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Arts-chipels.fr

Islande entre ciel et texte. Écouter pour voir.

© DR

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Et s’il suffisait de se laisser glisser simplement dans l’écoute pour ouvrir les portes de l’imaginaire ? De se laisser raconter l’histoire ? C’est le pari que fait la compagnie Le Château de fable pour nous faire découvrir la littérature islandaise contemporaine.

Sur scène, des livres ouverts suspendus à des filins descendent du plafond. Au centre, une haute échelle semble vouloir accrocher les cieux. Au sol, d’étranges instruments attendent on ne sait quel alchimiste qui leur donnera un sens, une impulsion, une intensité. La comédienne et la musicienne émergent de la nuit. La comédienne – on devrait dire la lectrice – grimpe sur l’échelle et décroche un livre. Elle s’assied, perchée sur les barreaux, et elle lit, à voix haute. Les dés ont été jetés, c’est du livre dont il sera question. Et si le théâtre s’en mêle, c’est d’abord pour faire résonner le texte, sans en changer une virgule, sans l’éclater en scènes dialoguées, sans le théâtraliser, bien que le seul fait de sa lecture soit déjà théâtralité.

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Faire entendre la littérature

Le propos, c’est d’introduire sur scène une connivence avec le texte, non de le transformer. Ouvrir un champ à l’imaginaire comme on le fait lorsqu’on ouvre un livre. Il y a les mots, les phrases, les respirations et les changements de tons, et les histoires qu’on se raconte à l’intérieur des mots, dans l’interprétation des phrases que le cerveau transcrit à sa manière, dans les décors qu’il recrée en écoutant la musique des paroles, dans les atmosphères qu’il reconstitue ou se fabrique à partir des niveaux de langue utilisés par l’auteur, de sa manière d’énoncer sa pensée, d’une image que le texte engendre, d’une impression comme on pourrait l’imaginer marquée au tamponnoir, à coups de chiffons imbibés des couleurs les plus diverses.

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La musique, au-delà du bruitage et de l’illustration

Lorsque le texte est premier, la musique a souvent le second rôle, voire un rôle de figuration, et son utilisation souvent ramenée au « dramatique », destiné à souligner ce que porte le dialogue ou l’action. Un rythme qui se précipite quand l’action se resserre, les cordes langoureuses qui accompagnent les élans amoureux et se font discordantes quand un grain de sable enraye la mécanique sont autant de trucs aujourd’hui éventés. Mais quand la musique se fixe pour objectif non plus d’enfermer le sens mais d’ouvrir un champ de possibles, les règles changent. Dans les quatre spectacles qui constituent les quatre escales islandaises de la série, elle n’est plus là pour dire mais pour suggérer, proposer à l’oreille une aventure inédite qui s’entrelace avec le récit non pour le souligner mais pour établir avec lui un dialogue. Ainsi, si la musique a un goût d’ailleurs qui peut nous entraîner en Islande, ce n’est pas avec les instruments typiques du folklore islandais, mais avec des bols tibétains, un instrument à vent aux formes serpentines, un psaltérion remonté du Moyen Âge ou des sanzas venus d’Afrique quand ce n’est pas une flûte en os d’Amérique latine ou ce curieux violon iranien qu’est le ghickek, aux sonorités et à la profondeur parfois proches du violoncelle. Pour évoquer le voyage, un tambourin suffit à marquer le rythme de la course et ses clochettes à évoquer les traîneaux du Grand Nord. Quant à la glace, un mobile composé de pastilles de nacre qui s’entrechoquent, agitées par l’instrumentiste, suffit à suggérer sa nature cristalline et cassante.

© Pierre François

© Pierre François

Une île battue par la mer, le vent et la tempête

Et puis il y a les textes, qui nous parlent d’un monde éloigné, aux codes étrangers autant qu’étranges. Un monde où la nuit, parfois, semble ne pas finir, où, pour occuper les longues soirées d’oisiveté, la lecture occupe une place de choix, et où la poésie naît des esprits des eaux et de la terre qui peuplent cet univers de glace et de brouillard, propice aux fantasmes nés d’un monde hostile mais cependant magique. Elles évoquent, ces briques de langue émergeant de la brume, les profondeurs noires de l’eau qui répondent à la colère du ciel, l’âpreté de la vie dans ce pays où le gel et la glace brûlent toute chose, l’absence de perspective qui pousse les hommes à braver les fureurs de l’océan et les femmes à attendre de voir revenir leurs cadavres. Ils zigzaguent entre réel et imaginaire, poésie et misère sordide dans un rapport à l’élémentaire, fruste, brut comme les forces de la nature que l’homme affronte dans un monde sans demi-mesure.

© Pierre François

© Pierre François

Tourments d’Islande

Ce n’est pas un hasard si le choix des trois romans contemporains qui forment trois des étapes du parcours se porte sur une période qui se situe à la jonction des XIXe et XXe siècles. À cette époque, l’Islande appartient encore au royaume de Danemark – elle n’obtiendra son indépendance qu’en 1918, mais tous les liens ne seront véritablement coupés qu’en 1944. C’est un pays colonisé, à qui les Danois imposent la réforme protestante et leur mainmise commerciale, une terre qui glisse vers une pauvreté croissante dès le XVIe siècle. Dans leur dénuement, les Islandais puisent cependant une force en préservant leur identité. Entre une religiosité qui plonge ses racines dans des croyances plus anciennes, un héritage d’asservissement et de dépendance et une revendication d’émancipation perceptibles à travers la littérature se tisse une trame complexe qui forme l’identité contemporaine de l’Islande.

