20 Septembre 2024
Dans cet épisode du projet Radio Live, qui rassemble, au fil du temps, des jeunes gens de tous horizons et de tous pays, c’est en Syrie, en Bosnie et en Ukraine que nous entraînent trois jeunes femmes trentenaires.
Sur la scène, plusieurs espaces coexistent. Il y a d’abord ces trois jeunes femmes, au fond, côté jardin. Elles seront rejointes par la mère de l’une d’entre elles, jetant un pont entre les générations. Côté cour, on trouve celle qui est aux manettes et fera advenir, le temps de la représentation, projections et dessins, images saisies au fil de promenades ou prises dans l’intimité des familles, et derrière elles ces invisibles qui ont capté ces images, ces moments de complicité ou ces paysages et ces lieux qui font remonter à la surface souvenirs heureux, nostalgiques ou difficiles. La musicienne et chanteuse qui associera aux trois femmes l’image musicale de leur environnement, de leur génération et de leur terre d’origine, alternant mélodies populaires ou musiques du temps présent et l’animatrice qui est également coconceptrice du projet et productrice à France Culture complètent la distribution.
La prolongation d’un projet radiophonique
Aurélie Charon réalise depuis 2011 des séries documentaires sur la jeunesse engagée dans le monde pour Radio France. Elle a travaillé à Gaza, Téhéran, Alger et Moscou et réalisé films, émissions et séries sur la jeunesse française. En 2013, elle crée avec Caroline Gillet et Amélie Bonin le projet Radio Live, qui prolonge, d’une certaine manière, au plateau une démarche qu’elle réalise déjà sur le plan sonore. Elles font se rencontrer sur scène des jeunes femmes activistes du monde entier, les font dialoguer, plongent dans leurs vécus pour installer un échange. En 2021, elles infléchissent le projet en introduisant la question de la « relève » intergénérationnelle entre parents et enfants. Vivantes s’inscrit dans cette démarche. Le spectacle interroge ainsi le « d’où venons-nous ? », géographiquement, culturellement et familialement, en même temps que le « qui sommes-nous ? ».
Trois jeunes femmes et leurs choix
Okasa Leuta a grandi en Ukraine au moment de la crise qui a suivi la chute de l’Union Soviétique. Venue d’un milieu d’enseignants, elle a appris le français. En 2014, avec la multiplication des manifestations antisoviétiques et l’occupation de la place Maïdan à Kyiv, elle rejoint l’équipe médicale et participe à la création d’hôpitaux de fortune avant de devenir comédienne – après des études de théâtre en France –, enseignante et night manager dans un techno club qui organise des soirées queer. Lorsque l’invasion russe commence, elle fait le choix de rester dans son pays et devient « fixeuse » et traductrice pour des journalistes internationaux avec lesquels elle se rapproche le plus possible de la ligne de front.
Née dans un petit village alaouite de Syrie – Hafez et Bachar el-Assad appartiennent à cette même communauté – Hala Rajab a été élevée au sein d’une famille d’opposants communistes au régime. Son père a fait plusieurs séjours en prison. Lorsque la révolution syrienne commence en 2011, il est au Caire pour une conférence et ne peut rentrer. Sa famille est menacée, Hala obligée de quitter l’université. Tentant de rejoindre sa famille, son père est fait prisonnier et torturé à mort. Hala et ses sœurs s’exilent à Lyon où Hala entame des études de cinéma. Elle est aujourd’hui scénariste, cinéaste et comédienne.
Quant à Ines Tanovic, elle grandit à Mostar. Elle est l'une des filles d’un couple religieux et ethnique mixte. Son père est bosniaque et musulman, sa mère croate et catholique. Sous le régime yougoslave de Tito, la mixité ne surprend pas, mais quand, en 1992, la guerre éclate, son père est fait prisonnier par les Croates et emmené dans un camp de travail où il passera un an et demi. Est-il musulman, lui demande-t-on ? Non, répond-il, il est communiste. Sa sœur est prise au piège dans Sarajevo assiégée et son père, revenu de captivité, refuse de partir. Ines porte encore dans le corps des dizaines d’éclats d’obus, vestiges de la guerre. Après des études d’histoire de l’art à Zagreb, elle s’engage dans de multiples projets citoyens et culturels en Bosnie. Elle se bat contre les divisions ethniques et pour une démocratie participative. En 2020, elle crée un lieu d’accueil des nombreux migrants en transit à Sarajevo et Bihac qui tentent de rejoindre les territoires associés à l’Union européenne.
Récits croisés
Toutes trois, elles ont en commun la guerre, avec ce qu’elle entraîne. Elles évoquent un quotidien sous les bombes, les proches qui sont touchés, les horreurs et les excès que la guerre traîne dans son sillage. Toutes trois viennent de pays dits « progressistes » : socialiste ou se disant tel en Syrie, autrefois considérés comme « communistes » en ex-Yougoslavie ou en Ukraine. Toutes, elles racontent une histoire d’opposition au régime qui est passé d’une génération à l’autre. Selon un agencement thématique où alternent des sujets tels que « Les mères », « La réconciliation » ou « Rester ou partir », les expériences se télescopent et s’échangent. Ensemble sur scène, elles ont aussi effectué des voyages communs pour rencontrer leurs parents respectifs, ont échangé avec leurs familles par SMS ou sur FaceTime. Elles confrontent leurs expériences, trouvent une complicité mutuelle, inaugurent un dialogue qu’on sent authentique.
