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Arts-chipels.fr

Décodage. La grande Histoire dans le prisme des petites.

© Lucie Jean

© Lucie Jean

Qu’a à voir l’histoire collective avec la somme des histoires individuelles et comment comprendre l’Histoire dans la jungle emmêlée et parfois indéchiffrable des contenus délivrés par l’histoire « officielle » comme par les réseaux sociaux ? Des questions qui revêtent aujourd’hui un caractère d’urgence pour maîtriser sa propre vie…

Jana Klein et Stéphane Schoukroun ont fait du croisement entre leurs expériences de vie, leurs histoires individuelles et un théâtre documentaire, issu de rencontres avec différents groupes de population, le moteur de l’expérience théâtrale qu’ils poursuivent depuis plusieurs années. Parce que comprendre qui je suis peut me permettre de comprendre comment j’appréhende le monde et qu’à l’inverse, ce que m’apporte le monde – tout ce qui vient de l’extérieur, qu’il s’agisse d’expériences vécues par d’autres ou d’informations diverses – m’aide à éclairer mon parcours.

Une implantation en territoire « sensible »

Dans une société où l’incompréhension entre classes d’âges, sexes, genres et groupes humains est souvent la règle, comprendre et analyser pour accepter l’autre tient de l’entreprise de salubrité publique. Et l’âge où se façonnent les personnalités, l’enfance et l’adolescence, acquiert une importance particulière. Implantés en résidence dans la région parisienne, à Gonesse, dans une zone urbaine composite formée d’une mosaïque de communautés et de cultures, Jana Klein et Stéphane Schoukroun ont fait le choix, dans une période où les salles de spectacle avaient porte close, d’un travail de terrain mené avec des collégiens, en particulier à Drancy. Travail à double détente puisqu’ils ont créé, avec les élèves un nouveau type d’atelier qui mêle écriture, témoignage et théâtre et ont réalisé avec eux un podcast de l’expérience et qu’ils ont tiré de ces rencontres la matière d’un spectacle qui vient à son tour interroger à la fois ceux qui y ont été, même indirectement, impliqués et, plus généralement ceux qui le regardent et y reconnaissent en partie leur propre reflet.

© Lucie Jean

© Lucie Jean

Partir du plus près du public

Destiné à des collégiens et imaginé pour pouvoir être joué dans n’importe quel lieu – salles de classe, bibliothèques, centres sociaux, maisons de quartier… – dans les lieux que ces jeunes fréquentent tous les jours, au quotidien, le théâtre fait d’abord la démarche d’aller vers eux, de s’installer là où ils se sentent chez eux, dans leurs pantoufles. Pour débarrasser le théâtre de son exotisme et éviter toute perception d’élitisme et donc d’exclusion. La jeune femme qui s’adresse à eux ne se différencie pas vraiment de leur look dans son blouson argenté qui voudrait faire blingbling et avec son parler d’ado. Et d’ailleurs, ce dont elle vient leur parler les concerne. Employée d’une jeune start-up spécialisée en jeux vidéo, elle navigue dans leur univers. Elle a les mêmes codes qu’eux. Elle vient là parce que sa société envisage de créer un jeu vidéo éducatif destiné à l'apprentissage de l’histoire et qu’elle développe un « proto » révolutionnaire dans lequel les enfants s’inventeront un avatar qui se mêlera à l'aventure. Commence le jeu des questions. L’avatar doit-il être à leur image ou à celle qu’ils voudraient se donner ? Sans y toucher, ils ont mis les deux pieds dans l’Histoire et dans ce qu’elle raconte.

