31 Juillet 2025
Affiche : Aloïse Corbaz dite Aloïse, Collier en serpent, v. 1956. Pastel gras et mine graphite sur papier, 58 x 44 cm, recto-verso. ART BRUT / donation Bruno Decharme en 2021. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Audrey Laurans / dist. GrandPalaisRmn © Association Aloïse, Chigny
La très impressionnante donation d’art « brut » de Bruno Decharme au Centre Pompidou, présentée au Grand Palais, offre une vision aussi riche et diversifiée que fascinante de ces « marginaux » de l’art qu’on ignore ou encense mais qui échappent sans cesse aux classifications et catégorisations.
Du 20 juin au 21 septembre 2025, la galerie 8 du Grand Palais devient un lieu de réflexion sur l’état du monde des hommes en même temps qu’un appel à une rêverie qui ouvre l’espace à une multitude d’explorations en terres inconnues.
Les œuvres présentées sont le témoignage d’une passion, celle du cinéaste et collectionneur Bruno Decharme qui, depuis la fin des années 1970, collecte des œuvres d’art brut venues du monde entier. L’importance de sa donation au Centre Pompidou – mille œuvres, dont quatre cents sont montrées dans l’exposition – et la qualité des œuvres viennent combler un manque : celui que la collection d’art brut de Jean Dubuffet – plus de 4 000 œuvres – a laissée. À la suite de sa grande exposition au musée des Arts décoratifs en 1967, le peintre voulait la léguer à la France mais les atermoiements des instances gouvernementales à lui trouver un lieu lui avaient fait rechercher un asile à sa mesure ailleurs, à Lausanne, en Suisse, en 1971.
Adolf Wölfli (1864-1930), Sans titre, 1916. Mine graphite et crayon de couleur sur papier, 67,8 x 47,2 cm. ART BRUT / donation Bruno Decharme en 2021. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Patrick Goetelen / dist. GrandPalaisRmn
L’art brut, un art des fous ?
Qualifié d’« art des fous » à l’aube du XXe siècle, l’ensemble que recouvre le terme « brut » va beaucoup évoluer. Dans plusieurs pays d’Europe, on commence, à cette époque, à penser que l’expression par le malade de ses fantasmes peut lui permettre de reprendre pied dans le monde au travers d’activités, souvent artistiques. À Villejuif, dès 1905, le docteur Auguste Marie développe l’idée d’un musée « de la folie », non ouvert au public, entre autres pour faire tomber la barrière entre les « fous » et le reste de l’humanité, avançant l’idée d’une différence de degré mais non de nature entre les malades et les autres. Il prend le contrepied des théories de Cesare Lombroso, qui développe à la même époque, à propos de la criminalité, des théories raciales et transformistes appuyées sur la craniologie et la phrénologie et considère le génie comme lié à la dégénérescence et à la folie.
À la fin de la Première Guerre mondiale, au tournant des années 1920, les médecins et les psychiatres prennent la mesure de la force du médium artistique et des capacités expressives de leurs malades. En 1919, Hans Prinzhorn commence à collectionner les travaux de ses malades et son livre, Expression de la folie. Dessins, peintures, sculptures d'asiles, paru en 1922, a un effet révolutionnaire dans les milieux artistiques. À la même période, en 1921, Franz Morgenthaler publie une monographie d’Adolf Wölfli, un pédocriminel alcoolique, issu d’un milieu très pauvre et placé dès son enfance dans diverses fermes où il est taillable et corvéable à merci. Récidiviste, il est déclaré irresponsable et interné pour démence paranoïde. Pendant trente ans, il développera une œuvre unique : 1 300 dessins et 44 cahiers où sont exposées ses nombreuses théories scientifiques et religieuses, dans un langage où des mots sont déformés ou créés, l'orthographe transformée, les voyelles et les consonnes doublées ou triplées pour accentuer le rythme des phrases, auxquels s’ajoute sa biographie imaginaire, La Légende de saint Adolf, qui ne compte pas moins de 25 000 pages.
Le surréalisme, nourri de psychanalyse, d’inconscient et d’écriture automatique, s’empare de l’art brut et l’aventure « artistique » de ces êtres différents devient, au même titre que l’engouement pour les arts « primitifs » – on les nommera « premiers », pour effacer la connotation péjorative, bien plus tard – un thème à valoriser pour l’intelligentsia de l’époque. Car ces malades, qui vivent à l’écart du monde, se consacrent à une forme d’art à l’état natif, insoucieux d’un quelconque apprentissage ou rattachement à une tradition picturale ou esthétique.
