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Arts-chipels.fr

Notre école. Résiste !

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Jana Klein et Stéphane Schoukroun ont fait de leur vie – et de celles qu’ils ont croisées, rencontrées et traduites en personnages – le sujet de leur théâtre. Ils récidivent dans la démarche de Notre école, avec le même engagement social qui n’a cessé de les porter.

L’école, c’est le sujet qui concerne tout le monde, celui qui pose tous les problèmes : responsabilité des parents, des enseignants, de l’État et des collectivités territoriales, nature et contenu des enseignements à transmettre, de la formation dispensée à ceux qui seront de futurs citoyens, volonté républicaine d’une éducation pour tous qui donne aux enfants, quelle que soit leur origine ou leur appartenance sociale, une égalité de chances.

Autant d’objectifs battus en brèche par les réalités d’aujourd’hui, mais auxquels s’accrochent Jana Klein et Stéphane Schoukroun qui ont entamé, depuis 2016, un travail au long cours avec des enfants et des enseignants, mais aussi d’autres jeunes, dans des conservatoires, des centres d’accueil, des foyers d’hébergement, à la Maison du geste et de l’image, etc. Leur objectif : ouvrir un espace de parole à ceux qui en sont généralement privés en utilisant leur propre pratique – le théâtre – et son partage. Et faire de leur implication en tant qu’individus pris dans le même système un moteur de questionnement et de compréhension. Notre école en est l’illustration.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Une action de longue haleine

Notre école part du constat que, depuis le premier confinement, quelque chose a changé dans la manière dont les élèves appréhendent le cursus scolaire et dont ils regardent les propositions d’expériences de vie hors de l’école qu’on leur fait. Se pose en arrière-fond la question du « que faire aujourd’hui ? » face à la faillite du système éducatif, déjà dénoncée par Pierre Bourdieu dans les Héritiers, lorsqu’on a le sentiment de courir, peut-être, derrière des moulins à vent.

Cette question, Jana Klein et Stéphane Schoukroun la posent à partir de l’expérience qu’ils ont menée, de 2017 à 2021, avec trois classes, à Paris, Pantin et Aubervilliers. Une école « parisienne » et des écoles de banlieue, dans des quartiers « défavorisés ». Passage(s) était construit en trois étapes. La première a conduit à créer un parlement de jeunes au Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, où les enfants ont exposé leurs questions, sur les discriminations, sur l’égalité des chances, entre autres. La deuxième a imaginé des modèles à venir et les enfants ont inventé par exemple la manière dont ils investiraient un immeuble quasiment inoccupé – destinataires des logements, aide aux migrants, scolarisation, services médicaux…  La troisième s’est rapprochée de l’activité de Jana Klein et Stéphane Schoukroun, le théâtre. Les enfants ont été invités à jouer devant d’autres leur monde imaginé. Une manière de faire des jeunes les acteurs de leur propre vie, un apprentissage de la citoyenneté.

Le projet de Notre école résulte aussi de l’expérience de L.I.B.R.E., Laboratoire Intergénérationnel de Bâtisseurs et Rêveurs d’École, une série de projets participatifs menés de 2022 à 2024 avec des habitantes et habitants de tous âges à Malakoff, La Courneuve, Pont-Sainte-Maxence et Paris. Décliné selon les besoins spécifiques de chaque territoire, en dialogue avec les théâtres partenaires, le tissu associatif de chaque ville (centres sociaux, associations d’aide aux jeunes en situation d’échec scolaire, associations d’aide aux primo-arrivants…) ainsi qu’avec les établissements scolaires (primaire et secondaire), des ateliers pluridisciplinaires ont mis au centre le travail de prise de parole.

Cette démarche passionnante, Jana Klein et Stéphane Schoukroun en rendent compte dans Notre école à travers la fiction théâtrale mais aussi par les témoignages filmés et enregistrés des enfants qui ont participé à ce travail.

Un « nous » reflet du monde

L’une des particularités de l’esprit qui guide les créations théâtrales de la compagnie (S)-Vrai, c’est l’implication individuelle de Jana Klein et de Stéphane Schoukroun et la manière qu’ils ont de faire de leur vie la matière de leurs spectacles. Ils parlent d’eux, mais à travers leur exemple, dessinent d’autres parcours, évoquent la vie des autres.

Dans Notre histoire, en abordant leur rencontre et leurs relations de couple, lui juif séfarade, elle Allemande, fille d’un résistant tchèque déporté à Dachau et d’un grand-père nazi, ils établissaient, à travers eux, un raccourci historique riche d’enseignements, mais vécu au quotidien et dans une relation intime. Dans L la nuit, Jana Klein, en cow-girl, incarnait, d’une certaine manière, toutes les femmes.

