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Arts-chipels.fr

Britannicus Tragic Circus. Les mots-laids du monstre qui s’éveille.

Britannicus Tragic Circus. Les mots-laids du monstre qui s’éveille.

Et si Britannicus devenait un spectacle de foire un peu trash et déjanté pour nous raconter sur le mode de la farce grinçante la naissance d’un monstre, au fond pas si différent de bien d’autres que nous connaissons ?

Sur la scène, un Monsieur Loyal, tenue cuir et fouet à la main, dirige les animaux humains que sont les personnages. Dans un décor de toiles de tente façon cirque où traînent cordes, agrès et tabourets de dressage, ils sont réunis là, pour nous raconter une histoire que le meneur de jeu-dresseur ne cesse de recadrer et de remettre sur les rails. Car ils sont indisciplinés, ses pensionnaires. Toujours prêts à en faire trop, à cabotiner, à rester en scène quand ce n'est plus leur tour et quand leur numéro doit céder la place au suivant. Eux, ils vont jouer Britannicus, mais dans une version différente de celle qu’on connaît, la célèbre tragédie de Racine et ses 1 770 alexandrins qu’on verra ressurgir par endroits de manière impromptue comme une rémanence, revue et corrigée.

© Olivier Brajon

© Olivier Brajon

Britannicus, Tragic Circus

Petit rappel du thème, au cas où on l’aurait oublié, car l’histoire est un peu emmêlée. L’empereur Claude s’est marié deux fois. De son premier mariage est né Britannicus, qui devrait être l’héritier légitime du trône. Seulement voilà. Claude a épousé en secondes noces Agrippine, une vraie salope sans foi ni loi, et a adopté le lardon de celle-ci, Néron. Pour Agrippine, y a pas photo ! C’est Néron qui sera empereur ! et, en gros, Britannicus s’en fout car il aime Junie et en est aimé. Mais Néron met le boxon car il voudrait bien se la taper, la Junie. Mais, mother said, pour lui, c’est l’Empire sans Junie, politique oblige, car il est déjà marié avec Octavie, ou rien du tout, et sans doute pas de Junie non plus parce que Britannicus deviendrait calife. Alors il tangue, hésite, tergiverse, parce que l’Empire, il y tient. Mais chassez le naturel, il revient au galop. Finalement, il veut les deux et donc il empoisonne son rival… Au bout du compte, Junie lui échappe quand même, non en rentrant au couvent mais en se faisant vestale. Intouchable, quoi !

© Olivier Brajon

© Olivier Brajon

Un théâtre musical rock et divertissant

Si la pièce conserve, en gros, la trame racinienne, elle y introduit de petits et grands écarts et une manière d’appeler un chat un chat sans s’encombrer de circonvolutions oiseuses. On est bien loin de la Rome antique, même si la trame de l’action s’y déroule. Le visage blanchi et le maquillage outrancier, façon clown, les comédiens n’y vont pas avec le dos de la cuiller. Agrippine, avec ses jambes de collants et ses gants de différentes couleurs, a un côté fou du roi. Elle est la méchante de l’histoire, la nympho obsédée du sexe qui se tape tout ce qui bouge, en premier lieu son fils, et explique benoîtement par le menu la recette d’omelette aux amanites phalloïdes qu’elle a concoctée pour faire passer Claude de vie à trépas. Très contemporaine, elle se désole d’avoir raté l’éducation de son fils, se gausse des rêves beatnik paix-fleurs-et-petits-zoiseaux qui tentent Néron. Junie, jouet qu’on bouscule et qu’on manipule, s’est transformée en petite ballerine en tutu. Britannicus joue les ados imprégnés d’english, un peu j’m’en-foutistes, et Néron parade en habit de lumière, avec coque à paillettes à l’endroit du sexe – un vrai mec, quoi ! Quant au gouverneur très mauvais conseilleur, il ne se trimbale pas sans les didascalies de la pièce, éprouvant chaque fois le besoin de commenter ce qu’il fait ou ne fait pas… Le texte ne recule devant aucun jeu de mot ou assonance dont on appréciera – ou moins – la saveur. « Elle a la grippe, Agrippine », voisine avec « Je te dois d’honneur » et « Vos yeux sont secs, saucisson sec » avec « On ne dit plus homme, on dit somme », qui apparaît comme un miroir de notre époque accro au fric. Par deux, trois ou tous ensemble, les comédiens alternent avec une énergie sans faille morceaux de dialogue où apparaissent parfois des réminiscences raciniennes, figures de ballets qui singent la comédie musicale ou rythmes rock endiablés où ils sollicitent la participation du public. Les instruments passent de l’accordéon au synthétiseur ou à la guitare électrique sans oublier un tom posé en hauteur (percussion) et la musique est jouée en direct.

© Olivier Brajon

© Olivier Brajon

Dedans-dehors et dans tous les états

Et puis, il y a ce théâtre dans le théâtre, omniprésent, avec ces comédiens de troisième zone, ces intermittents du spectacle que Monsieur Loyal, metteur en scène tyrannique, a récupérés au fond du trou, engagés pour la circonstance et exploite pour quelques euros, qui reviennent comme un leitmotiv sur leur cachet, font état de promesses de tournée non tenues et menacent de tout arrêter. Parce qu’au fond, dans ces jeux croisés où apparence et réalité, superficie et moi profond jouent à colin-maillard, c’est bien de théâtre qu’il s’agit, d’un théâtre du monde avec ses (en)jeux de pouvoir, et un théâtre de l’être qui révèle ce dont on est capable lorsque les barrières morales et sociales s’effondrent. Sans cesse, le dedans et le dehors jouent la bête à deux dos dans cette farce iconoclaste dont la règle bien huilée et menée musique battant est le « too much ». Quant à Britannicus et au comportement de Néron, on pourrait y voir, en ces périodes où le politique occupe le devant de la scène, une illustration du principe bien connu que les promesses n’engagent que ceux qui les croient…

© Olivier Brajon

© Olivier Brajon

Britannicus Tragic Circus. La tragédie Dé-RACINée par les Épis Noirs

S Texte, mise en scène et musique originale de Pierre Lericq S Avec Jules Fabre (Britannicus), Pierre Lericq (Narcisse-Monsieur Loyal), Gilles Nicolas (Albin), Tchavdar Pentchev (Néron), Marie Réache (Agripine), Juliette de Ribaucourt (Junie) S Assistante mise en scène Bérangère Magnani S Scénographie Yves Kuperberg S Lumière François Alapetite S Son Jules Fernagut S Costumes Chantal Hocdé Del Pappas S Durée 1h20 S A partir de 12 ans S Coproduction Atelier Théâtre Actuel, Louis d’Or Production et Arts & Spectacles Production S Codiffusion Atelier Théâtre Actuel et Arts & Spectacles Production S Avec le soutien du Centre national de la Musique, du Théâtre de Saint- Maur, de l’Espace Sorano de Vincennes, du Centre Culturel Marc Brinon de Saint-Thibault-des-Vignes, d’Anis Gras-le lieu de l’Autre et du Phénix Festival S Présenté au Théâtre La Bruyère dans le cadre du Festival Phénix.

Du 7 au 30 juillet à 19h55

Au Théâtre du Balcon – 38, rue Guillaume Puy, 84000 Avignon

Rés. 04 90 85 00 80 www.theatredubalcon.org

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