Auguste Forestier, Sans titre, 1935 – 1949. Bois sculpté, métal, tissu, toile cirée, liège, peinture, 75 x 114,4 x 23,5 cm. ART BRUT / donation Bruno Decharme en 2021. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI /Patrick Goetelen / dist. GrandPalaisRmn © Droits réservés
Des « Singuliers de l’art » à l’art brut, l’art brut, quézaco ?
La Seconde Guerre mondiale passe par là. Éluard, qui reste en lien avec de nombreux artistes, se réfugie à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban, en Lozère. Il fait connaître les œuvres d’Auguste Forestier, qui fabrique de petites statues faites de bois, de métal et de bouts de ficelle (dont certaines figurent dans l’exposition), à Picasso, Queneau et Dubuffet. Artaud, pendant ce temps, est interné à Rodez et « soigné » aux électrochocs qui lui vrillent le cerveau. De fil en aiguille, ils seront nombreux à visiter divers hôpitaux psychiatriques : Georges Limbour, Jean Paulhan, Raymond Queneau, Pierre Seghers, André Frénaud, Francis Ponge, Jean Fautrier, etc.
Le peintre Jean Dubuffet, de son côté, est à la recherche d’un art qui sorte des sentiers battus et ne doive rien au « savoir-faire conventionnel convenu comme on est habitué à le trouver aux tableaux faits par des peintres professionnels ». Aux marges de l’art populaire, on trouve ces « Singuliers de l’art » qui seront présentés en 1978 dans une exposition de l’ARC au Musée d’art moderne de la Ville de Paris et que la sociologue Raymonde Moulin définit comme des personnes qui « travaillent sans apprentissage, sans modèles hérités, ni savoir transmis, sans marché défini et ont fort peu à voir avec les artistes » Jean Dubuffet va mettre en avant ceux qui tirent tout « de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode », et pratiquent une « opération artistique toute pure, brute, réinventée […] De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non, celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe », écrit-il dans l’Art brut préféré aux arts culturels, le Manifeste accompagnant l’exposition collective de l’art brut à la galerie Drouin, en 1949.Il élargira par la suite la définition de l’art brut aux œuvres « présentant un caractère spontané et fortement inventif, aussi peu que possible débitrices de l'art coutumier et des poncifs culturels, et ayant pour auteurs des personnes obscures ou étrangères aux milieux artistiques professionnels. » Des concepts flottants qui engendrent un questionnement présent dans l’exposition. Dans chacune des cellules thématiques qui composent l’exposition, les questions restent posées, en l’absence de réponse. Elles laissent les interrogations entières, tout comme l'identité de cet art venu d’« ailleurs ».
Aleksander Lobanov, Sans titre, v. 1960. Encre, aquarelle, crayon de couleur et mine graphite sur papier, 41,5 x 29,2 cm recto-verso. ART BRUT / donation Bruno Decharme en 2021. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI /Hélène Mauri / dist. GrandPalaisRmn © Droits réservés
Une pluralité de chemins plutôt qu’une voie tracée
C’est ainsi que l’exposition emprunte une multitude de chemins buissonniers. Elle remonte jusqu’au XVIIe siècle, mêlant les lieux et les époques, les artistes bruts « historiques » tels Emery Blagdon, Henry Darger, Martín Ramírez, Augustin Lesage, Adolf Wölfli ou Aloïse Corbaz et les très récents, tels Hans-Jörg Georgi, fasciné par les avions qu’il réalise à partir de boîtes de chaussures récupérées, ou George Widener, un ancien technicien qui souffre du syndrome d’Asperger, dont les catastrophes aériennes et les naufrages de bateau s’accompagnent de combinaisons mystérieuses de chiffres, de diagrammes, de cartes et de codes.
En comparaison avec celle rassemblée par Jean Dubuffet, la donation sort de l’Europe pour déborder sur le monde. Le Japon, Cuba ou la Russie y ont leur place dans des pays où pour des raisons différentes, le concept d’art brut peine à se frayer un chemin.
Au Japon, à la fin de l’époque d’Edo, après 1868, le pays s’ouvre à l’Occident. Face au mimétisme occidental qui s’empare des mentalités, un mouvement se fait jour pour revaloriser les cultures traditionnelles, tels la peinture populaire naïve ou l’artisanat vernaculaire. Mais cela laisse peu de place à l’art brut, confiné par les services sociaux japonais dans le handicap et la maladie. Ce « revival » populaire et la définition restrictive de l’art brut limitent l’élargissement de l’art brut japonais à sa définition occidentale : une critique de l’art culturel.