Dans Notre école, le tressage est plus complexe. Ils sont à la fois les intervenants de théâtre qui s’attaquent au sentiment d’impuissance qui a saisi Stéphane après leur expérience intense des trois années de Passage(s), mais aussi les parents d’une fillette élevée hors de la soie parisienne, saisis d’une responsabilité qui les rapproche des autres parents comme des enseignants. Si l’on ajoute le souvenir fantasmé de leur temps passé sur les bancs de l’école, qu’ils réinventent en opposant la forte en thème et le cancre, on obtient un mélange savoureux mais labyrinthique au travers duquel la pièce chemine.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Un espace hautement symbolique

Un nombre réduit d’accessoires rappelle l’univers de l’école. Tout juste un pupitre d’écolier placé sur le devant de la scène à un moment rappelle-t-il les bancs d’école. Et des tableaux, couleur ardoise d’un côté, et blanche de l’autre pour permettre des projections. Trois chaises, disposées en « U » suffisent à dire la tentative de modifier la vision frontale scène-salle et la hiérarchie de l’estrade de la classe, en disposant autrement les tables pour briser la relation séculaire au savoir. Le bruitage fera le reste, accompagnant les chahuts qui vont croissant dans des classes où l’autorité est contestée. Et lorsqu’il faudra réaffirmer des interdits pour sortir du marasme d’une situation qui part à vau-l’eau, la salle de classe deviendra lieu clos, hors-champ, fermé au spectateur, dont le public ne percevra plus que la présence sonore.

C’est à travers la vidéo, projetée sur des tableaux blancs, que le monde de l’école prend corps, avec des ambiances de cours de récréation. Elle rendra aussi compte de l’action menée au travers de Passage(s). Les prises de parole des enfants, touchantes, viennent y défendre un autre modèle de société, moins élitaire, plus juste, plus solidaire. Leur caractère réfléchi, qui répond au chahut, esquisse l’amorce d’une prise de conscience, à une petite échelle certes, mais comme le signe d’un possible espoir.

Parents, profs et théâtreux, même combat

Notre école fait entrer en scène d’autres acteurs de la vie scolaire : le personnel éducatif, de la conseillère d’orientation ou du directeur d’école à ceux qui forment le cœur du système, les enseignants. Avec un sens développé du cocasse et de la satire, les auteurs évoquent un quotidien qui est tout sauf drôle. Enseignants chahutés, épuisés, dépassés, coincés dans des normes de programmes inapplicables, dépositaires d’une pédagogie inadaptée, travaillant dans des conditions matérielles déplorables, avec des travaux indispensables toujours en attente de crédits, le tableau est noir de noir et grande la tentation de baisser les bras.

Une jeune comédienne et un jeune comédien endossent ici toutes les identités de profs possibles. Ils sortent aussi de leur rôle de profs engagés pour questionner ou mettre en doute les choix de mise en scène ou la pertinence du projet. Parfois impuissants, parfois dubitatifs, ils croisent la route des gens de théâtre. Mais ils seront aussi ceux qui refusent de baisser les bras, et les moteurs d’un renouveau d’énergie, d’un souffle à reconquérir. Que le théâtre accompagnera à son tour.

Théâtre documentaire en même temps que réalité fictionnelle, Notre école superpose comme les couches d’un oignon tous ces niveaux dans un mélange divertissant, intéressant mais où se repérer relève d’une sophistication pas toujours aisée à suivre. Mais l’essentiel demeure. Au tableau noir désespérément sombre que dresse la réalité d’une école où il ne fait pas bon être pauvre dans un quartier défavorisé, Notre école, avec son chevauchement entre vision introspective, humour noir et dynamique du combat, s’accroche à l’espoir. Et nous aussi… 

Notre École (tragi-comédie)
S Conception, dramaturgie, mise en scène Jana Klein & Stéphane Schoukroun S Écriture Jana Klein S Avec Baptiste Febvre, Pierre Fruchard, Ada Harb, Jana Klein, Stéphane Schoukroun et Wilfrid Roche S Assistanat mise en scène Elie Vince S Regard dramaturgique Marion Boudier S Conception lumière et vidéo Loris Gemignani S Scénographie Margaux Folléa S Création musicale et sonore Pierre Fruchard S Création vidéo Frédérique Ribis S Création costumes Séverine Thiébault S Réalisation coiffes Séverine Thiébault & Solène Truong S Construction décor Yohan Chemmoul & Jeanne Roujon S Conception graphique Lucie Jean S Régie son Paul Buche S Régie plateau, conception accessoires Wilfrid Roche S Régie générale Maëlle Payonne / Wilfrid Roche S Création aux Bords de Scènes à Juvisy le 15 novembre 2024 S Production Compagnie (S)-Vrai S Coproduction Les Bords de Scènes - Grand-Orly Seine Bièvre, Lieu unique - Scène Nationale de Nantes, Théâtre André Malraux à Chevilly-Larue, Théâtre Romain Roland - Scène Conventionnée à Villejuif, Théâtre des Quartiers d’Ivry - CDN du Valde-Marne, la Manekine, scène intermédiaire des Hauts-de-France, Centre culturel Houdremont - La Courneuve, CCAM - Scène Nationale de Vandoeuvre-lès-Nancy. Avec la complicité de la ville de Gonesse, L’atelier du Plateau, le théâtre Studio - Cie Christian Benedetti, le Théâtre Dunois, le Beffroi de Montrouge S Soutiens Ministère de la Culture - DRAC et Région Île-de-France, EPT Grand-Orly Seine Bièvre, Ville de Paris au titre de l’aide à la résidence S La compagnie (S)-Vrai est conventionnée en Île-de-France, par le Ministère de la Culture – DRAC et la Région ainsi que par la DILCRAH (délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine-anti-LGBT) S Elle est en résidence sur le territoire de Grand-Orly Seine Bièvre (2024-2027) S À partir de 13 ans S Durée 1h30

TOURNÉE
Du 8 au 13 février 2025 Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne (94)
Le 13 mars 2025 Dans le cadre de la Saison culturelle, au théâtre du Fil de l’Eau - Pantin (93)

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