1 Février 2024
Rester ouvert sur le monde et la création contemporaine est une démarche commune à tous les Centres dramatiques nationaux. À Lorient, cette ouverture se décline – situation géographique oblige – à travers les métaphores maritimes.
La cité porte inscrite dans son présent la mémoire de son passé de base de la Compagnie française des Indes et de port d’attache des corsaires durant la guerre d’indépendance américaine. Le développement de l’arsenal et du port militaire puis de la pêche se sont ajoutés, et la Seconde Guerre mondiale a fait le reste. Cible prioritaire des Alliés pour briser les défenses allemandes qui y avaient installé une base de sous-marins, la ville voit 90 % de son bâti intra-muros détruit par la guerre. Sa silhouette d’aujourd’hui reflète la nécessité de cette reconstruction quasi-totale qui s’étend de la fin de la guerre jusqu’aux années 1960 et donne à la ville cette allure « moderne » si particulière avec ses petits immeubles de béton. Le poids du « présent » y est donc peut-être plus marqué qu’ailleurs et l’ouverture au contemporain un prolongement « naturel ».
La mer, la mer, toujours recommencée…
C’est à la croisée de ces héritages que Simon Delétang a placé sa démarche en rénovant le logo du CDN – une mouette planant dans les airs, double symbole puisqu’il fait aussi un clin d’œil au théâtre – et en imaginant plusieurs temps forts spécifiques qui jalonnent le parcours de la saison. C’est dans l’histoire artistique de la ville qu’il puisera le nom de salles du Théâtre – Marie Dorval, une actrice romantique du XIXe siècle, originaire de Lorient, qui fut la maîtresse d’Alfred de Vigny, ou Joseph Ponthus, romancier populiste et prix Régine Deforges du premier roman en 2019 – et du vocabulaire maritime qu’il tirera les noms d’opérations récurrentes qu’il met en œuvre : LITT’ORAL qui rassemble des actions entreprises hors les murs du Théâtre et dans les communes environnantes ; ESCALES, qui invite chaque fois un représentant de l’univers de la culture et des loisirs à poser son sac à Lorient, l’espace d’une soirée.
Une démarche hors les murs
Simon Delétang avait initié, lors de son mandat au Théâtre du Peuple, à Bussang, une traversée des Vosges sur le thème du Lenz de Büchner. LITT’ORAL s’inscrit dans cette même démarche d’aller au-devant du public, dans des endroits non théâtraux, pour présenter hors les murs de petites formes et toucher un public au plus près de ses lieux de vie et de son environnement patrimonial ou naturel. Du 16 au 19 mai 2024, pendant quatre jours, animations et spectacles vivants gratuits et payants de toutes disciplines iront à la rencontre du public pour lui offrir l’occasion d’entretenir une relation différente au spectacle vivant et investiront les espaces les plus divers, dans la ville et les communes environnantes. Une manière d’aller chercher le public là où il se trouve, de le familiariser avec la création et les équipes qui la défendent pour lui faire passer plus aisément, par la suite, les portes du théâtre.
Ces malles qu’on ouvre aux ESCALES
Dix rendez-vous-rencontres, soit environ un par mois, sont prévus pour proposer un autre regard sur la culture et le divertissement. Après les marionnettes et la rencontre avec Éric Ruf, comédien, metteur en scène, décorateur et scénographe de théâtre actuellement administrateur de la Comédie-Française et ses invités, après une animation créée par les deux youtubeurs de Mont Corvo, grands spécialistes du manga, une forme jeune oar excellence, la littérature a trouvé sa place au sein de ces rencontres grand public avec la journaliste et autrice d’origine marocaine Leïla Slimani, autour de son roman le Parfum des fleurs de la nuit (éd. Gallimard). Une manière de parler du métier d’auteur, de la solitude de l’écrivain, de ses motivations et sources d’inspiration et de ses contraintes que Simon Delétang présente sous une forme théâtralisée. Prenant en compte l’envie qu’avait eue l’autrice de devenir comédienne, il fait de cette lecture, qui puise quelques extraits dans plusieurs autres œuvres, un événement mis en scène dont l’accroche, volontairement provocatrice – un appel à toutes les femmes de commettre un meurtre, symbolique bien entendu – situe d’emblée le propos du côté des femmes. Suivront un concert et des lectures avec le Bagad de Lorient dont la musique bretonne occupera le propos, puis un événement sur le thème du FC Lorient, dont la gloire footballistique embarque avec elle toute la ville. Comme la gastronomie – en France particulièrement – occupe une place à part dans la culture nationale, François-Régis Gaudry, présentateur, entre autres, depuis 2020, de la soirée Top Chef sur M6, auteur d’un documentaire et d’une exposition consacrés à Paris, Capitale de la Gastronomie et grand prêtre du festival Saveurs et Savoirs dont la première édition s’est tenue à Uzès abordera ce thème si cher à la majorité des Français. Il reviendra enfin à l’acteur, chroniqueur et humoriste Vincent Dedienne, vent debout contre l’homophobie, de clore le cycle d’Escales de la saison.
Si l’on ajoute à ce voyage le relais qu’offre le Théâtre de Lorient à des compagnies basées dans les Côtes d’Armor telles Le Combat Ordinaire, fondé par Antoine de La Roche, ou la Compagnie Alexandre, animée par Lena Paugam, qui apporte à l’air du large lorientais l’Ode maritime du Portugais Fernando Pessoa (voir notre article sur ce spectacle), on mesure l’importance accordée au territoire dans le propos du Centre dramatique. Il ne reste plus, sur les traces de Fellini, qu'à souhaiter au projet « E la nave va », « Et vogue le navire »…
Théâtre de Lorient – Centre Dramatique National – Parvis du Grand Théâtre, 56000 Lorient www.theatredelorient.fr
LITT’ORAL, du 16 au 19 mai 2024
ESCALES (à 18h) : Bagad de Lorient, le 24 février ; Le FC Lorient, le 23 mars 2024 ; François-Régis Gaudry, le 13 avril 2024 ; Vincent Dedienne, le 25 mai 2024
Sur Ode maritime, voir l’article http://www.arts-chipels.fr/2024/01/ode-maritime.sauvagement-cathartique.html