Il ne s’en développe pas moins et les œuvres présentées dans l’exposition ont une force peu commune, qu’il s’agisse des soupirs que pousse en permanence Katsuya Kitano et qu’il enferme dans de petits sachets blancs de peluche comme pour conjurer la tristesse ou des tracés à l’encre de Yuichi Saito qui s’échappent vers une abstraction qui n’est pas sans rappeler l’épure de l’art zen.
À Cuba, c’est face aux dogmes totalitaires que se définit l’art brut. Une mémoire ancrée dans les racines paysannes du pays a fourni la matière d’une imagerie autochtone, nourrie de mythes et de légendes, dont la propagande castriste a coupé les ailes, l’enfermant dans la cage du discours idéologique. Néanmoins, ces « fils du peuple, nés de la pauvreté et du travail » ont, pour certains retrouvé les éléments de ce patrimoine culturel occulté. Ainsi verra-t-on dans l’exposition une traduction inconsciente de la manipulation idéologique du pouvoir castriste dans les objets-téléviseurs de Martínez Durán qui exaltent la présence du Líder máximo. S’y inscrit en creux le poids que le système politique fait peser sur la société cubaine.
Tout aussi révélateurs sont les autoportraits d’Aleksander Lobanov, réalisés vers 1960. Devenu sourd et muet dans son enfance à la suite d’une méningite, il est interné à l’âge de vingt-trois ans et commence à dessiner. Ses autoportraits le représentent, armé de fusils ou de pistolets en carton, dans une figuration qui est celle de la propagande soviétique. Un soldat d’opérette – gardien de la Révolution ? –, pris au piège en tant que malade d’une institution qui a fait ses preuves en Union soviétique, un prisonnier qui se réalise dans la propagande et se figure avec sérieux dans un théâtre du factice…
Laura Delvaux, Sans titre, 2014. Objet religieux en plâtre peint, tissu (résille), fils de coton, 34 x 20 x 9 cm. ART BRUT / donation Bruno Decharme en 2021. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Hélène Mauri / dist. GrandPalaisRmn / © Laura Delvaux / La « S » Grand Atelier
Une « culture » de l’art brut ?
Se côtoieront, avec des travaux réalisés sans démarche artistique préalable où l’art thérapie domine, où il est pensé comme activité structurante, d’autres créations, produites par des ateliers qui ont pour but d’aider des artistes à surmonter leur handicap ou leurs troubles mentaux. On atteint là une limite. Peut-on encore parler d’art brut en ce qui concerne les travaux qui y sont produits ? L’exposition, tout en évoquant l’existence d’autres structures analogues, en présente trois : la « S » Grand Atelier, dans les Ardennes belges, qui explore des pratiques collaboratives – ici sur un thème centré sur la religion, Ave Luïa, où des enveloppements de Vierges enfermées dans un réseau de fil (pour en protéger la maternité ?) font face à des portraits d’ecclésiastiques qui doivent beaucoup à Francis Bacon ; le Creative Growth Art Center, situé à Oakland en Californie, dont la pratique est analogue, mais à plus grande échelle, avec ses plus de cent pensionnaires ; la Maison des Artistes (Haus der Künstler), près de Vienne, en Autriche, créée en 1981 par le docteur Leo Navratil et aujourd’hui animée par le docteur Johann Feilacher, qui reçoit les patients de l’hôpital psychiatrique mais aussi des artistes éprouvant le besoin de se ressourcer comme le peintre abstrait Arnulf Rainer, qui défigure sa propre image, créateur avec Hundertwasser d’une anti-académie à Vienne.
Dans chacune des salles, de courtes vidéos apportent des compléments d’information. Elles sont créées par Bruno Decharme, évoquant en particulier la manière dont il a rassemblé les pièces, ou par Barbara Safarova, co-commissaire de l’exposition, enseignante à l’école du Louvre – tous deux sont associés dans le pôle de recherche abcd (art brut, connaissance & diffusion) qui vise à poser l’art brut comme une question, ce que l’exposition reflète, et non comme une catégorie. Ils peuvent consister en extraits d’entretiens, réalisés par Bruno Decharme avec des artistes, des psychiatres mais aussi avec Michel Thevoz, qui fut le premier directeur du musée de l’Art brut à Lausanne.
Joseph Ernest Ménétrier dit Emile Josome Hodinos, Sans titre [Bustes], 1876 – 1896. Encre et mine graphite sur papier, 28,5 x 20,7 cm. ART BRUT / donation Bruno Decharme en 2021. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI /Janeth Rodriguez-Garcia / dist. GrandPalaisRmn
L’art but : quel message ?
