3 Juin 2025
La pièce de Caroline Guiela Nguyen explore avec une fortune inégale, par le biais d’un conte, les difficultés auxquelles sont confrontés les étrangers ne parlant pas la langue du pays dans lequel ils émigrent ou viennent se faire soigner, et aborde le rôle des enfants confrontés à cette situation.
Valentina a neuf ans lorsqu’elle accompagne sa mère qui souffre d’une grave affection cardiaque en France. Elles arrivent sans qu’aucune d’entre elles ne parle le français. Comment, dans ces conditions, se faire comprendre et expliquer ce dont on souffre ? Le temps passant, la santé de la mère se détériorant au fil du temps, dans le contexte d’un milieu hospitalier débordé et en l’absence d’interprète à disposition, il ne restera plus à la mère qu’à charger Valentina, scolarisée et avide de pouvoir s’exprimer, d’assumer cet office en la confrontant non seulement à la difficulté d’un vocabulaire médical pour le moins abscons pour le non-initié, mais aussi au face-à-face avec des réalités douloureuses et de dramatiques nouvelles à traduire.
Un non lieu multiple qui est l’espace du jeu
Sur le plateau, quelques chaises sont disposées de part et d’autre, à cour et à jardin. Les comédiennes et les comédiens-musiciens ne quitteront pas l’espace du plateau. Une fois leur prestation réalisée, ils reprendront leur place sur le bord du plateau.
Une cloison aux reflets métalliques ferme le fond de scène. Une niche, à jardin, forme comme ces autels domestiques qu’on voit dans les pays où les traditions populaires sont restées vivaces. Au centre de la niche, entouré d’une décoration florale naïve, trône un cœur. Il est l’objet autour duquel tourne toute l’intrigue.
Au centre une table figurera aussi bien une table de cuisine, le bureau du médecin, ou celui de la directrice de l’école où est inscrite Valentina. Une voix off, qui reviendra à plusieurs reprises, nous donne le cadre : ceci est un conte qui commence par « il était une fois… près de Bucarest » et nous présente le lieu où repose ce « cœur martyr ». Elle nous transportera dans le temps et dans l’espace pour évoquer en flash-back l’aventure de la petite fille et de sa mère.
Accueillir ceux qui viennent d'ailleurs
Le spectacle alterne les trois lieux fondamentaux où se déroule l’histoire en France : l’hôpital, l’école et le lieu d’habitation. On y suit l’apprentissage du français par la petite fille, les efforts désespérés de la mère pour se faire comprendre du médecin, y compris en utilisant le traducteur automatique pour tenter de communiquer – avec des résultats cocasses en même temps que tragiques –, les échanges entre la mère et la fille dans leur intimité. On découvre chez la mère la peur, aux yeux du monde, de révéler sa maladie et d’engendrer le rejet. Leur difficulté de communiquer, on la nomme : elles sont allophones. Et ce faisceau d’éléments a des conséquences : faire porter à la petite fille une charge mentale mais aussi effective qui n’est pas de son âge et l’isole des autres.
Cacher la réalité, une « nécessité » piégeuse
C’est ainsi que de fil en aiguille Valentina apprend la dissimulation. Elle ment à l’école pour cacher qu’elle accompagne sa mère à l’hôpital et manque l’école de ce fait ; elle s’invente un père résident en France et travaillant dans la métallurgie ; elle s’enfonce de plus en plus dans le mensonge, tant et si bien qu’elle finit par se contredire.
« J’ai rencontré, dit l’autrice-metteuse en scène directrice du Théâtre national de Strasbourg, l’association Migration Santé-Alsace et plusieurs interprètes : géorgien, albanais, afghan, turc, arabe, vietnamien, russe etc. Ils m’ont raconté les situations dans lesquelles ils avaient été obligés d’annoncer une mauvaise nouvelle : un refus du droit d’asile, une obligation de quitter le territoire, une maladie incurable, etc. Et je n’ai pas pu m’empêcher de penser à cette phrase de Racine que je cite de tête : ‘‘maudit soit celui qui annonce le malheur’’ ». Et bien souvent les enfants pallient alors les insuffisances du système.
