Overblog Tous les blogs Top blogs Mode, Art & Design Tous les blogs Mode, Art & Design
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU
Arts-chipels.fr

Les Contes d’Hoffmann. Offenbach dans le jeu des doubles et des reflets.

Michael Spyres (Hoffmann), Ensemble Aedes. Phot. © Stefan Brion

Michael Spyres (Hoffmann), Ensemble Aedes. Phot. © Stefan Brion

Se rapprochant au plus près des intentions initiales et de l’articulation en cinq parties de cette pièce posthume imaginée par Offenbach, le spectacle, admirablement mis en scène et mené musicalement, révèle un aspect peu habituel de l’œuvre du maître de l’opérette.

Le rideau qui se lève dévoile un décor fatigué de taverne. Dès l’abord, l’étrangeté est là, dans cette boîte qui se resserre vers le fond dans une perspective accentuée qui vient se superposer à la perspective naturelle que percevrait le spectateur si le décor ne se refermait pas, d’une certaine manière, sur les personnages. Pourtant c’est sur une note comique, sans ouverture orchestrale, que commencent les Contes, par un chœur d’esprits invisibles qui chantent un hymne à la bière et au vin sur le mode « Glou-glou ».

La Muse qui s’introduit sur scène restera dans le même registre. Comme la Vérité sortant du puits, elle se voudra sortant du tonneau. Alternant chant et parole, elle se présentera comme un fonctionnaire lisant une fiche de police à propos d’un homme, attablé seul et à l’écart : Hoffmann. Deus ex machina, elle introduit la situation – Hoffmann se croit amoureux de Stella, qui chante Dona Anna dans Don Giovanni de Mozart – et met en place son rival dans l’esprit de la belle, le fonctionnaire Lindorf dans lequel Hoffmann voit une personnification du Diable. Narrateur en même temps que personnage, incarnation de l’esprit de la Création, la Muse accompagnera Hoffmann au fil de ses tribulations et le poussera sans cesse vers l’exigence créatrice qui se nourrit du malheur pour trouver son authenticité.

Si les textes chantés ont été écrits à l’époque d’Offenbach par Jules Barbier et sont rimés, les dialogues parlés, en prose, ont fait l’objet d’une réécriture contemporaine par Peter te Nuyl.

Michael Spyres et Héloïse Mas. Phot. © Stefan Brion

Michael Spyres et Héloïse Mas. Phot. © Stefan Brion

Une œuvre posthume

Au moment où l’œuvre est en chantier, Offenbach est au plus mal. Des crises de goutte de plus en plus douloureuses le terrassent. Enveloppé de fourrures, parfois en chaise roulante, hanté par la mort, il travaille comme un forcené sur cette œuvre, dont la présentation, après bien des atermoiements et des changements de théâtre, est inscrite au programme de l’Opéra-Comique. « Tout ce que je demande, dit-il alors de cet ‘‘opéra fantastique’’, c’est de vivre jusqu’à la première. » Il décèdera le 5 octobre 1880, n’ayant assisté que deux fois aux répétitions, laissant l’œuvre inachevée.

S’il en a écrit le déroulé sous une forme piano-chant, l’orchestration devait être réalisée au cours des répétitions. Léon Carvalho, qui a déjà fait revoir les voix pour les adapter aux vedettes qu’il présente dans son théâtre, la confie à Ernest Guiraud. Il fait supprimer l’acte de Venise où Hoffmann rencontre la troisième femme de sa vie, Giulietta, une courtisane, en déplaçant le duo Hoffmann-Giuletta ailleurs dans l’œuvre. La création, le 10 février 1881, offre à Offenbach, de manière posthume, le triomphe qu’il avait recherché toute sa vie.

 Amina Edris (Stella / Olympia / Antonia / Giulietta), Michael Spyres (Hoffmann), Héloïse Mas  (La Muse / Nicklausse). Phot. © Stefan Brion

Amina Edris (Stella / Olympia / Antonia / Giulietta), Michael Spyres (Hoffmann), Héloïse Mas (La Muse / Nicklausse). Phot. © Stefan Brion

Un autoportrait déguisé

Les Contes d’Hoffmann s’appuient sur l’engouement de l’époque pour le fantastique développé dans les Contes d’E.T.A. Hoffmann. En 1851, Michel Carré et Jules Barbier, surfant sur la vague, élaborent cette fiction qui met en scène le personnage de l’auteur, mort trente ans plus tôt.

