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Arts-chipels.fr

Offenses. Quand la littérature se fait théâtre.

Offenses. Quand la littérature se fait théâtre.

Dans le cadre du festival Zoom#8 de Théâtre Ouvert, une « Carte blanche » de mise en voix a été donnée à Stanislas Nordey. Le choix d'Offenses est saisissant, tout comme l’interprétation de l’acteur. Le texte de Constance Debré, comme sa lecture, ne peuvent laisser indifférent.

Comme pour toute lecture, un pupitre a été installé sur la scène. Dessus est posé, un livre, celui de Constance Debré : Offenses. Mais Stanislas Nordey ne s’assiéra pas au pupitre pour lire. C’est en mouvement, presque à touche-touche avec le public, dans un rapport de proximité qui ne laisse aucun doute sur le fait que le comédien l’interpelle, que l’acteur établit un dialogue avec les spectateurs. Il faut dire que le texte ne permet pas la distance car l’accusé qui sera à juger pour meurtre n’est pas celui qui a tué, mais la société tout entière qui a généré, par son existence même le crime qui a été commis.

Un fait divers devenu tribune

Un jeune homme de dix-neuf ans, père de famille sans emploi, vit dans une cité grise de la grande banlieue. Il fait de temps en temps les courses pour sa vieille voisine impotente. Pour quelques centaines d’euros qu’il doit à son dealer, il va l’assassiner. Pourtant, il l’aimait bien, la vieille, il l’accompagnait chez le médecin ou chez le pharmacien. De lui, les psychiatres disent son « insignifiance ». Pas de formation, pas de centres d’intérêt ni de passe-temps, pas d’opinions non plus. Une transparence, un générique, un bras qui a frappé dix fois avec un couteau un corps fragilisé et débile. On ne fouillera pas dans sa psychologie pour trouver les ressorts de son acte, même si l’on évoque son histoire. L’assassin n’a pas de nom, il fait seulement partie des petits, des sans-grades, des laissés-pour-compte que la société compte par centaines de milliers. De ceux pour qui « tout est abîmé dès la naissance ensuite ça ne fait qu’empirer ». L’accusé, ce n’est pas celui qui se trouve encadré par deux policiers au tribunal. Il est nous tous, nous les coupables bien-pensants qui ne tueront pas parce que d’autres tuent à cause de nous, qui ne seront du côté du bien que parce qu’ils ont créé le mal.

L’écriture comme une plaidoirie tragique

Constance Debré, qui a exercé en tant qu’avocate pénaliste, s’y connaît en matière de réquisitoire. Dans des phrases taillées au scalpel, aiguës, tranchantes comme des coups de machette qui font pendant au couteau de cuisine employé pour le meurtre, elle accuse. Sans dramatisation ni lyrisme. Elle énonce, en phrases courtes enchaînées les unes aux autres, l’inexorable déroulement qui mène au crime. Les blocs sujet-verbe-complément se succèdent, le style descriptif, glaçant dans son énonciation factuelle détachée d’affect, participe de cette évocation sans concession ni pathos. À mesure que la mise en accusation de la société s’étaye, que le narratif cède la place au réflexif, que la frontière communément admise entre le bien et le mal est mise en pièces et que leurs définitions respectives se font mouvantes, les phrases s’allongent, se complexifient, le rythme se fait moins haché.

Stanislas Nordey © Jean-Louis Fernandez

Stanislas Nordey © Jean-Louis Fernandez

Des mots dits

Sans autre recours que quelques mouvements de main qui accompagnent l’oralisation du texte, Stanislas Nordey choisit le mode de l’énonciation froide, apparemment détachée, pour évoquer le déroulement du meurtre. Plaçant chaque phrase volontairement au même niveau en les enchaînant les unes aux autres tels grains de chapelet, il dévide la litanie des circonstances. Factuel, sans dramatisation, il aligne les conditions de l’équation qui vont conduire au meurtre. Il ne se départira pas de cette apparente « neutralité » lorsque le texte abordera de front la question de la responsabilité, et cette manière de ne pas « jouer » la situation sans cependant l’ânonner, qui fait entendre chacun des segments qui la composent, lui donnera un impact, une force accrue. Mais, en déplacement permanent, parfois agenouillé à quelques centimètres de son auditoire, il viendra chercher le public, le prendre à parti, lui, le destinataire et sujet de ce réquisitoire. Par à même, le théâtre, porteur de la littérature,  s’en fait l'interprète, le regard sur, en lui donnant la dimension de la scène. Il renoue en même temps avec l’art du conteur, même si son « récit » est ici réflexion philosophique.

Offenses de Constance Debré (éd. Flammarion).

Texte lu par Stanislas Nordey le samedi 27 mai 2023

À Théâtre Ouvert, dans le cadre du festival Zoom#8, qui explore la manière dont les autrices et les auteurs se saisissent des matériaux documentaires, tant intimes que politiques, historiques sociétaux…

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