À sa mère, Valentina cachera son véritable état de santé, absorbant en elle la morbidité cardiaque de celle-ci au point d’avoir le cœur complètement cyanosé alors que sa mère se rétablit. Mais nous sommes dans le domaine du conte et, comme la voix off l’annonce, au bout du chemin, le miracle est possible et tout est bien qui finit bien.
En roumain et en musique
Pour évoquer cette histoire, Carolina Guila Nguyen choisit de travailler en langue roumaine, la seule langue latine de l’Est de l’Europe, à la fois proche – certains mots, comme « merci » sont directement issus du français – et néanmoins impossible à comprendre. Un cuisinier, ex-instituteur roumain préposé à la cantine de l’école, assurera la traduction avant que la petite fille ne soit en mesure de le faire. La musique, jouée par les deux personnages masculins – le père, violoniste, et l’ex-instituteur – ajouteront une part musicale à cette coloration du récit, rythmée par les battements cardiaques erratiques de la mère.
Des hésitations problématiques
Comme elle a coutume de le faire, l’autrice s’appuie sur des récits ou des événements tirés de la vie quotidienne de ceux qu’elle rencontre ou côtoie. Elle évoque la nécessité d’avoir à disposition, pour accueillir les étrangers, des interprètes, nourrie par un épisode de son séjour à la Schaubühne de Berlin, où son interprète s’était absentée pour accompagner des femmes ukrainiennes lors de leur accouchement.
Cette démarche de rester au plus près d’une certaine réalité, qui donne à ce spectacle ses aspects touchants – dans la manière, par exemple, dont la petite fille se trouve prise au piège de tiraillements dont elle ne peut sortir et qui la conduisent à l’affabulation – ne s’articule en revanche pas bien avec le rattachement du spectacle au conte merveilleux et à son happy end, qui apparaissent comme plaqués. Se pose en effet la question du public auquel est destiné le spectacle. La fable, que le dispositif scénique situe clairement dans la catégorie « adulte », n’est ni crédible pour ce public tant les invraisemblances abondent, ni suffisamment « merveilleuse », y compris dans son écriture, pour s’adresser à un public jeune.
La vidéo qui capte en direct les personnages pour les projeter sur un écran en fond de scène n’ajoute rien sinon un élément plastique de qualité inégale qui fournit une information redondante par rapport à ce que livre la scène. Pris dans la multiplication de ses angles de vue, le propos du spectacle s’égare. Reste qu’il touche du doigt une vraie question quant aux moyens que nous mettons à disposition pour accueillir toutes ces populations venues d’ailleurs, qui migrent aujourd’hui en masse. C’est ce qu’on retiendra.
Valentina de Caroline Guiela Nguyen (éd. Actes Sud-Papiers)
S Texte et mise en scène Caroline Guiela Nguyen S Assistanat à la mise en scène Amélie Enon et Iris Baldoureaux-Fredon S Dramaturgie Juliette Alexandre S Scénographie Alice Duchange S Vidéo Jérémie Scheidler S Lumières Mathilde Chamoux S Son Quentin Dumay S Musique Teddy Gauliat-Pitois S Maquillage Emilie Vuez S Avec Chloé Catrin, Loredana Iancu, Marius Stoian, Paul Guta et en alternance Angelina Iancu, Cara Parvu S Décors réalisés par les ateliers du TnS S Production Théâtre national de Strasbourg S Coproduction Théâtre de l'Union, Centre dramatique national du Limousin. Piccolo Teatro di Milano – Teatro d’Europa S Avec l’accompagnement du Centre des Récits du TnS S Spectacle créé dans le cadre des Galas du TnS – édition 2025 S Durée 1h20 S En français et roumain S À partir de 12 ans
Du 2 au 15 juin 20025
Théâtre de la Ville – Les Abbesses – 31, rue des Abbesses, 75018 Paris
theatredelaville-paris.com. Tel 01 42 74 22 77