Du côté des supports de l’art, hormis l’image animée et la photographie, qui constituent les centres d’intérêt du projet que Bruno Decharme compte développer pour les années à venir, il n’y a pas d’exclusive. Peintures, dessins, collages, détournements de journaux, papiers récupérés, sculptures de carton, de bois, de métal, de pièces assemblées, broderies, fils et liens, installations voisineront au sein d’une même unité thématique. Ce qui compte n’est pas la technique employée mais le « message » qui s'y exprime, dans le but de le transmettre ou pas.
On reste émerveillé devant l’inventivité déployée par ces artistes, qui « recyclent » leurs savoir-faire dans leur activité, tel Joseph Ernest Ménétrier dit Émile Josome Hodinos, apprenti graveur avant d’être interné, qui, dans le troisième quart du XIXe siècle, réalise des milliers de dessins à l’encre et à la mine de plomb ressemblant à des médailles et comportant images, exergues, devises qui n’ont d’autre fonction qu’une sorte d’énumération encyclopédique sans objet.
On est stupéfié par l’inventivité que ces artistes déploient à partir de matériaux de récupération, comme André Robillard, auxiliaire de la station d’épuration de l’hôpital de Fleury-les-Aubrais, où il est interné dès ses dix-neuf ans, qui, dans les années 1960, se lance, souvenir d’enfance d’un père garde-chasse, dans la fabrication de fusils à partir de morceaux de bois grossièrement découpés qu’il habille avec tubes en métal, éléments de moteurs, bombe aérosol, boîtes de conserve, circuits imprimés et cartouches de munitions qu’il fixe avec scotch, clous et fils électriques, offrant de la société d’aujourd’hui une vision saisissante.
Yuichi Saito, Sans titre, v. 2005. Encre sur papier 38 x 54 cm. ART BRUT / donation Bruno Decharme en 2021. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Joseph Banderet / dist. GrandPalaisRmn © Yuichi Saito, Courtesy of Kobo Syu, Saitama, Japan
Une distorsion du temps
Dans cet espace hors norme de personnes hors circuit, ce qui frappe aussi, c’est la frénésie qui les pousse à nourrir, dans des formes extrêmement complexes parfois, leur obsession. Le temps apparaît comme suspendu dans le bateau d’A.C.M. – Alfred [&] Corinne Marié – composé de milliers de pièces récupérées de circuits électroniques, de débris de tuyauteries, de résidus de grillages, de pièces de machines à écrire, de vieux ressorts, soudées entre elles pour créer un vaisseau fantôme de la société industrielle, ou encore dans la précision maniaque d’un Augustin Lesage dont les tableaux « décoratifs », d’inspiration spirite, faits de milliers de petites touches soigneusement architecturées, évoquent les mandalas tibétains. Les « mosaïques » de Susan Janow, qui part immuablement d’une grille tracée à la main qu’elle remplit progressivement de hachures colorées, s’inscrivent dans un registre similaire.
Enfin l’éternité circule dans l’architecture complexe du Japonais Riona Morikawa, qui fait couler comme une rivière de signes les éléments de sa vie quotidienne – anniversaires, voyages, numéros de plaques d’immatriculation –, le long fleuve de sa vie.
Dans le monde de l’obsession, de l’idée fixe et du délire, le temps n’a plus la même valeur et c’est à une déconnexion de nos codes quotidiens que nous invitent ces artistes, à un voyage qui revêt toutes les formes de leurs angoisses, qui sont aussi souvent les nôtres, mais aussi de leurs rêves et de leurs attentes dans lesquels, sans y être invités, nous pénétrons.
Anonyme (France), Sans titre, v. 1900. Broderie de fil blanc sur feutre noir, 14 x 17,5 cm. ART BRUT / donation Bruno Decharme en 2021. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Audrey Laurans / dist. GrandPalaisRmn
Anonymes et identifiés
Les inconnu.e.s côtoient les artistes identifiés, comme un signe révélateur de l’histoire même de l’art brut. Originellement recueillies dans les institutions psychiatriques, les œuvres d’art brut entrent, au moment où l’on commence à les montrer et les collectionner, dans le champ du secret médical qui protège leur auteur. Jean Dubuffet, lors de la constitution de la première collection d’art brut, avait doté ces auteurs inconnus d’un sobriquet. La donation Decharme aborde, durant son parcours, la question de ces œuvres, « orphelines » parce qu’elles ne sont pas signées et dont les auteurs – artisans, paysans, ouvriers… – vivent et créent en marge du monde de l’art. On trouvera donc, mêlés aux artistes apparaissant sous leur nom ou sous le pseudonyme qu’ils se sont eux-mêmes choisi, des anonymes dont l’œuvre ne compte pas moins.
