Une autre histoire du théâtre. Exercice de styles.

Créé avec de jeunes comédiens pleins de fougue et d’allant, le spectacle de Fanny de Chaillé reste un sympathique divertissement où l’on cherche l’histoire…

Ils sont quatre jeunes gens, garçons et filles à parts égales, sur un plateau nu. L’un joue le metteur en scène – chacun d’entre eux assumera ce rôle au cours du spectacle – tandis que les autres répètent une scène. Mal, évidemment. Ça joue faux et les premiers « conseils » fusent sur marcher en parlant ou mettre ce qu’il faut dans l’intonation. Puis ils s’alignent pour s’adresser au public et présenter leur propos : raconter une autre histoire du théâtre.

Chacun y va de sa version. Ils évoqueront d’abord le théâtre antique, chanté, une sorte de comédie musicale, disent-ils – où les femmes étaient absentes, en tant qu’actrices comme en tant que spectatrices, ce qui suscite la protestation des comédiennes. Donc par où commencer ? Par la commedia dell’arte, quand apparaissent les femmes sur le plateau ? – mais surtout pas de Molière, dit l’une. Très vite, le ton monte côté guerre des sexes et l’ambiance tourne au pugilat. Qu’à cela ne tienne ! Il n’y a qu’à partir de leurs expériences personnelles… ce sera leur histoire du théâtre. 

Une règle du jeu : le travail avec de jeunes comédiens

En 2020, Fanny de Chaillé s’inscrivait dans le dispositif « Talents Adami Théâtre », qui permet à de jeunes artistes d’être sélectionnés et dirigés par un metteur ou une metteuse en scène de renom. Il s’agissait, pour Fanny de Chaillé, metteuse en scène et chorégraphe, de diriger dix jeunes comédiennes et comédiens en créant pour eux un spectacle. Chœur, créé pour le Festival d’Automne, est suivi, en 2022, d’une autre création pour le Festival avec quatre des jeunes comédiens qui jouaient dans Chœur : Margot Viala, Valentine Vittoz, Malo Martin et Tom Verschueren. Ce sera Une autre histoire du théâtre et chacun, comme c’était déjà le cas dans Chœur, convoquera son expérience personnelle et racontera ses raisons de monter sur les planches : désir d’enfance, « bain » familial, timidité, paresse, hasard… Rien que de très banal, et qui ne répond pas, ou de si loin qu’on en perd le propos, aux attentes du titre.

L’acteur et le personnage

Si l’histoire est évacuée, la question du jeu arrive au premier plan avec un passage en revue des manières d’aborder le personnage. S’engouffrant dans une série de figures « imposées », comme dans une épreuve de patinage artistique, à travers des scènes du théâtre classique – Phèdre en prend pour son grade – actrices et acteurs évoqueront la relation problématique, qui divise le théâtre depuis l’origine, entre le comédien et le personnage. Se mettre dans la peau du personnage ? L’analyser pour le jouer en restant extérieur ? Dans la répétition, soir après soir, du même texte, que reste-t-il de l’émotion ? Comment le public reçoit-il cette répétition ? Jouer, est-ce mentir ou dire la vérité ? Faire semblant d’être le personnage devant des gens qui font semblant de le croire ? Dehors-dedans, ils détaillent, débattent, s’opposent, mais restent en surface sans qu’on en apprenne davantage que ce que l’on sait déjà.

Un exercice de style divertissant

Reste qu’ils s’en donnent à cœur joie, ce qui réjouit le public, dans des portraits de directrices et directeurs d’acteurs plutôt folkloriques avec les accents et les postures les plus divers, et que les comédiennes passent de la diction distinguée d’une jeune actrice du Français interviewée par un journaliste nul à une version un peu star à la Delphine Seyrig ou à une imitation de Sarah Bernhardt sur fond de papier froissé pour restituer les craquements des anciens microsillons. Le corps de l’acteur devient un gymnaste en pleine séance d’acrobaties tandis qu’on parle cérémonie, théâtre pauvre et absence de décor. Et les acteurs se dépensent sans compter dans ce kaléidoscope d’images du théâtre qui conduisent même à l’idée de création collective.

Si l’avalanche de procédés et le décalage humoristique, teinté d’insolence, de ce passage en revue fait sourire, s’esclaffer parfois, l’histoire du théâtre, elle, est demeurée sur le carreau. Navigation en surface, Une autre histoire du théâtre reste un divertissement bien mené, peut-être intéressant pour une introduction au théâtre pour des adolescents, mais sans profondeur.

Une autre histoire du théâtre
S Conception et mise en scène Fanny de Chaillé S Avec Malo Martin, Tom Verschueren, Margot Viala, Valentine Vittoz S Assistant Christophe Ives S Lumières et direction technique Willy Cessa S Son Manuel Coursin S Musiques Malo Martin S Régie lumières Juliette Labbaye S Régie son Clément Bernardeau S Production déléguée tnba - Théâtre national Bordeaux Aquitaine S Coproduction Association Display, Malraux scène nationale Chambéry Savoie, Le Festival d’Automne à Paris, Chaillot - Théâtre national de la Danse, Théâtre Public de Montreuil - centre dramatique national, Le Quartz - scène nationale de Brest, Points communs - Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise / Val-d’Oise, Théâtre nouvelle génération - CDN de Lyon, le lieu unique - Centre de culture contemporaine de Nantes, Théâtre Garonne, scène européenne - Toulouse, Théâtre Molière - Sète, scène nationale archipel de Thau, la Comédie de Clermont- Ferrand scène nationale S Fanny de Chaillé est directrice du tnba - Théâtre national Bordeaux Aquitaine et de son école ; artiste associée au Théâtre Public de Montreuil - centre dramatique national ; à Chaillot - Théâtre national de la Danse ; au Théâtre de Nîmes S Spectacle créé le 7 novembre 2022 à Malraux, scène nationale de Chambéry Savoie S Durée 1h S À partir de 13 ans

Du 21 au 25 octobre 2025

Théâtre 14 – 20, avenue Marc Sangnier, 75014 Paris www.theatre14.fr