Des femmes dans la vie comme elle vient
Elles ne sont pas embrigadées, inscrites dans telle ou telle obédience. Elles ont pris leur vie en main, poussées par des familles qui les ont incitées à devenir autonomes, qui leur ont appris à se battre avec des mots et des actes, au-delà des armes. Elles sont libres et vivantes. Elles parlent des musiques qui ont rythmé leur adolescence, de Nirvana mais aussi de Ferrouz, elles évoquent les blessures que portent les façades des bâtiments à la suite des impacts de balle ou des éclats d’obus, elles nous baladent du panorama d’une terrasse d’immeuble au café où elles avaient leurs habitudes. Et puis elles nous présentent ces mères formidables, qui ne veulent pas parler de la guerre à leurs enfants pour leur laisser espérer une vie meilleure, qui disent à demi-mot que leur vie n’a pas été facile. Truffé d’anecdotes qui n’en sont pas tant la charge émotionnelle qu’elles portent est forte, le spectacle impose en permanence cet aller-retour entre les situations historiques et les expériences intimes. Elles sont touchantes en même temps que proches, ces femmes qui racontent l’histoire par le petit bout, par les petits faits quotidiens.
L’expérience de vie comme spectacle
Il n’était pas facile de ne pas sacrifier au pathos ou au misérabilisme tant les situations qu’elles exposent sont dramatiques. Vivantes évite ces écueils en même temps qu’il se révèle d’une efficacité redoutable car il arrive à concilier le vrai et l’artifice absolu qu’offre le théâtre. C’est sous la forme d’une performance, très architecturée, que se présente le spectacle. D’un écran à l’autre, de la scène à l’écran, de l’image que l’écran donne de la scène à la manière dont il complète le discours ou lui apporte un éclairage différent, du dialogue qu’il introduit entre le documentaire filmé et le vivant, le spectacle parcourt toute la gamme des jeux possibles entre le direct et l'enregistré, le théâtre et la vidéo avec un art consommé. Mais point ici de cabotinage ou de complaisance. Il est, avec son urgence, question d’être dans un monde écartelé.
Radio Live – Vivantes
S Conception, création image et écriture scénique Aurélie Charon, Amélie Bonnin S Création musicale Emma Prat Avec S Oksana Leuta, Hala Rajab, Ines Tanovic et la participation de Anna Leuta S Création visuelle live Gala Vanson S Musique live Emma Prat S Images Thibault de Chateauvieux, Aurélie Charon, Hala Aljaber S Montage vidéo Mohamed Mouaki, Céline Ducreux S Mixage Benoît Laur S Espace Pia de Compiègne Régie générale, création et régie lumière Thomas Cottereau S Régie vidéo et son Vincent Dupuy S Direction de production, diffusion Mathilde Gamon S Rencontres issues des séries radiophoniques et des voyages Aurélie Charon et Caroline Gillet S Projet associé à Chaillot - Théâtre National de la danse 2022-2026 S Production Radio Live production S Coproduction Chaillot - Théâtre national de la Danse, Bonlieu scène nationale d’Annecy S Avec le soutien de la DRAC Île-de-France S Durée estimée 2h S À partir de 13 ans
20-21 septembre 2024 | Festival Seuls en Scène, Princeton (Etats-Unis)
15 > 18 octobre 2024 | Théâtre de la Cité Internationale, Paris, dans le cadre du Festival Transforme
Dates à venir
Comédie de Caen - CDN de Normandie (artiste associée)
Centre Culturel Jean-Vilar, Champigny-sur-Marne
Théâtre du fil de l’eau, Pantin
Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France
Radio Live est une proposition à géométrie variable, qui peut se décliner sous deux formes.
• les portraits (1h15)
• les récits croisés (2h15)
Ainsi, le Théâtre de la Cité internationale à Paris a privilégié
• Le 15 octobre 2024, les récits croisés d’Ines Tanovic (Sarajevo) et Amir Hassan (Gaza)
• Le 16 octobre, les récits croisés de Sumeet Samos (Inde) et de Yannick Kamanzi (Rwanda)
• Le 17 octobre, le portrait de Hala Rajab (Syrie)
• Le 18 octobre, le portrait de Sameet Samos (Inde)
Les personnages portraiturés par Radio Live
Yannick Kamanzi est né en 1997, il fait partie de la génération née après le génocide des Tutsis au Rwanda. Ses parents étaient au Congo en 1994 mais il a perdu sa grand-mère, tuée pendant le génocide. Il se demande comment sa génération, responsable de l’avenir, hérite de cette histoire. Adolescent à Kigali, il décide d’écrire des pièces de danse et de théâtre pour interpeller les générations précédentes. À travers la scène, il pose les questions qu’il n’ose pas adresser dans la vie quotidienne. Ses parents ou son petit cousin de 11 ans sont présents à travers les films. Il vient de terminer sa formation de danseur et comédien à l’École Jacques Lecoq à Paris, et crée son premier solo de danse, The Black Intore, à l’occasion du Chaillot Expérience en avril 2023.