Ainsi de cette extraordinaire broderie recueillie en France vers 1900 et provenant de la collection de Charles Raton, un galeriste proche des surréalistes. Sur fond noir plusieurs personnages apparaissent, brodés en fil clair. On y voit un homme, avec un couteau, tuer une silhouette allongée, tandis que deux personnages, un homme et une femme tenant en laisse un animal – un chien ? une vache ? – semblent s’exclamer ou crier. Quelques mots sont reconnaissables : « il tue l’oncle », « la femme », « elle tombe », « fond noir ». S’agirait-il d’un délire de persécution ? Ou d’un cauchemar récurrent, devenu obsessionnel à la suite d’un meurtre ? L’image, dans l’énigme de son exécution, garde son mystère et laisse place à l’imaginaire de celui qui regarde…
Henry Darger, At Wickey San-Rinia – They are captured..., 1950 – 1960. Aquarelle, encre, mine graphite et collage sur papier, 48 x 120,5 cm, recto verso. ART BRUT / donation Bruno Decharme en 2021. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Audrey Laurans / dist. GrandPalaisRmn / 2025 Kiyoko Lerner © Adagp, Paris, 2025
Obsessions personnelles
L’inconscient parle derrière les figures que les artistes buts mettent en scène. Le sexe, ou plutôt sa projection à travers personnalités d’emprunt et fantasmes, a sa place. Qu’il s’agisse de l’exhibitionnisme de Josef Hofer, sourd, quasiment muet et souffrant d’un handicap mental, qui s’observe dans son miroir, de cartes à jouer coquines détournées ou de « Zorro », un anonyme ainsi surnommé par ceux qui l’ont découvert, dont les œuvres, réalisées entre 1940 et 1970, ont été retrouvées sur un marché aux puces, où il se révèle transformiste, le thème est présent.
Chez Aloïse Corbaz, recrutée comme gouvernante des filles du chapelain de Guillaume II, empereur d’Allemagne, ce sont les marques d’un amour fou qu’elle voue au monarque, assorties de symptômes délirants. Elle crée, dans son œuvre, un monde parallèle où figures historiques et mythologiques, divas, militaires et entités célestes apparaissent sur des rouleaux de papier qu’elle assemble en les cousant.
La maltraitance apparaît dans la bouleversante saga de 15 000 pages en 15 volumes d’Henry Darger, confié tout jeune à une famille d’accueil puis interné dans une institution d’enfants attardés d’où il s’enfuit à dix-sept ans avant de finir homme de ménage dans un hôpital de Chicago. Lorsqu’il part en maison de retraite, son propriétaire découvre l’impressionnante fable qu’il a laissée, In the Realms of the Unreal (« Dans les royaumes de l’irréel », 1950-1960) où il met en scène son homonyme, le capitaine Henry Darger, chef d’une organisation de protection de l’enfance, en lutte contre le peuple – adulte – des Glandeliniens. Les illustrations, saisissantes, sont peuplées d’enfants dont la pureté et l’innocence sont soulignées, en butte à la cruauté des adultes. On les retrouve pendus, étranglés ou en fuite.
L’image de la mère ressurgit dans l’extraordinaire rouleau monumental qu’Harald Stoffers emplit d’inscriptions au feutre où, sur des lignes qui pourraient figurer des partitions musicales, apparaît de manière récurrente, au milieu d’un langage totalement incompréhensible, la mention « Liebe Mutter » (« mère chérie »). Un bouleversant hommage à la mère qui rattache cet amour à un ancrage lointain dans le passé, antérieur à l’invention du livre.
Janko Domšič, Sans titre, v. 1970. Stylo à bille, crayon de couleur et feutre sur carton, 65,9 x 50,5 cm, recto verso. ART BRUT / donation Bruno Decharme en 2021. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Audrey Laurans / dist. GrandPalaisRmn © Droits réservés
Histoire, histoires
De nombreuses références à l’histoire apparaissent dans les œuvres présentées.
On trouve dans l’agencement soigneux de bombes, tanks, revolvers, fusils, soldats, hélicoptères, découpés dans des débris de pneus et méticuleusement mis en espace en 2022 par le Cubain Daldo Marte Limonta – par ailleurs passionné de bandes dessinées et qui se présente en public déguisé en super-héros –, une conscience de la gravité de la guerre : l’artiste met face à face, au centre du tableau, deux hommes qui se tirent dessus.
