tête face aux cinquante dames et quelque six cents hommes assis séparément dans la salle. Il disserte sur ce qui est admissible et ce qui vous vaudrait d’être lynché, sur la logique du spectacle, inapplicable en certains lieux, et son adaptation. Les accessoires passent entre ses doigts. Il les tourne, les passe d’une main à l’autre, dans les deux mains, sur l’épaule, autour du cou, au-dessus de sa tête. Les mains esquissent leur propre chorégraphie, en dedans, en dehors, en circonvolutions circulaires. Les jambes se livrent à une danse sans rapport avec elles. Le décalage est la règle. Se positionner où on ne l’attend pas. Dérouter le spectateur pour mieux le capter.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

De la diversion comme un des beaux-arts

La logique, c’est de n’en avoir pas, en tout cas pas issue de notre expérience quotidienne. De dissocier la parole et le geste en sorte que le spectateur y perde ses repères. Que faut-il regarder ? Le tour difficile d’un bâton qu’on fait tourner avec le pied, qui passe d’un pied à l’autre et se balade en équilibre instable, ou son propriétaire qui nous plonge dans des histoires cocasses, raconte hic et nunc ses histoires de Hic et de Hoc qui se réfèrent à l’un de ses précédents spectacles ? Et si d’aventure l’une des balles avec lesquelles il jongle lui échappe et vit sa propre vie, roulant sur le plateau, allant et venant à sa guise, le spectacle se concentre dès lors sur le mouvement de la balle, et le reste est sans importance. C’est dans cette part instable, dans l’impondérable que se définit ce qui le rend unique. Et Jérôme Thomas intègre l’« accident » comme une donnée fondamentale, il est la nature même du spectacle vivant. L’imparfait devient l’un des beaux-arts, l’impondérable forme avec le fixe un corollaire indissociable, l’inattendu vient trouer le prévisible.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

La musique, partenaire et complice

La musique n’est pas en reste car elle est composée en même temps que les improvisations s’articulent dans le spectacle. L’accordéon qui accompagne le déroulement du spectacle joue un rôle à part entière. De la chanson populaire ou des airs d’inspiration vaguement irlandaise aux rythmes orientaux, voire aux airs du folklore local qui accompagnent les étapes du voyage, la musique est la partenaire, la complice. Elle interagit avec le récit. Mais elle va au-delà. L’accordéon diatonique s’habille d’électronique, joue des effets, des saturations, des samples, se fait bruitages qui répondent à l’action, la ponctuent, la rythment, la commentent. Attentif à l’évolution du spectacle où Jérôme Thomas introduit chaque fois une part d’improvisation, Christian Maes, touche-à-tout stylistique, improvise, lui aussi, en fonction du timing du numéro ou de ses incidents de parcours, qui font partie intégrante du spectacle.

Quant au spectateur, de ce voyage rétrospectif en terres mouvantes d’un jongleur qui joue à déplacer les équilibres, accompagné par une chienne facétieuse, il revient, bancal peut-être, mais heureux, revigoré par cette absence de certitudes.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Assistance

S Textes et jonglage Jérôme Thomas S Accompagnement artistique Hélène Ninerola S Musique Christian Maes S Lumières et régie générale Dominique Mercier-Balaz S Assistant à la création Valentin Lechat S Production Armo / Cie Jérôme Thomas

Du 11 au 16 juillet 2023 à 21h30 au Jardin du Musée Louis Vouland Festival d' Avignon OFF

13-14 février 2024 , Le Prato, Pôle National Cirque à Lille
En mai 2024 , GRRRANIT, Scène Nationale de Belfort

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article