Pot-pourri, la fiction emprunte aux œuvres d’Hoffmann, l’Homme au sable, le Violon de Crémone et l’Histoire du reflet perdu, et, pour faire bonne mesure, lui adjoint un thème développé par un ami d’Hoffmann, Adelbert von Chamisso, l’Étrange histoire de Peter Schlemihl ou l’homme qui a vendu son ombre, tout en s’inspirant du duo entre le poète et sa muse dans les Nuits d’Alfred de Musset. C’est de cette fiction que Jules Barbier, à la demande d’Offenbach, tire le livret qui met en scène, à travers les trois histoires d’amour d’Hoffmann contées par lui-même dans la taverne, la poursuite par l’auteur d’un amour impossible. Seule la douleur qui alimente la création offre la possibilité d'un amour, celui de la création.

Œuvre testamentaire, les Contes d’Hoffmann replongent Offenbach dans ses années de jeunesse de juif ashkénaze, d’origine prussienne comme Hoffmann. Il retrouve l’esprit qui imprègne l’œuvre de celui qui symbolise le Créateur par excellence – écrivain ami des romantiques allemands, Ernest Theodor Amadeus, E.T.A., est aussi musicien, dessinateur et peintre. Mais les Contes sont plus que cela. Dans son questionnement de l’esprit créateur, Hoffmann incarne aussi l’aspiration du compositeur à sortir du registre de la comédie et du divertissement. Si elle affleure déjà dans d’autres œuvres, elle trouve dans les Contes une matérialisation manifeste et forte.

Comment, également, ne pas reconnaître, dans le jeu des figurations multiples des personnages principaux, une identité qui se cherche, éclatée en facettes qui la recomposent ? Offenbach se rêve en Hoffmann qui, à son tour, alimente l’imaginaire d’Offenbach.

Michael Spyres (Hoffmann), Amina Edris (Stella / Olympia / Antonia / Giulietta), Jean Sébastien Bou (Lindorf / Coppélius / Miracle / Dapertutto), Raphaël Brémard (Andrès /  Cochenille / Frantz / Pitichinaccio), Ensemble Aedes. Phot. © Stefan Brion

Michael Spyres (Hoffmann), Amina Edris (Stella / Olympia / Antonia / Giulietta), Jean Sébastien Bou (Lindorf / Coppélius / Miracle / Dapertutto), Raphaël Brémard (Andrès / Cochenille / Frantz / Pitichinaccio), Ensemble Aedes. Phot. © Stefan Brion

Un jeu de miroirs et de reflets

Ce jeu des identités, introduit dans la dimension fantasmatique de la taverne qui sert de décor au début du récit, prend ici une dimension virtuose. Car, dans chacune des trois histoires d’amour d'Hoffmann qui viennent s’ajouter à sa relation avec Stella-Dona Anna, les mêmes personnages reviennent.

Si la Muse, de manière constante, prend l’apparence de Nicklausse, Lindorf, dans lequel Hoffmann voit le Diable, réapparaît chaque fois en figure maléfique. Il est Coppélius, qui vend à Hoffmann les lunettes magiques qui lui font voir Olympia non comme une automate mais comme une femme, le Docteur Miracle qui poussera Antonia vers la mort en l’incitant à chanter et le capitaine Dapertutto qui incite Giuletta à séduire les hommes en échange de leur reflet. Les femmes aimées par Hoffmann, incarnées par une seule cantatrice, Amina Edris, doublée, de surcroît, par une poupée quand elle incarne l'automate Olympia, ont aussi toutes le même visage, et les autres personnages auront ainsi plusieurs faces, réapparaissant au fil des différentes histoires.

La mise en scène joue jusqu’au vertige les identités multiples et les reflets. La toile noire plastifiée qui isole, par endroits, Hoffmann et la Muse de la projection que représente la boîte dans laquelle les personnages sont enfermés, renvoie l’image atténuée des personnages. Les miroirs, qui se multiplient, mettant en jeu l’irréalité qui préside à l’œuvre, permettent de passer au travers pour apparaître ou disparaître, s’introduire ou s’effacer du tableau. Hoffmann lui-même se duplique en une multitude de clones qui sont autant de projections de lui-même et accentuent la difficulté du personnage à se définir, écartelé qu’il est dans les multiples avatars que lui proposent les épisodes fantasmés de sa vie.