Janko Domšič, arrivé en France en 1930, associe, dessinés au crayon de couleur, au stylo-bille et au feutre, des figures géométrisées et des textes mêlant français, croate et allemand, où apparaissent des bribes de sa vie, des extraits de chansons nazies et ont Dieu pour sujet central. Son lexique est fait de symboles venus de tous horizons : signes mystiques et francs-maçons voisinent avec le pentagramme, le svastika, le dollar, la faucille et le marteau soviétiques ou la croix orthodoxe.
Quant à Theo Wagemann, ancien contrebandier devenu mutique après que des douaniers lui ont tiré dessus, il est identifié par le régime nazi comme « dégénéré ». S’il échappe aux chambres à gaz grâce au médecin de sa famille, il est néanmoins stérilisé dans le cadre du programme d’euthanasie des malades mentaux mis en place par Hitler. Interné, il dessine des représentations d’Hitler et des dignitaires nazis sur du papier qu’il récupère dans les cuisines de l’établissement.
Melvin Way, Sans titre, v. 2000. Stylo bille, encre et ruban adhésif sur papier, 30,2 x 15 cm. ART BRUT / donation Bruno Decharme en 2021. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Audrey Laurans / dist. GrandPalaisRmn © Adagp, Paris, 2025
Dieu, le diable et le messie. Mystique et savoirs occultes.
Souffrance et sublimation sont les deux pôles entre lesquels oscillent nombre d’œuvres d’art brut dont les artistes ne se considèrent pas comme « auteurs » mais comme des dépositaires de messages et de secrets venus d’ailleurs. Un Autre parle et dieux, diables et messies, mysticisme, spiritisme et savoirs occultes se disputent souvent la paternité des œuvres. Ainsi Georgiana Houghton, personnalité importante du mouvement spiritualiste à l’époque victorienne, dessine-t-elle à l’encre, à la gouache, au crayon de couleur et au feutre une série de figures complexes et abstraites inspirées par les « esprits ». Dans ces tracés nerveux, dynamiques et proches, dans l’esprit, de l’écriture automatique, on imagine des personnages peuplant ce qui semble être un visage enserré dans une gangue dense qui couvre toute la feuille.
Zdeněk Košek, tente, à coups de diagrammes et de constellations chiffrées, de sauver le monde des catastrophes climatiques et d’en restituer le cours pour éviter qu’il ne disparaisse. « Si je n’essayais pas, affirme-t-il, de résoudre les problèmes de l’humanité qui d’autre le ferait ? » Jean Perdrizet, de son côté, dessine des plans de machines visant à établir le contact avec l’au-delà. Quant à Melvin Way, ancien électricien devenu paysan et ermite, il invente des formules chimiques censées guérir toute maladie chronique et rendre immortel. « Alpha, oméga, il n’y a qu’une issue, et c’est moi », affirme-t-il.
Francis Palanque, dit Palanc, Sans titre, v. 1955. Coquille d’œuf pilée, sucre, caramel sur isorel, 81 x 53,5 cm. ART BRUT / donation Bruno Decharme, 2021. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Audrey Laurans / dist. GrandPalaisRmn
Un monde d’écritures
Ce qui flotte dans l’air, tout au long de l’exposition, c’est l’obsession du dire. Dire pour exprimer, dire pour contenir, enfermer les démons ou au contraire les laisser sortir comme pour s’en libérer. Devant chacune des œuvres, le visiteur est happé par ces signes qui s’alignent et dont le sens reste indéchiffrable, d’où émerge parfois un contenu qui semble décalé. Ainsi de cette œuvre à l’acrylique, encre et lavis d’August Walla, qui mêle à la figure d’un dieu aux bras levés un dessin de caractères qui n’est pas sans rappeler l’Art nouveau – est-ce par hasard que Walla, Autrichien, rejoindra la Haus der Künstler en 1986 ? – et convoque Dieu, le Diable et Allah, tout comme le communisme, pour veiller sur l’enfant qu'il est, né chrétien en 1936. Ainsi de ces répétitions obsessionnelles de dates, de chiffres, de lettres, d’onomatopées parfois, qui envahissent les tableaux et sonnent comme des incantations.
Parfois c’est une œuvre palimpseste, comme chez Laura Jo Pierce qui, au Growth Art Center de Californie, recouvre ses premières inscriptions, écrites sur une feuille de papier ou d’un tissu, d’une couche de gouache avant d’en apposer d’autres par-dessus. Parfois c’est le support qui décolle le message de la manière dont il est transmis, telle cette « lettre » d’un patient hospitalisé dans le sud de la France à la fin du XIXe siècle, Auset, qui grave son courrier sur des ardoises, y compris lorsqu’il demande qu’on le laisse sortir. « Mon bon ami, y déclare-t-il, je désirerais que vous donniez des connaissances des personnes à qui vous envoyez mes gravures si elles vous assure que jaurais ma Liberté ».