Hala Rajab est née dans un village de Syrie en 1992,au sein d’une famille communiste. Son père, opposant au régime syrien, a fait plusieurs séjours en prison, il y est resté 5 ans avant la naissance de Hala. En 2011,la révolution syrienne commence. Deux ans plus tard, son père donne une conférence au Caire contre le régime, il reste bloqué deux ans, sur les listes noires syriennes. La famille est menacée. Hala est obligée d’arrêter ses études de droit pour travailler. En 2015, alors qu’il essaie de retrouver sa famille, le père d’Hala est arrêté, torturé à mort. Sous les menaces, Hala et ses sœurs quittent la Syrie pour rejoindre Lyon où Hala entame des études de cinéma à la CinéFabrique. Elle est maintenant scénariste, cinéaste et comédienne.
Ines Tanovic grandit à Mostar en Bosnie, d’un père bosniaque musulman et d’une mère croate catholique. Quand la guerre éclate en 1992, son père est emmené dans un camp de travail par les croates. Sa sœur reste prise au piège du siège de Sarajevo pendant trois ans. Ines a 9 ans quand elle est touchée par un obus bosniaque dont elle a encore une cinquantaine d’éclats de métal dans le corps. Elle a fait des études d’histoire de l’art à Zagreb, et s’engage dans de multiples projets citoyens et culturels en Bosnie. Elle se bat contre les divisions ethniques, pour une démocratie participative et pour le renouveau de la culture en Bosnie. Elle a créé en 2020 «Compass», lieu d’accueil des réfugiés à Sarajevo et Bihac.
Martin Francea grandi dans le Nord-Pas-de-Calais, dans la famille « France », agricultrice depuis des générations. Son père est un des premiers agriculteurs maraîchers bio de la région, à l’époque, on l’appelle «le sorcier». Martin a voyagé: au Cameroun, en Guadeloupe. Il veut réfléchir à une agriculture solidaire et responsable. Depuis peu, avec sa sœur, ils ont repris la ferme de son père, en permaculture.
Gal Hurvitz vient de Tel Aviv. Gal veut dire « vague » en hébreu, et la décrit bien. Gal aime Pina Bausch, la poésie et les auteurs russes. À 20 ans elle est entrée dans la troupe d’Ariane Mnouchkine. Plus tard elle retourne à Tel Aviv, passe son diplôme de mise en scène. Elle refuse de faire l’armée. Récupère son passeport polonais. Travaille au Musée de la Shoah à Paris. Elle a créé un théâtre à Jaffa à Tel Aviv, pour adolescents en difficulté, juifs et arabes mélangés.
Sumeet Samos fait partie des «intouchables», ces parias de la société en Inde. Il a grandi dans un village où on l’attachait à un piquet s’il osait entrer dans le jardin d’une famille de haute caste. Il a appris l’anglais seul, est entré à l’Université à Delhi et prend la parole pour lutter pour l’éducation des basses castes.
Amir Hassana grandi dans le camp Al Shati près de la plage à Gaza. À18 ans, il entend parler français à la fac et décide de l’apprendre. Quatre ans plus tard, il écrit des poèmes en français, gagne des prix. À 20 ans il sort pour la première fois de la bande de Gaza. Il a une bourse et enseigne, en tant qu’assistant, la langue arabe au lycée Henry IV pendant 2 ans. Ces dernières années, il enseigne et publie des poèmes. Il est en France depuis 10 ans, vit et travaille à Paris en tant que journaliste à France 24.
Oksana Leuta a grandi en Ukraine dans la période de crise qui a suivi la chute de l’Union soviétique. Ses parents étaient professeurs et elle a décidé d’étudier le français en Ukraine puis le théâtre en France. En2014 les manifestations ont commencé et les habitants de Kyiv ont occupé la place Maïdan. Elle a rejoint l’équipe médicale et a passé des semaines à participer à la logistique et l’organisation des hôpitaux de fortune sur place. Ces dernières années, elle était enseignante, comeédienne et night manager dans un technoclub secret de Kyiv qui organise des soirées queer. Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine et de la guerre, elle est fixeuse et traductrice pour les journalistes internationaux avec lesquels elle se rend proche de la ligne de front pour raconter la guerre au monde.
Liza et Sofia Kovalova sont sœurs jumelles, elles ont grandi à Dnipro en Ukraine. Elles ont fait des études d’architecture et de commerce. Elles ont quitté ensemble par train l’Ukraine pour la Roumanie après le début de la guerre en mars 2020. Depuis, elles travaillent au Youth Center de Timisoara en Roumanie pour la communauté ukrainienne, entre autres pour l’école qui accueille les enfants réfugiés ukrainiens. Leurs parents et frère et sœur les ont rejointes l’été 2022. Leurs grands-mères sont toujours à Dnipro, elles habitent dans l’immeuble qui a été touché par un bombardement russe en janvier 2023.