© Tatia Chitishvili

© Tatia Chitishvili

Quatre propositions pour parcourir l’Islande littéraire

Pour faire entendre ces voix extraites des sables du temps, le Château de Fable choisit la diversité. Le Moindre des mondes révèle un humour un peu noir dans les histoires croisées d’un révérend chasseur pas très recommandable qui poursuit une renarde rousse, d’une jeune handicapée mentale – décédée – qu’aimait l’idiot du village et de son employeur, un botaniste distingué. Son auteur, Sjón, qui s’apparente au monde pop-rock, à Björk dont il est l’un des paroliers et à Dancer in the Dark de Lars von Trier, dresse le portrait haut en couleur et un peu sarcastique d’une humanité pas d’équerre. Dans un autre registre, Karitas, de Kristín Marja Baldursdóttir, et Entre ciel et terre, de Jón Kalman Stefánsson se présentent comme des romans d’apprentissage sur fond d’émancipation sociale. Le premier adopte la forme du carnet de croquis, transcrits en mots, d’une enfant qui deviendra peintre et accumule, au fil du temps, le récit d’une vie et de ses rencontres dans ses notations dessinées. Il est question d’exil et de misère, mais aussi d’un désir forcené d’éducation pour en sortir sur fond de mer en furie, de paysages où rien ne pousse et de labeur harassant dans des pêcheries de hareng. Le second est œuvre de poète. Trop occupé à faire résonner les vers du Paradis perdu de Milton, Bárður le pêcheur en a oublié sa vareuse lorsqu’il a pris la mer. Et la mer s’est vengée et le froid l’a gelé. Le livre offrira à Ari, son jeune ami, l’occasion d’un voyage initiatique à travers l’île. S’ils ont causé la mort, les vers apportent aussi la vie…

Dans l’univers enchanté des contes

Avec les dix contes extraits de la Géante dans la barque de pierre et autres contes d’Islande, femmes trolls et ondins viennent se mêler au quotidien des humains pour leur compliquer la vie. Qu’ils soient rois, princes, paysans ou valets, tous ont à lutter pour reconquérir leur liberté ou celle de ceux qu’ils aiment ou pour se défaire d’un mauvais sort. Ainsi le roi devra-t-il briser la chaîne qui retient son épouse prisonnière ou le fermier conjurer la malédiction qui tue ceux qui passent chez lui la nuit de Noël. Histoires des anciens temps, revenants et sorciers, elfes et géants peuplent cet assemblage bigarré où se croisent l’histoire, les mythes et les légendes et même les récits comiques.

© Tatia Chitishvili

© Tatia Chitishvili

Invitation au voyage

À travers la diversité des thèmes et des formes, entre effroi et rire, émerveillement et affliction, poésie et réalisme, se dessine en creux le profil d’une île soumise en permanence aux extrêmes où, entre combat et fascination, l’homme et son environnement ne cessent de se confronter. Dans ce pays-là, les livres valent quelque chose et les faire entendre, proposer en partage un peu de cette âme islandaise pour donner envie d’aller plus loin et découvrir le tout dans une lecture solitaire est une des ambitions de ce projet qui, par son découpage en « escales », permet d’entendre un ou plusieurs des fragments – chaque « escale » ayant une durée d’environ 55 minutes, avec une version écourtée pour les contes, orientée vers un jeune public. Il faut plonger dans le noir d’encre de la littérature pour découvrir le ciel islandais et un monde où l’on cherche vainement en juin les arbres et les fleurs. Parce que les arêtes de morue sont la voûte des rêves d’Islande.

Islande entre ciel et texte. Un voyage littéraire et musical en terre d’Islande en 4 escales. D’après S Entre ciel et terre de Jón Kalman Stefánsson (trad. Éric Boury, Gallimard, 2010), S Karitas, l’esquisse d’un rêve de Kristín Marja Baldursdóttir (trad. Henry Kiljan Albansson, Actes Sud et Gaïa Éditions) S Le Moindre des mondes de Sjón (trad. Éric Boury, Payot & Rivages, 2008) S La Géante dans la barque de pierre, contes islandais recueillis par Jón Árnason et Magnus Grímsson (trad. Ásdis R. Magnúsdóttir et Jean Renaud, Corti, 2003).

S Mise en scène Claude Bonin S Comédienne / Adaptatrice Bénédicte Jacquard S Compositrice / Instrumentiste Christine Kotschi S Scénographie Cynthia Lhopitallier S Création Lumière Vincent Houard S Construction décor Alain Mériaux S Graphisme et illustration Vaderetro S Relations Publiques Xiaoyuan Wang S Coproduction Les Bords de Scènes, Anis Gras – Le lieu de l’autre, La Strada & Cies S En coréalisation avec Le Théâtre de l’Epée de Bois S Avec l’aide du Conseil Départemental de l’Essonne et de la SPEDIDAM S Avec le soutien de l’Ambassade d’Islande.

TOURNÉE 2023

S Du 23 novembre au 3 décembre 2023. Théâtre de l’Épée de Bois – Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris. Jeu. & ven. 19h & 21h, sam. & dim. 14h30 & 16h30

La Géante dans la barque de pierre et autres contes d’Islande ; jeu. 23 & 30 à 19h, sam. 25/11 & 2/12 à 14h30 Entre ciel et terre ;jeu. 23 & 30 à 21h, sam. 25/11 & 2/12 à 16h30 Karitas, l’esquisse d’un rêve ; ven. 24/11 & 1/12 à 19h, dim. 26/11 & 3/12 à 14h30 Le Moindre des mondes ; ven. 24/11 & 1/12 à 19h, dim. 26/11 & 3/12 à 16h30. www.epeedebois.com

 

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