Témoignages mystérieux, oracles énigmatiques, ne sont-ils que « le réel de la langue qui frappe à la porte », hors de tout contenu ? Ou, comme l’écrit, au verso de l’une de ses peintures, Palanc, ancien pâtissier qui réalisait ses travaux à l’écriture indéchiffrable avec de la coquille d’œuf pillée, du blanc d’œuf séché, des sucres cuits collant comme du caramel : « Mes lignes sont des / mots / Des murmures sans / bruits / Par vos gestes qui / tracent / La beauté de ma vie » ?
Sans doute est-ce parce que de ce monde nous ne possédons pas les clés que nous suivons, émus, fascinés et épris, ses grands ordonnateurs. Parce que dans ces œuvres c’est la vie même qui est engagée. Parce que leurs auteurs touchent du doigt cet impalpable qui résonne en nous.
« L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a faits pour lui ; il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom : ce qu’il aime c’est l’incognito », a écrit Dubuffet. Cet art brut, qui ne fait pas de l’art, et encore moins « brut » tant la complexité s’inscrit dans son propos, nous touche cependant. Parce qu’il est au-delà des mots et des maux. Alors « art » ? Peut-être, pourquoi pas, sans doute…
Georgiana Houghton, Sans titre, 1867. Gouache, crayon de couleur, feutre, encre sur papier, 48 x 34,8 cm. ART BRUT / donation Bruno Decharme en 2021. Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist. GrandPalaisRmn / image Centre Pompidou, MNAM-CCI
Art brut. Dans l'intimité d'une collection. La donation Décharme au centre Pompidou
20 juin > 21 septembre 2025 , mar.-dim. 10h-19h30, ven. justeq. 22h (fermé à 14h, les 18 et 24/6)
Grand Palais , Galerie 8. Place d'Entrée Jean Perrin 17, av. du Général Eisenhower 75008 Paris
Informations et réservation www.grandpalais.fr
S Commissaires Bruno Decharme , collectionneur et réalisateur, Barbara Safarova , enseignante à l'école du Louvre et chercheuse S Commissariat associé Cristina Agostinelli , Attachée de conservation et responsable de programmation, service des collections contemporaines, Musée national d'art moderne – Centre Pompidou, Céline Gazzoletti , historienne de l'art, Valérie Loth , Attachée de conservation, cabinet d'art graphique, Musée national d'art moderne – Centre Pompidou, Diane Toubert, archiviste, Bibliothèque Kandinsky, Musée national d'art moderne – Centre Pompidou S Scénographie Corinne Marchand S Graphisme Floriane Lipsch-Pic S D'après le principe graphique de Syndicat pour le catalogue S Exposition coproduite par le GrandPalaisRmn et le Centre Pompidou
En prolongation de l'exposition, le projet INSIDER OUTSIDER est une expérience musicale interactive en réalité virtuelle inspirée par l'œuvre de l'artiste américain d'art brut d'Henry Darger, coproduite par le GrandPalaisRmn, le Centre Pompidou, Lucid Realities et Science & Mélodie.
Festival Art brut au Grand Palais du 18 au 21 septembre 2025 de 10h à 20h
Grand Palais, Salon Alexandre III, Auditorium Alexandre III. Gratuit, sur réservation, dans la limite des places disponibles. Réservation et programme disponibles à partir du 2 septembre via https://www.grandpalais.fr/fr/billetterie.
4 jours de rencontres, d’échanges, de réflexion, de projections de films, de performances, de musique pour fêter l’art brut et clore l’exposition Art Brut. Dans l’intimité d’une collection. La donation Decharme au Centre Pompidou.
À travers diverses tables rondes, conférences, échanges, débats et performances, ce festival permet aux amateurs passionnés mais aussi au public découvrant l’art brut d’en appréhender les enjeux. Percevoir que cette notion est une sorte de « boîte à outils », utile pour aller voir là où l’histoire de l’art a rarement su regarder. Regarder les marges en constante évolution d’où émergent les créations les plus inventives. Le Festival Art Brut est destiné à un large public, il réunit nombre de ceux qui enrichissent ce champ de l’art, amis et complices du collectionneur Bruno Decharme et de la chercheuse Barbara Safarova.