Nicolas Cavallier (Luther / Crespel), Jean-Sébastien Bou (Lindorf / Coppélius / Miracle /  Dapertutto). Phot. © Stefan Brion

Nicolas Cavallier (Luther / Crespel), Jean-Sébastien Bou (Lindorf / Coppélius / Miracle / Dapertutto). Phot. © Stefan Brion

Une musique et distribution à la mesure de la hors-normalité

Quatre esthétiques traversent l’ouvrage, avec des couleurs musicales spécifiques pour chaque acte. La musique est le prolongement et le mode d’expression des grands écarts auxquels se livre Offenbach qui mêle à loisir le fantastique d’Hoffmann et le comique qui est sa marque de fabrique. Elle se définit en clairs-obscurs et en contrastes saisissants. Elle joue du solo de violoncelle pour porter la voix d’Antonia aux nues comme de la cocasserie du chœur ou de la formation orchestrale en majesté. Elle se modifie sans cesse, utilisant des références aux autres compositeurs d’opéra de son époque, introduisant une impression d’incertitude et de passages entre différents mondes, utilisant parfois l’autocitation comme avec la Barcarolle qui est un réemploi du « chœur  des Elfes » (« Elfenchor ») repris aux Fées du Rhin composé en 1864.

Offenbach revient sur lui-même et sur la création pour son dernier tour de piste et ce n’est pas par hasard. Et même si l’orchestration d’Ernest Guiraud diffère évidemment de ce qu’aurait créé Offenbach, l'impression de diversité et de richesse qui émane de ce mélange n’apparaît pas comme un hiatus, rapporté au thème de l’œuvre.

Quant aux interprètes, qui ont la difficile tâche de rentrer dans la peau – sonore et pas seulement gestuelle – de plusieurs personnages, ils sont impressionnants, insufflant une vie intense à leurs rôles. Michael Spyres réussit à nous faire partager l’isolement de l’artiste, décalé, un peu perdu dans un monde dont il ne détient pas les clés. Amina Edris, qui incarne toutes les amoureuses d’Hoffmann, assume avec brio le jonglage entre la virtuosité de la colorature, dévolu au XVIIIe siècle aux castrats, et un rôle de soprano lyrique. Quant à l’androgyne Muse assumée par Héloïse Mas, mezzo-soprano très sollicitée par sa présence quasi permanente en tant que chanteuse à la partition acrobatique et que comédienne et porteuse de la narration, elle fait merveille.

Michael Spyres et Héloïse Mas. Phot. © Stefan Brion

Michael Spyres et Héloïse Mas. Phot. © Stefan Brion

Le regard féminin de la mise en scène

Lotte de Beer pose sur l’opéra un regard particulier. Sans méconnaître la place centrale d’Hoffmann, elle regarde du côté des femmes qui jalonnent la vie d’Hoffmann, ou du moins de ce qu’il en imagine, réduites qu'elles sont ici à des stéréotypes et caractérisées par une absence de relief. Fantasmes du personnage masculin qui les évoque, elles manquent de chair, de réalité propre.

Pour les contrebalancer, Lotte de Beer amplifie le rôle de la Muse. Commentatrice critique du narcissisme d’Hoffmann, elle est en même temps le guide qui remet sans cesse l’auteur sur les rails, mais aussi sa conscience artistique. C’est elle qui conserve en elle l’exigence de la création. Elle est la détentrice du savoir immémorial de la Poésie, qui transcende l’esprit des hommes, et elle remet en cause toutes les faiblesses du personnage qu’elle accompagne jusqu’à le contraindre à avancer. Mais sa route, semée d’embûches, est une voie escarpée sur laquelle il lui faut en permanence remettre le cap face à un Hoffmann incapable d’apprendre de ses erreurs, qui s’engouffre sans cesse dans des chimères.

On peut, comme la metteuse en scène, imaginer la Muse comme une jeune femme avide de faire ses preuves dans une société d’hommes ou, plus largement, déceler en elle la clairvoyance des femmes qui s’insurgent contre les stéréotypes qu’on leur applique et délivrent le message de leur existence et de leur importance. Libre à chacun d'y voir, comme Hoffmann-Offenbach avec ses femmes, ce qu'il y projette. Quoi qu'il en soit, le regard au féminin demeure et apporte au spectacle un nouvel éclairage.

Les Contes d’Hoffmann, dans cette version « remasterisée » à la double aune de son retour aux sources et de la poly-lecture, poly-créée en musique et texte, y compris en relecture contemporaine, qu’on peut en faire est un objet séduisant. Et sa richesse fait qu’on lui pardonne la trahison qu’Offenbach commet en créant des Contes très éloignés de leur version d’origine et un personnage – Hoffmann – amputé de la dimension romantique et très torturée de celui qui l’inspire.