Une histoire, des histoires

À partir de là, il ne reste plus qu’à détricoter. La jeune conférencière ? une comédienne qui raconte une histoire. Ce qu’elle raconte ? un mélange entre son aventure propre de jeune Libanaise émigrée, donc venue d’ailleurs, qui se retrouve confrontée à ce qu’on lui présente comme l’Histoire, mais qui n’est pas la sienne. Comme celle de nombre d’enfants présents dans la salle. Et même si on adopte le point de vue de cette Histoire avec un grand « H », de quoi est-elle composée ? Qui la raconte ? De fil en aiguille les histoires s’entremêlent. Il est aussi question de celles qu’on découvre en lisant, celle, par exemple, d’une jeune fille qui vivait à Amsterdam et se nommait Anne Frank. Cachée pendant la guerre parce qu’elle était juive, elle rédige son journal du fond de sa cachette avant d’être dénoncée par un voisin – vous feriez ça, vous ? – et déportée vers les camps de concentration – un élément de plus dont il a fallu prouver l’existence alors que les archives avaient été détruites. Est-ce que c’est de l’histoire, un journal ? Et comment peut-on distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas ? On a, bien sûr, quitté les rives du jeu vidéo pour avancer en eaux mouvantes, incertaines, où il est question de communautés, de grande et de petite Histoire, de sources, de mélanges et de points de vue…

Décodage. Comprendre l’histoire

Trois quarts d’heure de débat suivent les explications pleines de vivacité, post-it et accumulations de dates à l’appui. Et les questions fusent, qui révèlent les histoires individuelles. Les jeux vidéo ? Ce serait super d’apprendre en s’amusant… Et la jeune fille, vraiment employée d’une start-up ou pas ? Et son triple nom, de personnage double et dans la vie ? On remonte les pistes. Le nom, les origines, le pourquoi elle raconte son histoire. Et si on recule encore dans le temps, on arrive où ? Et les filles, est-ce qu’elles sont quelque part dans l’histoire ? Est-ce qu’elles n’existaient pas si elles ne sont pas présentes ? On suit le courant… La recherche d’informations, elle passe par où ? Et qui fabrique les informations ? Les réseaux sociaux ? Mais disent-ils toujours la vérité ? Il est question de fake news. Un coin du voile se soulève et des béances apparaissent. On remonte encore, on recule dans le temps pour poser les questions « qui sommes-nous ? » et « d’où venons-nous ? » D’une histoire presque anodine, on passe aux questions fondamentales… Mais la cloche sonne, métaphoriquement parlant. Il est temps de lever le camp…

Décodage

S Conception / Écriture Jana Klein S Conception / Dramaturgie Stéphane Schoukroun S Jeu / Collaboration artistique Ada Harb S Design graphique Sama Beydoun S Production Compagnie (S)-Vrai S Soutiens Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Département de la Seine-Saint-Denis, Ville de Gonesse, Fondation Humanités, digital et numérique S Création à la suite d’un travail avec les élèves du club de lecture et du club théâtre du Collège Paul Bert de Drancy S En collaboration avec le professeur de français, Sami Elhage, la professeure-documentaliste, Alma Zaragoza, le professeur de physique-chimie, Maxime Pulcini, et avec le soutien de la principale Myriam Samb S La compagnie (S)-Vrai est conventionnée par la Région Île-de-France au titre de la permanence artistique et culturelle. Elle est en résidence territoriale (2022-2024) à Gonesse, soutenue par la Ville de Gonesse, la DRAC Île-de-France et le Conseil Départemental du Val d’Oise. S À partir de 12 ans S Durée 55 min, plus 45 min de débat

Du 21 au 24 mars au Musée national de l’histoire de l’immigration – Palais de la Porte Dorée, Paris 12e

Les spectacles de la Compagnie (S) Vrai en Avignon
Décodage à La Cour du Spectateur. Du 12 au 29 juillet à 16h10 (relâche les 17 et 24)
L la nuit au Théâtre du Train Bleu. Du 7 au 19 juillet à 10h40 (relâche le 13). L’aventure d’une fille qui voulait être Clint Eastwood et rencontre Calamity Jane dans un western urbain où une femme prend la parole. Issue d’enquêtes sur la place des femmes dans l’espace public, une forme immersive pour une interprète, un vélo et un public sous casque.

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