INTERVENANTS
Cristina Agostinelli, attachée de conservation et responsable de programmation, collections contemporaines, MNAM – Centre Pompidou. Chargée de programmation des films du Festival Art Brut ; Lucile Allanche, fille de Jean Daniel Allanche ; Manuel Anceau, écrivain, auteur de nombreux textes sur l’art brut ; Anne Benoit, comédienne ; Bernard Blistène, commissaire d’exposition et directeur honoraire du MNAM–Centre Pompidou ; Christophe Boulanger, attaché de conservation en charge de l’art brut au LaM, Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, Villeneuve d’Ascq ; Bruno Decharme, collectionneur et réalisateur ; Laurent Derobert, algébriste, docteur en sciences économiques et chercheur (CNRS-GREQAM) ; Savine Faupin, conservatrice en chef en charge de l’art brut au LaM, Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, Villeneuve d’Ascq ; Alain Fromager, comédien ; Antoine de Galbert, collectionneur et mécène ; Céline Gazolletti, historienne de l’art ; Mica Gherghescu, conservatrice responsable du pôle Recherche, Bibliothèque Kandinsky, MNAM-Cci, Centre Pompidou ; Rena Kano, chercheuseen anthropologie de l’art, spécialisée dans l’art brut et les pratiques artistiques marginales ; Nicolas Liucci- Goutnikov, conservateur et chef de service de la Bibliothèque Kandinsky, MNAM–Centre Pompidou ; Jean-Pierre Klein, psychiatre, théoricien de l’art-thérapie ; Lise Maurer, psychiatre et psychanalyste ; Anne Montfort-Tanguy, conservatrice au Cabinet d’art graphique, MNAM–Centre Pompidou ; Lucienne Peiry, historienne de l’art, commissaire d’exposition, ancienne directrice de la Collection de l’Art Brut à Lausanne (2001 – 2011) ; François Piron, curateur au Palais de Tokyo, enseignant et éditeur ; Anna Pravdová, historienne de l’art, conservatrice à la Galerie nationale de Prague ; Jean-Christophe Quenon, comédien, metteur en scène et musicien ; Xavier Rey, directeur du Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle, Centre Pompidou ; Bernard Rigaud, président de l’Association Internationale Henri Maldiney, docteur de l’EHESS ; Anne-Françoise Rouche, fondatrice et directrice de la « S » Grand Atelier, à Vielsalm, Belgique ; Valérie Rousseau, conservatrice senior de l’art autodidacte et de l’art brut à l’American Folk Art Museum de New York ; Pascal Rousseau, historien de l’art, commissaire d’exposition, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne ; Barbara Safarova, présidente de l’association abcd, enseignante à l’Ecole du Louvre ; Corine Sombrun, écrivaine, spécialiste de la transe cognitive auto-induite (TCAI) et fondatrice du Trance Science Research Institute ; Béatrice Steiner, psychiatre et psychanalyste ; Michel Thévoz, historien de l’art, philosophe et ancien directeur de la Collection de l’Art Brut à Lausanne (1976 – 2001) ; Diane Toubert, archiviste, Bibliothèque Kandinsky, MNAM–Centre Pompidou ; Roberta Trapani, docteur en histoire de l’art, commissaire d’exposition.
MUSIQUE & PERFORMANCE
Astéréotypie, groupe musical formé en 2010 au sein de l’Institut médico-éducatif (IME) de Bourg-la-Reine, dirigé par Christophe L’Huillier.
PROGRAMMATION DE 27 FILMS
Des monographies d’artistes et des films thématiques : Milka Assaf, Les couleurs du silence ; Alain Bourbonnais, Articles de bois d’Emile Ratier ; Arthur Borgnis, Francis Palanc ; Florian Campiche, Le miroir magique d’Aloïse ; Nicolas Clément & Barbara Massart, Barbara dans les Bois ; Guillaume Cliquennois, A.C.M ; Emmanuel Clot, Petit Pierre ; Bruno Decharme, Rouge ciel, Pascal Jacquens, Carlos Huergo, Melvin Way, Martha Grünenwaldt ; Martine Deyres, Les heures heureuses ; Michel Gandin, Pietro Ghizzardi, Pittore contadino ; Guetty Felin & Hervé Cohen, Guyodo ; Ursula Ferrara & Manuela Sagona, Les inconnus dans la boîte ; Teiosuke Kimugasa, Une page folle ; Philippe Lespinasse, André Robillard, Judith Scott, Richard Greaves ; Andress Alvarez, Shinishi Sawada, Takashi Shujil ; Judith McWillie, J.B. Murray, Mary T. Smith ; Laetitia Moller, L’énergie positive des dieux ; Rosmy Porter, Daldo Marte ; Yves Robic, Le grand atelier ; David Valolao, Melina.