 Michael Spyres (Hoffmann), Amina Edris (Stella / Olympia / Antonia / Giulietta), Héloïse Mas  (La Muse / Nicklausse), Arnaud Richard (figurant). Phot. © Stefan Brion

Michael Spyres (Hoffmann), Amina Edris (Stella / Olympia / Antonia / Giulietta), Héloïse Mas (La Muse / Nicklausse), Arnaud Richard (figurant). Phot. © Stefan Brion

Les Contes d’Hoffmann
S Opéra fantastique en cinq actes, ou un prologue, trois actes et un épilogue, inspiré de E. T. A. Hoffmann S Livret de Jules Barbier, tiré de la pièce écrite en 1851 avec Michel Carré S Créé à l’Opéra-Comique le 10 février 1881 S Nouvelle production créée le 20 janvier 2025 à l’Opéra national du Rhin, reprise en septembre 2025 à la salle Favart S Direction musicale Pierre Dumoussaud S Mise en scène Lotte de Beer S Metteur en scène associé Frédéric Buhr S Décors Christof Hetzer S Costumes Jorine van Beek S Lumières Alex Brok S Réécriture des dialogues et dramaturgie Peter te Nuyl S Traduction française des dialogues Frank Harders S Assistant à la direction musicale Matthew Straw S Assistante aux décors Alice Dal Bello S Directrice des études musicales Nathalie Steinberg S Cheffe de chant Flore-Élise Capelier (artiste de l’Académie de l’Opéra-Comique) S Avec Michael Spyres (Hoffmann), Héloïse Mas (La Muse, Nicklausse), Amina Edris (Stella, Olympia, Antonia, Giulietta), Jean-Sébastien Bou (Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto), Raphaël Brémard (Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio), Nicolas Cavallier (Luther, Crespel), Matthieu Justine (Nathanël, Spalanzani, Le Capitaine des sbires), Matthieu Walendzik (Hermann, Schlémil), Marie-Ange Todorovitch (La Voix de la mère) S Figurants Luc Cers, Hugo Collin, Arnaud Richard S Chœur Ensemble Aedes TÉNORS Antoine Chenuet, Paul Crémazy, Alban Dufourt, François-Olivier Jean, Anthony Lo Papa, Gaël Martin, Thomas Mussard, Nicolas Rether, Florent Thioux, Ryan Veillet BASSES Emmanuel Bouquey, Frédéric Bourreau, Jérôme Collet, Vlad Crosman, Simon Dubois, Sorin Adrian Dumitrascu, Alejandro Gabor, Pascal Gourgand, Léo McKenna, David Turcotte CHEF DE CHŒUR Mathieu Romano CHEFFE DE CHANT Kaoli Ono S Orchestre philharmonique de Strasbourg PREMIERS VIOLONS Clara Ahsbahs, Claire Boisson, Sylvie Brenner, Hedy Kerpitchian, Christine Larcelet, Philippe Lindecker, Marc Muller, Alexis Pereira, Claire Rigaux SECONDS VIOLONS Malgorzata Calvayrac, Anne Fuchs, Kai Ono, Alexandre Pavlovic, Serge Sakharov, Tiphanie Trémureau, Agnès Vallette ALTOS Joachim Angster, Agnès Maison, Anne-Sophie Pascal, Angèle Pateau, Odile Siméon LES ARTISTES VIOLONCELLES Christophe Calibre, Juliette Farago, Fabien Genthialon, Pierre Poro, Marie Viard CONTREBASSES Isabelle Kuss-Bildstein, Mélanie Laurent, Iris Plaisance-Godey, Gilles Venot HARPE Mélanie Laurent FLÛTES Sandrine François, Sandrine Poncet-Retaillaud HAUTBOIS Hamadi Ferjani, Guillaume Lucas CLARINETTES Théo Fuhrer, Sébastien Koebel BASSONS Philippe Bertrand, Valentin Neumann CORS Patrick Caillieret, Sébastien Lentz, Vivien Paurise, Nicolas Ramez TROMPETTES Angela Anderlini, Daniel Stoll TROMBONES Renaud Bernad, Maxime Col, Laurent Larcelet TIMBALES-PERCUSSIONS Arthur Dhuique-Mayer, Stephan Fougeroux, Grégory Massat-Bourrat, Olivier Pelegri, Denis Riedinger ORGUE Songyeon Im S Production Opéra national du Rhin S Coproduction Théâtre national de l’Opéra-Comique, Volksoper Wien, Opéra de Reims S Partition éditée par Michael Kaye et Jean-Christophe Keck © SCHOTT MUSIC GmbH & Co. KG S Durée 3h, entracte inclus

Du 25 septembre au 5 octobre 2025 à 20h, tous les 2 jours
Théâtre national de l’Opéra-Comique – 1, place Boieldieu, 75002 Paris

www.opera-comique.com

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article